La vie quotidienne au temps du calife Ibrahim
Le 4 juillet, premier Vendredi du mois de Ramadan, le calife auto-proclamé de Mossoul, Ibrahim Abu Bakr Al-Baghdadi, a fait sa première apparition publique, dirigeant la prière du Vendredi dans la mosquée Al-Nuriyya de Mossoul, et y prononçant son premier prêche, dans lequel, dans la pure tradition de l’islam politique du temps des califes, il expose aussi son programme politique, en s’adressant à l’ensemble de « l’Oumma », c’est-à-dire de la communauté musulmane dont il requiert l’allégeance.
Après un préambule portant sur le caractère religieux du Ramadan et de ses pratiques pieuses, le « calife » rappelle que ce mois fut aussi celui pendant lequel « le Prophète lança ses armées pour combattre les ennemis d’Allah. Le mois durant lequel il a mené le Djihad contre les polythéistes ! » et citant des versets coraniques appelant au Djihad, disant, entre autres, « Allah aime que nous tuions ses ennemis et menions le Djihad en son nom » ; « Il vous est enjoint de combattre ce qui vous est haïssable » ; « Et combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de fitnah (sédition) et que la religion de tous soit pour Allah » ; ainsi que des versets recommandant l’application de la shari’a et les châtiments (hudud) en cas de manquements à cette loi.
Allusion à ses succès militaires, signe, selon lui, qu’Allah « a donné victoires et conquêtes » à ses mudjaïdin, « fermes devant les ennemis d’Allah », qu’il a rendu « puissants dans le pays jusqu’à la proclamation du Califat et le choix d’un imam ». La lutte contre les « ennemis d’Allah » est qualifié de « waadjib », le plus haut degré d’obligation concernant les devoirs religieux des croyants, et « concerne toute la terre ».
Ramenant ensuite ses propos à un niveau plus personnel, Al-Baghdadi se présente comme un élu d’Allah, sur le registre de la modestie : « J’ai été éprouvé par Allah dans mon élection en tant que calife. C’est un lourd fardeau. Je ne suis pas meilleur que vous. Conseillez-moi quand j’erre et suivez-moi si je réussis. Et assistez-moi contre l’idolatrie (tawagheet).
S’ensuit une série de citations coraniques promettant la victoire à ses adorateurs et revenant sur l’exaltation du Djihad.
Le sermon a été filmé par les fidèles du « calife » et diffusé très rapidement sur les réseaux Internet, d’abord sur les réseaux pro-EI et puis est devenu viral, tant dans les sites de presse que dans les réseaux des particuliers. Les réactions ont été évidemment radicalement différentes selon qu’elles émanaient des partisans du Djihad ou du reste de la toile, les premiers louant la maîtrise de la langue arabe et la « belle voix » d’Al-Baghdadi quand il psalmodiait, les autres se moquant plutôt de certains détails, comme la montre de prix que le « calife » avait gardée à son poignet et qui lui a valu tout le mois le surnom de « calife bling bling » ou « calife rolex ».
Sur le plan pratique, si les populations sunnites arabes se sont senties un temps soulagées du départ de l’armée irakienne, à qui ils reprochaient de se comporter en troupes d’occupation, les minorités religieuses ont senti immédiatement les effets du programme religieux de l’État islamique.
Contrairement à ce qui a été présenté très souvent dans la presse internationale, les chrétiens n’ont pas été la première cible des djihadistes, les groupes religieux non comptés parmi les « gens du Livre », c’est-à-dire les yézidis et les shabaks, stigmatisés comme polythéistes et apostats, ont été plus tôt et plus radicalement visés par l’épuration du Djihad, et ne se voient offerts d’autres choix que la conversion ou la mort. Les shiites (dont beaucoup de Turkmènes dans les régions conquises par l’EI sont chiites) sont enfin vus comme l’ennemi majeur, source de ‘fitna’ (sédition) ou hérétiques, et ont aussi fait face, dès le mois de juin, à des menaces, enlèvements, tortures et assassinats. C’est ainsi que 83 Shabaks ont été enlevés et 7 d’entre eux ont été retrouvés assassinés (source Human Rights Watch).
Quant aux chrétiens, leur répit relatif n’a été que de courte durée et le 19 juillet, l’État islamique a commencé d’appliquer la loi de la shari’a sur les dhimmi (juifs et chrétiens) devant faire soumission à l’Islam soit en payant une capitation (la djiziya), estimée en ces temps difficiles à 200 à 250 $ par mois, soit en se convertissant, soit en quittant le ‘dar al Islam’ (territoire musulman où ne s’appliquent pas les lois de la guerre).
Geste d’intimidation plus sinistre encore, les maisons des chrétiens de Mossoul ont vu leurs portes marquées de la lettre Nûn en arabe, le ’N’ désignant les ‘Nasrani’ soit ‘Nazaréens’ en arabe, qui est un terme d’opprobre utilisé par les juifs pour désigner les premières communautés judéo-chrétiennes et qui est ensuite passé dans la langue arabe.
Les effets de ces premières mesures ont été extrêmement rapides, en l’espace de deux jours, entre le 14 et le 21 juillet, des milliers de chrétiens ont fui sur les routes en direction du Kurdistan, venant grossir le flot des autres réfugiés. Actuellement, il ne resterait qu’une vingtaine de chrétiens à Mossoul, certains ayant accepté de payer l’impôt d’infamie, d’autres s’étant peut-être convertis sous la menace. Mais à leur passage, les fugitifs se sont vus dépouillés de tout ce qu’ils avaient pu emporter par les milices djihadistes, clamant que ces biens « revenaient à l’Islam » et c’est à pied, sous un soleil torride, que des milliers de familles, exténuées, ont gagné le Kurdistan.
Les shabaks, les Turkmènes shiites de la ville, ont aussi vu leurs demeures marquées d’un signe distinctif et leur sort est encore plus menacé. Des centaines d’entre eux ont fui, après des exécutions sommaires précédées d’enlèvement dans plusieurs villages. Les yézidis sont de même sommés de se convertir à l’islam (pas d'impôts pour les apostats ou les polythéistes).
L’État islamique a aussi été très actif ce mois-ci dans son programme de destruction des monuments « offensants » pour l’Islam. Non seulement les monastères, les bâtiments patriarcaux des chrétiens ont été saisis, les tombes et les statues vandalisées, mais c’est aussi aux lieux vénérés par les musulmans que les djihadistes s’en sont pris : appliquant la stricte interprétation de la shari’a qui prohibe les tombes des soufis ou des prophètes et leur culte, l’État islamique a ainsi détruit à l’explosif les tombeaux les plus symboliques des trois monothéismes de la Mésopotamie : ceux de Jonas et de Seth, en plus de mausolées de sheikhs soufis. En ce qui concerne les shiites, même leurs mosquées ont été détruites avec leurs mausolées.
Toutes les femmes, quelle que soit leurs confession, sont tenues de sortir entièrement voilées et les vêtements jugés « illicites », que ce soit pour les hommes ou les femmes, comme les jeans ou les tenues trop occidentales, sont également interdits. Les vendeurs de narguileh et de cigarettes sont peu à peu priés de fermer boutique et il s’instaure peu à peu, dans l’État islamique, une société qui est assez proche de ce qu’avaient mis en place les Talibans en Afghanistan.
Sur le terrain militaire, EI affronte principalement l’armée irakienne à Tikrit et à Djalawla, ainsi que les Peshmergas kurdes dans cette zone. Des combats sporadiques ont aussi lieu dans la province de Ninive, entre les Peshmergas et les Djihadistes.
Tu crois qu'il restait encore des Yézidis à Mossoul ? Cela fait un moment que la ville leur était devenue irrespirable. Par contre je crois qu'il y a eu des enlèvements et des assassinats à Rabia. Et il y a toujours des affrontements à Sinjar.
RépondreSupprimerSinon, Mossoul était certes une ville conservatrice. Mais la destruction de leur société multiculturelle et de leur patrimoine doit horrifier une bonne partie de la population, qui doit pas non plus partager "le grand rêve islamique" façon EI.. Même si l'EI doit avoir probablement le soutien de certaines fanges de la population (lumpen notamment), ils risquent d'avoir du mal à s' imposer à terme dans cette ville dix fois plus peuplée que Raqqa s'ils continuent à ce rythme.