Mehmed Uzun : Rojek ji rojên Evdalê Zeynikê



"Navê min Ehmed e. Ehmedê Ferman. Ehmedê Fermanê Kîkî. Yanî Ehmed navê min e. Ferman hem paşnav hem jî siûda min e. Kîkî jî ji Kîkan tê, navê eşîra min e. Hin navên min ên din jî hene; dengbêj kovarê, stranvanê Hawarê û hwd... Heta carina ji bo min weha jî tê gotin; "dengbêjê me yê delal, kalemêrê Kîkan, roniya çavan, îxtiyarê civatan, berdevkê maqûl û axan û berdilê ciwan û xortan..." Gava meriv zarşêrin be û bixwaze dilê yekî xweş bike, gotin û qise pir in. Belê, rast e; ez dengbêj û stranvan im. Ji stran, kilam, çîrok, mesele, serpêhatî û gotinan pê ve, ez bi kêrî tu tiştî nayêm. Gotin jîna min e." Ji devê Ehmedê Fermanê Kîkî, dengbêjekî ku gotin ji xwe re kiriye jiyan, rojeke bi qasî umrekî a şahê dengbêjan Evdalê Zeynikê."

Rojek ji rojên Evdalê Zeynikê, 'un jour parmi les jours d'Evdalê Zeynikê', écrit par Mehmed Uzun en 1991, est une biographie imaginaire d'un célèbre dengbêj kurde, qui vécut au 19e siècle, que l'on surnomme l'"Homère kurde", en raison de sa cécité. Il est à noter que la cécité parmi les dengbêj légendaires n'est pas rare, et semble être presque un lieu commun. Ainsi, Hemke Kurê, d'Amêdî. Soit c'est un trait que la mémoire populaire prête volontiers aux rossignols kurdes, soit les aveugles, de par leur infirmité, étaient naturellement, comme les musiciens, voués à la musique. Quoi qu'il en soit, dans le roman, Evdal n'est pas aveugle-né.

Ce n'est pas un roman à intrigue, avec un point de départ, un but à poursuivre et un suspens. Chaque chapitre est découpé en fonction d'un événement choisi, dans la vie d'Evdal, comme l'indique le titre, 'rojek ji rojanên Evdalê', un jour entre les jours d'Evdal, le chant, l'amour, le mariage, les enfants, les deuils, la grue, le bon prince, le méchant prince… C'est une suite d'étapes, de 'maqam', qui peuvent aussi se lire comme des poèmes en prose, ou des nouvelles qui, mis bout à bout, forment le long cheminement de la vie d'un homme qui ne quitte pas son monde, le Botan, la montagne de Sîpanê Xelat, et autour duquel l'histoire et ses tragédies passent et arrivent parfois, en vagues, sous forme d'enfants rescapés, de fugitifs : les Arméniens massacrés, les Yézidis repliés dans Sîncar, qui se mêlent aux malheurs et bonheurs personnels d"Evdal et de sa femme, Gulê, elle aussi dengbêj…

Si tout le récit est décrit du point de vue d'Evdal, c'est sans complexité psychologique ni grande tracasserie intérieure. Les sentiments et les agissements des uns et des autres sont transparents, simples : il y a les gentils, les méchants, c'est tout. C'est une peinture naïve, il y a quelque chose de Le Clézio dans la façon dont les personnages et les animaux, ainsi que la nature, correspondent entre eux. 

La langue en est simple et limpide, aisée à comprendre. Pour les étudiants en kurde, c'est donc un bon commencement pour se familiariser avec la langue littéraire contemporaine. La fin est assez jolie, poétique et émouvante, mais si vous êtes rétifs aux spoilers, restez-en là et ouvrez-le livre.



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