Envers et contre tout, Nouri Maliki s'accroche au pouvoir
Alors que l’Irak se trouve amputé de facto de ses territoires sunnites, conquis par l’État islamique, Bagdad peine à former un nouveau gouvernement issu des dernières élections législatives, au terme desquelles devait être élu par les nouveaux parlementaires le président irakien, qui doit lui-même nommer son Premier Ministre. Mais la première étape était d’élire un président du Parlement, dans une assemblée nationale qui a peiné à atteindre son quorum et à procéder à cette première élection. L’ancien président du Parlement, Osama Al-Nudjaïfi, a retiré assez vite sa candidature.
Le 12 juin, deux jours après la chute de Mossoul, seuls 128 députés sur 328 avaient pu gagner le Parlement dont la session n’avait donc pu avoir lieu.
Le 1er juillet, dans une nouvelle tentative, la session a de même tourné court, après que des députés kurdes et des membres du groupe État de droit (liste de Nouri Maliki) se soient violemment querellés, ce qui a occasionné le départ des Kurdes, suivis par certains députés sunnites : une fois encore, le quorum a fait défaut.
Le 13 juillet, les éléments naturels s’en sont mêlés car, en raison d’une tempête de poussière, 25 députés kurdes qui devaient, d’Erbil, prendre un vol pour Bagdad ont vu leur déplacement annulé, le trafic aérien étant provisoirement suspendu en raison d’une tempête de poussière. Même si le quorum pouvait être atteint sans eux, leur absence le rendait plus incertain et à la merci d’un éclat entre élus sunnites et chiites.
La séance a donc été reportée au 15 juillet. Le 5 juillet, cependant, le bloc sunnite avait annoncé s’être mis d’accord sur un candidat à la présidence du Parlement, Salim Al Jubouri, issu du Parti islamiste irakien, qui a été élu au sein de la liste ‘La Diyala est notre identité’, laquelle a rejoint une large coalition sunnite, dont celle de son prédécesseur à la tête du parlement irakien, Osama Al-Nudjayfi, le frère du gouverneur de Mossoul. Il est vu comme un « islamiste modéré » et a remporté 194 voix sur 272. Les deux vice-présidents du Parlement sont le chiite Haydar al-Abadi (État de droit) et le kurde Aram Al-Sheikh Mohammed (Goran).
La deuxième étape consistait alors à élire le nouveau président de l’Irak, une fonction que les Kurdes – et surtout ceux de l’UPK – considèrent comme leur revenant de droit. Aussi, les tractations politiques sur le choix du candidat kurde, qui avaient lieu en interne entre Erbil et Sulaïmanieh, ont été suivis attentivement par l’ensemble des Irakiens.
Plusieurs noms n’ont cessé d’être cités dans la presse kurde et arabe, tout au long du mois de juillet. Un des favoris était Barham Salih, ancien Premier Ministre du GRK et qui a aussi exercé les fonctions de Vice-Premier Ministre irakien de 2004 à 2005 mais sa mésentente avec le « clan Talabani » lui a apparemment fermé la porte de Bagdad. L’UPK avait proposé aussi Fuad Massoum, un vétéran du Parti, proche de Jalal Talabani, et cette double candidature s’en est même vu adjoindre une troisième, le gouverneur de Kirkouk, Nadjm al Din Karim, élu de l’UPK pour sa province, ayant décidé se se porter candidat à la présidentielle, contre l’assentiment de son propre parti. Finalement, il s’est désisté et les députés du bloc parlementaire kurde à Bagdad n’ont eu à choisir qu’entre Fouad Massoum et Barham Salih. C’est le premier qui a obtenu la majorité des voix (30 contre 23 pour Barham Salih) alors que les députés ont voté à huit-clos dans un hôtel de Bagdad.
Le 24 juillet, Fouad Massoum a donc été élu président de l’Irak par le Parlement de Bagdad avec 175 voix sur 225 des députés présents.
Âgé de 76 ans, c’est un des fondateurs de l’Union patriotique du Kurdistan. Ayant fait ses études secondaires dans une école religieuse kurde, en 1958, il part étudier à Al-Azhar, la prestigieuse université islamique du Caire. Il obtient un doctorat en sciences islamiques, mais adhère assez tôt au parti communiste irakien, avant de rejoindre, en 1964, le Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par Mustafa Barzani.
De retour en Irak, il enseigne un temps à l’université de Basra, puis gagne la résistance kurde lors de la révolution de 1967, où il prend part aux actions militaires. De 1973 à 1975, il représente son parti dans la capitale égyptienne., avant de suivre Jalal Talabani et de lancer le nouveau parti de l’Union patriotique du Kurdistan.
En 1992, il est choisi pour être le Premier Ministre du Kurdistan, avant sa partition temporaire entre gouvernement PDK et UPK. Mais ses liens de longue date avec le PDK lui permettent de jouer un rôle de modération lors de la guerre civile qui oppose les deux partis dans les années 1990.
Fuad Massoum est considéré comme un homme politique modéré par les sunnites comme par les chiites. Mais la tâche qui lui incombe, celle de désigner son Premier Ministre, est chose ardue en raison de la vive opposition que rencontre Nouri Maliki dans sa volonté de rester Premier Ministre, malgré le rejet catégorique des Kurdes, des sunnites arabes, d’un nombre conséquent de politiciens et de religieux chiite, et la désaffection de ses principaux soutiens internationaux.
Nouri Maliki n’a effectivement cessé d’affirmer sa détermination à assumer un troisième mandat, même après le désastre militaire devant EI et le 5 juillet, dix jours avant l’élection d’un nouveau président du Parlement, il assurait, dans un communiqué lu sur la chaîne nationale irakienne, que « jamais il ne renoncerait au poste de Premier Ministre », s’appuyant sur la victoire électorale de sa liste : c’est en effet le candidat en tête de la liste qui a remporté le plus de voix qui est désigné, en principe, à ce poste, même si ce n’est une obligation constitutionnelle.
Nouri Maliki a rejeté toutes les accusations d’incompétence et toute responsabilité dans la désagrégation de l’Irak, les qualifiant de « campagne prenant pour cible l’État de droit », émanant de menées internes et externes.
Le Premier Ministre irakien n’a cessé, par ailleurs de renforcer la mainmise étroite sur l’État irakien, dont celle qu’il exerce déjà sur les forces de sécurité et de défense puisqu’il en occupe, depuis 2010, le commandement. Alors que, hormis ses partisans, tous le tiennent responsable de la défaite devant EI, il a accusé les généraux irakiens de trahison et en a limogé un certain nombre. Le 6 juillet, il a ainsi mis à la retraite anticipée le commandant suprême de l’armée de terre, Ali Ghedan, et le chef de l’état-major, Farouq Aeradji, le poste de ce dernier étant attribué au propre fils du ministre.
De même, alors que les États-Unis et les Nations Unies ne cessent d’exhorter les Bagdad et Erbil de parvenir à s’entendre pour former un gouvernement pluraliste et unifié, Nouri Maliki a accusé la Région kurde d’être « le quartier général d’ÉI, du Baath et d’Al-Qaïda » et d’y abriter toutes les organisations à l’origine des opérations terroristes.
Le président Massoud Barzani a répliqué, dans un communiqué, en qualifiant le Premier Ministre d’ « hystérique », tandis que les ministres kurdes du cabinet irakien en boycottaient les réunions en signe de protestation. Le ministre des Affaires étrangères irakiennes, le kurde Hoshyar Zebari a ainsi expliqué à Reuters que les députés du bloc kurde continuaient de siéger au Parlement mais que les responsables kurdes de son ministère, du Commerce, des Migration et de la Santé cessaient leurs activités.
En réponse, Nouri Maliki a placé Hussein Al Sharistani aux Affaires étrangères pour remplacer Hoshyar Zebari. Hussein Al Sharistani étant l’adversaire le plus constant et le plus virulent des Kurdes sur la question des ressources naturelles, ce n’est évidemment pas une nomination propre à préparer un terrain d’apaisement pour un gouvernement uni, comme le souhaite Washington.
Pour le moment, il semble qu’aucun allié ni aucune instance internationale ne puisse faire fléchir Nouri Maliki qui, aussi isolé et critiqué qu’il soit, tient en concentrant de plus en plus de pouvoirs au sein de l’État. Pourra-t-il toujours compter sur le soutien iranien, alors qu’il semble que Téhéran tente aussi de décider le Premier Ministre à renoncer à sa candidature ?
Des confidences émanant de deux personnalités politiques irakiennes haut placées ont en effet confié à l’AP, sous couvert d’anonymat, que Téhéran avait essayé de persuader le Premier Ministre irakien de se retirer, ce que celui-ci avait rejeté. Selon eux, le général Ghassan Soleimani, à la tête des forces Al-Qods (Jérusalem) des Gardiens de la Révolution, qui organise les milices chiites de défense au sein de ce qu’il reste de l’armée et les milices para-militaire, a eu récemment un entretien avec Nouri Maliki et aurait tenté, en vain, de l’inciter à se retirer. Il a reçu, en retour, les mêmes arguments répétés mécaniquement depuis mai, à savoir qu’en raison du score de son bloc parlementaire, ses fonctions lui revenaient de « plein droit ».
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