Aachener Friedenspreis 2013 : Le lycée de Monseigneur Rabban remporte le prix




Le Lycée international de Duhok, fondé par Monseigneur Rabban, évêque d’Amêdî (Amadiyya), est lauréat du Prix de la Paix d’Aachen (Aix-la-Chapelle)  pour l’année 2013.

 Créé en 1988 par un groupe de 46 personnes qui souhaitaient promouvoir, saluer et aider des hommes, des femmes ou des groupes qui œuvrent pour la compréhension entre les peuples et à restaurer la confiance entre des groupes ennemis, ce prix est décerné sans critère de religion, d’idéologie ou d’appartenance politique. Aujourd’hui, Aachener Fridenspreis comprend 350 membres et 50 organisations, institutions ou partis, et la ville d’Aachen. 



Preisträger 2013 Internationale Schule in Dohuk



Contexte et situation politique
Au nord de l’Irak [ le principal intéressé tient à préciser qu'il vit au KURDISTAN d'Irak et non dans la banlieue de Tikrit], depuis de nombreux siècles, vivent plusieurs communautés : des Kurdes, des chrétiens (Chaldéens, Assyriens, Araméens), des Turkmènes, des yézidis, des shabaks, des Arméniens, des Kurdes feyli, des mandéens, et, jusque dans les années 60, des juifs. Entre 1961 et 1970 [1975 en fait], les Kurdes se sont battus dans une guerre interne pour leur auto-détermination. En riposte, le gouvernement central irakien a détruit des milliers de villages. En 1970, une autonomie partielle a été accordée au nord de l’Irak à majorité kurde. L’opétation Anfal – nom de code d’une campagne génocidaire menée en 1988 et 1989 [cela a commencé dès 1983 avec l'extermination de 8000 Barzani] par le régime du Baath irakien sous Saddam Hussein – a fait, selon les estimations de l’ONU, 180 000 victimes kurdes. Toute la population de la région a été victime de cette violence. Ceux qui le pouvaient ont cherché refuge à l’étranger. Beaucoup de chrétiens ont fui dans le sud du pays, vers Bagdad ou Basra. Après la Deuxième Guerre du Golfe, en 1991, les Kurdes ont gagné un haut degré d’autonomie – avec leur propre constitution, la liberté de culte et une protection des minorités ethniques. 
L’évêque chaldéen Rabban Al-Qas est né en 1949 à Al Qomani [Komané en araméen, Kwanê en kurde], un village de la province d’Amadiya. Il a été témoin du bombardement de son village, des déportations et des massacres de Kurdes. Après l’obtention de l’autonomie, en 1991, il a fondé une organisation locale, qui a joué un rôle dans la reconstruction des villages et des églises dans leur région d’origine. Rabban Al-Qas est un homme à la fois charismatique et pratique, qui met la main à la pâte. Sa vision est celle d’une coexistence pacifique des ethnies et des religions : Dans la région traditionnellement multi-ethnique et muti-culturelle du Kurdistan d’Irak, il est possible d'instaurer la tolérance et une culture de paix dans la communauté, si importante pour l’avenir, des enfants et des jeunes. Il est convaincu que le dialogue, le respect et la réconciliation, pratiqués dès le plus jeune âge, sont les fondements de la tolérance et de la confiance:
"Nous pouvons construire beaucoup de maisons, ici comme partout. Mais pour moi, la chose la plus importante est de sensibiliser afin de changer la société – grâce à l'éducation. Après des décennies de guerre et de guerre civile, nous pouvons maintenant établir des règles communautaires pour la paix et le développement."
Rabban Al-Qas entreprend de construire une école moderne, avant-gardiste, selon sa conception : Filles et garçons étudient ensemble. On y applique le principe de l’égalité des sexes. Les filles sont renforcées et soutenues dans leur épanouissement social, dans la mesure où il est possible de remédier à la croyance fataliste au destin concernant le rôle des femmes dans la société et à l’existence d’une prétendue domination masculine. L’appartenance ethnique et religieuse des enfants est sans importance. Les racines culturelles de chacun sont respectées. La séparation du politique et du religieux est essentielle et s’effectue à l’école. L’éducation est une tâche socio-politique où la religion n’a pas sa place.
Rabban Al-Qas persuade le gouvernement kurde du bien-fondé de son idée. En 1999 ce dernier donne à l’église chaldéenne un terrain approprié à Duhok, la capitale de la province de Duhok, près de la frontière turque. La ville (env. 450 habitants) est sûre, prospère et dotée d’une université.
En 2004 l’école internationale de Duhok ouvre ses portes à ses 75 premiers élèves. Son directeur est l’évêque Rabban Al-Qas. Le corps enseignant appartient à différentes ethnies et religions. L’école est mixte, filles et garçons apprennent ensemble, l’égalité des droits et des chances est mise en œuvre. Ni l’origine ethnique, sociale et religieuse ne jouent de rôle. Cing langues y sont enseignées : l’anglais, le français, l’arabe, le kurde et l’araméen. La langue anglaise sert de lingua franca entre tous les étudiants. Il n’est pas délivré d’instruction religieuse, qui est du ressort de chaque communauté religieuse.
"Il n’y a pas de place, chez nous, pour les conflits religieux", explique à une délégation autrichienne le professeur kurde Abdul Wahid A. Atrushi, un fervent musulman qui est dans les meilleurs termes avec les chrétiens du pays.
Rabban explique la philosophie de son école modèle : "Tous les élèves participent à la vie culturelle des uns et des autres, et s’invitent mutuellement, par exemple à une fête religieuse ; ils doivent connaitre très jeunes la diversité culturelle et ainsi former une nouvelle génération qui surmonte la haine."
L’éducation à la paix joue un rôle important dans la pratique de la communication non-violente. Le premier millésime d’élèves (avec une moitié de filles) a quitté l’école en 2011, pour l’université. La plupart étudient au Kurdistan d’Irak, trois préparent leur diplôme à Dortmund mais veulent retourner dans la Région après leurs études, pour être utiles à leur communauté. À présent, l’école comprend environ 300 élèves. L’école internationale de Duhok est une des plus modernes et des meilleures du Kurdistan d’Irak et la jeune génération détient un « rôle majeur » en ce qui concerne le maintien de la paix. 
"La jeunesse est l’avenir du Kurdistan. Ce qu’ils apprennent à l’école, ils le porteront ensuite dans la société", explique l’évêque Rabban Al-Qas.
Selon une étude menée par  Carmen Eckhardt, qui a fait un Film sur les chrétiens du nord de l’Irak et sur l’école, l’école internationale de Duhok est la seule, dans tout le Moyen Orient, à mettre en œuvre, de façon aussi conséquente, l’éducation à la paix. Et surtout les enfants et les jeunes gens de cette école, qui ont été témoins directs des violences ou les ont subies, apprennent ici, dans la vie de tous les jours, que l’amitié, le rire, l’apprentissage et la paix vont ensemble.
Cette école est exemplaire. Elle a besoin d’une reconnaissance internationale pour que son existence soit préservée. Car la paix, dans cette région, est fragile. La situation politique au Moyen Orient est toujours menaçante. Le niveau de sécurité est, au Kurdistan d’Irak, beaucoup plus élevé que dans les régions disputées de Mossoul, de Kirkouk et du reste de l’Irak. Mais même ici, les minorités ont toujours le sentiment qu’il leur manque une sécurité économique et physique durable. 
Le Kurdistan émergent a créé de bonnes conditions pour une démocratie stable et le respect des droits de l’homme. L’attribution du prix de la Paix 2013 d’Aachen à l’école internationale de Duhok est un signal fort envoyé à tout le pays. L’école est un projet modèle pour la paix, la réconciliation et la compréhension entre les groupes ethniques et les communautés religieuses. 


Le reportage de Carmen Eckhart Angst ! Christen im Irak, à l'origine de la nomination :


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