Élections au Kurdistan d'Irak : la réélection de Massoud Barzani se jouera-t-elle par référendum ?
Massoud Barzani, source KDP |
Les prochaines élections présidentielles dans la Région du Kurdistan d’Irak, dont la date a été fixée le 21 septembre 2013, posent, de tous côtés, des questions de vacance du pouvoir et de succession.
Le parti kurde dont la situation est la plus incertaine, concernant son leadership, est, bien sûr, celui de Jalal Talabani qui n’a pas fait de réapparition publique depuis son accident cérébral, survenu en décembre dernier. Une agence de presse iranienne a récemment parlé de sortie seulement toute récente de coma, ce qu’un de ses médecins, le docteur Najmaddin Karim (qui est aussi gouverneur de Kirkouk) a démenti. Voulant aussi couper court aux rumeurs de mort dissimulée, son entourage a diffusé dans les media kurdes quelques photographies montrant le président d’Irak dans son centre de soins en Allemagne, assis à une table, dans un jardin, entouré de ses médecins. Mais s’il ne fait aucun doute qu’il est encore en vie, l’absence de toute vidéo ou interview en direct n'a fait que relancer les questions sur son état réel de santé ou sur ses capacités physiques (pour ne pas dire intellectuelles).
Jalal Talabani peut-il encore diriger la ligne politique de l’UPK ? Tout semble être, pour le moment, dans les mains de son politburo qui a décidé, cette fois, de participer de façon indépendante aux futures élections législatives au Kurdistan, se détachant de son allié le PDK. L’UPK espère ainsi reconquérir des voix qui, jusqu’ici allaient à Gorran, en calculant que cette alliance avec le parti de Massoud Barzani avait détourné de lui une partie de ses électeurs.
Cette supposition a, en tout cas, été émise par Muhammad Rauf, qui dirige le parti de l'Union islamique du Kurdistan. Muhammad Raouf laisse aussi entendre qu’en coulisses, plusieurs tentatives secrètes ont lieu pour tenter de réunifier les dissidents de Gorran et l’UPK ou, à tout le moins, de former une alliance électorale contre le PDK.
Dans ce cas, il est certain que dans la région du Behdinan, traditionnellement acquise aux Barzani, ni l’UPK ni Gorran ne peuvent menacer l’hégémonie du PDK, le parti arrivant en second étant l'Union islamique du Kurdistan. Dans la province de Sulaïmanieh, soit l’UPK et Gorran se disputeront la région, ou bien, s’ils font alliance, la remporteront haut la main. Il n'y a qu'Erbil, à la frontière entre les deux zones politiques (et linguistiques), qui présente une incertitude électorale.
Qui est l'opposition kurde et que représente-t-elle en terme de sièges au Parlement ?
Le Mouvement pour le Changement (Gorran) est le plus puissant et le plus populaire, mais uniquement dans les fiefs de l’UPK, puisqu’il est composé de certains de ses dissidents. C’est une ligne politique laïque et très à gauche, pas du tout portée sur un islamisme modéré, bien qu’il soit souvent accusé par ses détracteurs (surtout du PDK) d'être soutenu et financé par l’Iran. Il a 25 députés élus.
Viennent ensuite les partis religieux, le Groupe islamique du Kurdistan qui s'est allié en 2009 avec l'Union islamique du Kurdistan et deux deux partis laïques (dont le Parti socialiste) dans la liste du Service et de la Réforme (13 sièges) et le Mouvement islamique du Kurdistan qui a deux sièges à lui seul et ne s'est pas allié au Groupe islamique.
En tout, l’opposition détient 34 sièges (sur 111) au Parlement. Les deux partis au gouvernement ont 59 sièges. Onze sièges sont alloués d’office à des chrétiens (assyriens, chaldéens ou arméniens) ou des Turkmènes. Vient enfin le peloton des tous petits partis de gauche, communistes ou sociaux-démocrates, qui sont obligés, pour avoir des sièges, de s’allier à d'autres formations, formant ainsi des listes très inattendues, comme celle du Service et de la Réforme.
Le débat le plus vif (et peut-être le seul enjeu politique de cette campagne) porte sur la possible réélection de Massoud Barzani, l’actuel président de la Région du Kurdistan.
Dans la première semaine d'avril, des rencontres ont eu lieu avec des responsables du PDK et de l'UPK pour discuter de la teneur des élections, présidentielles, provinciales et législatives, et l’opposition a très vite émis le soupçon d’un arrangement entre les deux grands partis pour permettre à Barzani de se représenter, ou d’allonger le mandat présidentiel d’un ou deux ans (il est actuellement de 4 ans).
Omêd Sabah, un porte-parole de la présidence, avait amorcé la polémique, dès le 30 mars, en déclarant, sur la chaîne indépendante kurde NRT, que Massoud Barzani avait demandé ou allait demander une extension de son mandat.
Il n’en fallait pas davantage pour enflammer l’opposition, d’autant que la dynamique de campagne du renouvellement de la classe politique et du combat anti-corruption, lancée par le parti Gorran en 2009, commence de s’essoufler un peu.
Mais l'opposition n’est pas unanime dans ses prises de position. Mohammad Tewfiq Rahim, parlant au nom du parti Gorran dans le Monitor, a immédiatement condamné toute extension du mandat présidentiel, tandis que Salah Al-Din Bakir, le secrétaire général adjoint de l’Union islamique, indiquait que son parti se réunirait afin d’étudier la possibilité de l’allongement du mandat présidentiel ; même prise de position prudente de la part d'Amar Qadir, du Groupe islamique.
Si le PDK est, bien sûr, en faveur d’un prolongement ou d'une renouvellement du mandat de son leader, qu’en est-il de l’UPK qui, cette fois, fera campagne indépendamment, au moins pour les législatives ? Pour le moment, le politburo n’a émis aucune objection et ne s’est pas, en fait, prononcé franchement sur la question, ce qui signifie très probablement qu'il ne s’y opposera pas. Mais il serait assez délicat de demander à son électorat, et surtout à ses membres, de s’engager dans une campagne qui, de la part du PDK, sera axée sur l’avenir présidentiel de Massoud Barzani et aura sûrement des allures de plébiscite pour les supporters du PDK. Déjà, des membres de l’UPK estiment que cette alliance fait, depuis des années, la part belle à leurs anciens ennemis, en raison des déchirements au sein de leur propre parti et plus encore avec la vacance du pouvoir amorcée avec l’installation de Talabani à Bagdad et à présent son invalidité (temporaire ou définitive).
Pris entre deux feux (son électorat peu amical envers Barzani et le bénéfice qu’il tire de son alliance au pouvoir avec le PDK) les responsables de ce parti, qui jouissent du partage du pouvoir depuis 2005, pourraient être, en sous-main, enclins à soutenir une nouvelle présidence de Barzani, peut-être parce qu’ils ne sont pas non plus certains de peser plus fort que Gorran s’ils ralliaient l’opposition.
Le mieux que l’UPK puisse faire pour garder un semblant de crédibilité face à un électorat qui ne sera jamais pro-Barzani, est effectivement de faire élire ses propres députés au Parlement (en faisant en plus le calcul de reprendre des voix à Gorran) et de ne pas donner de consignes de votes sur la question de la présidence, ce qui lui permettrait d'accepter une fois encore un gouvernement de coalition, une fois Barzani réélu.
Répliquant à Gorran, le PDK a précisé, à la mi-avril, qu’il ne s'agissait pas d’une extension de mandat mais du droit – ou non – qu'a le président en exercice de participer pour la troisième fois aux élections présidentielles. C'est, de fait, le moyen qui peut apparaître comme le plus légal, en raison de l’ambiguité qui pèse sur le statut du premier mandat de Barzani qui n'avait pas alors été élu au suffrage direct, mais par vote parlementaire, en 2005. C'est seulement dans le projet de constitution approuvé par le parlement en 2009 qu'il a été énoncé que le président de la Région du Kurdistan est élu au suffrage universel, mais ne peut se présenter que pour deux mandats.
Les opposants tiennent le premier mandat (voté par le Parlement) pour valable tandis que les pro-PDK considèrent que seule la première élection faite au suffrage direct doit être comptabilisée, ce qui donnerait le droit à Barzani de remporter un troisième mandat.
De tout avril, le principal intéressé dans cette polémique n'a pas fait entendre sa voix. Sans doute laissait-il ses partisans lancer des ballons-sondes (prolongement ? réélection ? ) en enregistrant les réactions dans l’opinion publique, sans s’avancer lui-même.
Mais le 4 mai, il a, dans un communiqué officiel, rejeté la plupart des accusations qui fleurissaient dans la presse d’opposition :
Je n’ai pas demandé à faire modifier la loi sur la présidence de la Région, je n’ai pas demandé à prolonger mon mandat présidentiel ni permis l’amendement de la loi pour me permettre de briguer encore les fonctions de président de la Région.
Aussitôt, une foule de commentaires et d’analystes, dans la presse classique ou sur Internet, ont décortiqué tous les sens possibles de cette déclaration, ainsi que les sens qu’elle n’avait pas. Le fait que Massoud Barzani n’ait rien « demandé » ne signifie pas qu’il n'accepterait pas de se représenter, au cas où son parti ou une majorité d’électeur lui en ferait la demande pressante. D'autres ont fait remarquer que le président n'avait pas besoin de changer la loi, puisqu'il suffit que le premier mandat ne rentre pas en ligne de compte.
Ce qui a le plus conforté l’opposition dans ses doutes a été la seconde partie du message présidentiel, qui porte sur la légimité du projet de constitution lui-même, adopté en 2009 par le Parlement, dans des circonstances que déjà, l’opposition jugeait illégale, puisque le mandat des parlementaires avait lui-même expiré.
En effet, la constitution a été votée au Parlement le 24 juin 2009, par 96 voix sur 111 députés, mais avec seulement 97 parlementaires présents. Gorran avait boycotté ce vote alléguant que la légalité du Parlement avait expiré depuis le 4 juin 2009. De fait, les législatives, initialement prévues en mai 2009, avaient été reportées au 25 juillet pour des problèmes techniques et budgétaires qui dépendaient de l'Irak et de sa Haute Commission électorale.
Jusqu’ici, les deux partis au pouvoir n’avaient pas jugé dirimante la nécessité d'une approbation populaire, et c'est seulement cinq ans plus tard que Massoud Barzani sent l’urgence de régler cette question en lançant l’idée d'un référendum, comme pour la constitution irakienne en 2005 :
La constitution n’a pas été votée par référendum pour plusieurs raisons [non détaillées, mais peut-être pour ne pas faire approuver un brouillon en cours d’élaboration, alors qu’il y avait urgence de renforcer la constitution du Kurdistan (et sa présidence) au lieu de laisser s'appliquer la loi irakienne par défaut dans de nombreux domaines]
Le processus de rédaction de la constitution s’est déroulé normalement et toutes les étapes ont été suivies. Maintenant, c’est le peuple qui a le droit de décider s’il approuve cette constitution ou non.
Demander que ce soit les partis politiques qui décident de la constitution n’a aucun fondement juridique [les 3 partis d’opposition ont effectivement demandé un réexamen du texte, mais par voie parlementaire]. Cette demande s'oppose à la foi en la volonté du peuple et heurte le concept de démocratie.
Pourquoi ce soudain besoin de faire approuver la constitution par référendum ? Parce que cela serait vraiment lui donner une forte légitimité devant les demandes de révision qui émanent de l’opposition (qui pourrait plus difficilement s'élever contre la volonté du peuple) et aussi parce qu'une constitution approuvée par référendum entérinerait la légitimité du troisième mandat de Barzani. Si le Gouvernement régional du Kurdistan était un État indépendant, on parlerait de « Troisième » République (après celles de 1992 et celle de 2005), ce qui donnerait, du coup, toute légitimité à Massoud Barzani de briguer ce qui est, alors, vu comme son « second mandat » dans le cadre de ce régime présidentiel qui a débuté en 2009 et non en 2005.
Dans une perspective plus « politique », si la constitution est approuvée à une large majorité par les citoyens du Kurdistan, cela apparaitra comme un vote de confiance accordé à l'actuel président, et annoncera sans incertitude sa réélection.
Le Parti Gorran ne s’y est pas trompé et Yusuf Muhammad, un de ses membres, a déclaré publiquement, dans les heures qui ont suivi la déclaration présidentielle, que ce projet de constitution avait été rédigé dans le dessein de prolonger « le pouvoir absolu de Barzani et de sa famille, et de leur permettre ainsi de monopoliser pour eux-mêmes et leurs subordonnés, les postes essentiels de l’exécutif, du judiciaire, de la sécurité et des Peshmergas, de l’administration et de l’économie du Kurdistan. »
Les petits partis ne sont d'ailleurs pas opposés au suffrage universel, pour les raisons exposées par le leader du Parti socialiste du Kurdistan, Mohammed Haj Mahmoud, qui a, le 13 mai, laissé entendre qu’il serait susceptible de participer à la présidentielle (cela ne prendra sûrement pas beaucoup de voix à Massoud Barzani) : Il soutient la proposition du PDK de faire approuver la constitution par référendum et est contre le souhait de Gorran de revenir à un régime plus parlementaire, dans lequel les députés désigneraient le président, comme en 2005. Et ce en raison de la domination écrasante de l'UPK et du PDK, qui ne feraient que se refiler mutuellement la présidence, en vertu d'accords internes, pour désigner un candidat ou un autre :
Ainsi les chances d’une compétition démocratique seraient ramenées à zéro. Lors des précédentes élections présidentielles, qui ont eu lieu avec le vote direct du peuple, il y avait une chance de concourir, et un certain nombre de concurrents sont apparus, dans diverses régions du Kurdistan, à Kefri, Koy Sanjaq et Erbil, chacun obtenant une part des votes. C’est cela la véritable démocratie qui donne des chances égales à tous les citoyens, sans exception et nous sommes favorables à cette formule démocratique, parce que la présidence n’est pas réservée à un parti ou à une alliance de partis en particulier, c’est un poste qui concerne tous les membres du public.
De fait, même l’inénarrable Kamal Qadir a sauté sur l’occasion en annoncant sa candidature à la présidence. Comme quoi, tous les espoirs sont permis…
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