jeudi, janvier 31, 2013

Entre Imralı et Erbil se débat l'avenir du PKK


Le 30 décembre dernier, le gouvernement turc annonçait son intention d’entreprendre des pourparlers avec le leader du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999. Son but : obtenir que la guerilla du PKK dépose les armes et mettre un terme à une guerre qui dure depuis bientôt 30 ans.
Ce n’est pas la première fois que des tentatives politiques de régler le conflit ont été amorcées mais jusqu’ici, elles n’ont jamais tenu la distance sur le terrain : les cessez-le-feu unilatéraux fréquemment reconduits par le PKK depuis la capture d’Öcalan n’ont jamais été pris en considération par l’armée turque qui poursuivait ses opérations, ou bien les négociations secrètes entre Ankara et le PKK comme à Oslo, en 2011, échouaient en raison de fuites dans la presse, et laissaient place à une répression judiciaire de grande ampleur contre les membres du KCK et/ou du parti BDP.
Mais cette fois, un des principaux conseillers du Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdoğan, Yalçin Akdoğan, a assuré au journal Taraf que les discussions porteraient sur toute autre chose qu’une trêve provisoire et qu'il  s’agissait d’amener le mouvement kurde armé à cesser définitivement le combat.
Le détail et le déroulé de ces négociations menées par les services secrets turcs (MIT) dirigés par Hakan Fidan, ont été peu dévoilés pour le moment. Du côté turc, la priorité est le désarmement de la guérilla, voire sa reddition et l'exil de ses hauts commandants. Les revendications du PKK et du parti BDP portent (avec des variantes dans les déclarations des uns et des autres) sur l’enseignement de la langue kurde dans les écoles primaires (ou bien un enseignement total en kurde), un processus de gestion autonome des régions kurdes en Turquie (l’ampleur de cette autonomie n’est pas toujours précisément explicitée), l’arrêt des attaques militaires turques contre les bases du PKK et, concernant le sort d’Abdullah Öcalan, des demandes allant de la levée de son isolement jusqu’à sa libération pure et simple.
Mais des conditions personnellement formulées par Öcalan, très peu a filtré des entretiens qui ont débuté le 23 décembre. Selon des responsables du MIT, dont les propos ont été rapportés par le journal Hürriyet, en plus d’une amélioration de ses conditions de détention, le chef du PKK aurait réclamé pouvoir reprendre directement contact avec la guerilla, actuellement dirigée « en son nom » par le Conseil de présidence réunissant plusieurs vétérans des forces armées. On ne sait si cette demande a été depuis agréée.
Dans son allocution de Nouvel An donnée sur Stêrk TV, le président du Conseil exécutif du PKK, Murat Karayılan, a rappelé que 90 ans de « turcification » avaient échoué et qu’il fallait qu’Ankara l’admette. Répondant plus directement à la possibilité envisagée par le gouvernement turc que lui-même et le haut-commandement de la guerilla quittent leurs bases sans être poursuivis, à condition qu’ils ne résident pas dans des États voisins mais dans « d’autres pays », Murat Karayılan a répliqué que cette proposition était une « attaque contre le peuple kurde et ses valeurs » : 

« Chacun doit savoir que la guerilla du mouvement de la liberté et de la résistance du peuple kurde doit rester en vie aussi longtemps que la répression armée et le massacre politique du peuple kurde continuent. »

Sur le principe de négociation et de paix, Murat Karayılan a ajouté qu’ils ne se retireraient pas du combat sinon via une solution obtenue par le dialogue et la négociation, à condition que « les autorités [turques] reconnaissent le peuple kurde, voient sa réalité et mettent fin à leur politique d’occupation ».
Mais le 4 janvier il était annoncé que deux députés kurdes, Ayla Akat Ata et Ahmet Türk avaient pu rencontrer Abdullah Öcalan, ce que personne, hormis son frère Mehmet, n’avait pu faire depuis près d’un an, et surtout pas ses avocats. Dès le lendemain, 5 janvier, le co-président du BDP, Selahattin Demirtaş twitta laconiquement qu’aucune déclaration spéciale ne serait faite sur la rencontre d’ Imralı et que les développements politiques seraient livrés au public « quand le temps sera venu ». S’exprimant un peu plus tard sur la chaîne Nûçe TV, le même Demirtaş promit une déclaration « dans les prochains jours », en qualifiant simplement la rencontre de « positive ». Finalement, aucun compte-rendu détaillé n’allait être fourni à la presse concernant cet entretien.
Paradoxalement – ou est-ce pour ménager son opinion publique ? – la Turquie n’a pas cessé ses opérations militaires contre le PKK et déclare ouvertement ne pas en avoir l’intention, par la voix du ministre de l’Intérieur Idris Naim Şahin (remplacé depuis) qui a assuré à l’agence de presse Anadolu, que les assauts se poursuivront jusqu’à ce que « le groupe qui porte l’inimitié contre notre peuple ne soit plus en position d’attaquer ou de verser le sang », objectif qui, s’il était véritablement retenu, pourrait rallonger le conflit de quelques trente ans supplémentaires …
Même mise en garde belliciste de la part de Yalçin Akdoğan, conseiller de Recep Tayyip Erdoğan, qui avait pourtant annoncé lui-même la réalité des négociations, affirmant qu'il n'était pas question de : « de suspendre ou de stopper le combat contre le terrorisme » et présentant la « politique sécuritaire » comme « un facteur complémentaire » des négociations. Par contre, toute attaque armée de la part des Kurdes ne sera vue que comme un « sabotage » de ces mêmes pourparlers. Optimiste, Akdoğan allègue la « fatigue » des  combattants, las de vivre dans la clandestinité des montagnes et juge que la perspective de pouvoir en « redescendre » serait une incitation suffisante à déposer les armes.
Plus prudent, Nurettin Canikli, un haut responsable de l’AKP, a admis que des « progrès » avaient été faits, mais qu’il ne pouvait dire si le PKK était sur le point de cesser la guerre, d’autant que le Premier Ministre a, pour le moment, écarté toute possibilité d’une amnistie générale des combattants, ce qui est une des revendications dela guerilla, de même que le placement d’Öcalan en résidence surveillée.
Alors que les opérations militaires ne cessent pas, Erdoğan exhorte directement la guerilla à déposer les armes, en gage de « sincérité » et en leur assurant, au passage, un abandon de toute poursuite judiciare dans un pays tiers. Le remaniement de son cabinet, qui voit remplacer Idris Naim Sahin à son poste de ministre de l’Intérieur pour Muammar Güler, un Kurde originaire de Mardin, est au moins apparu comme un signe d’apaisement ou de bonne volonté vis-à-vis des Kurdes qui appréciaient peu Naim Sahin et ses sorties contre les députés du BDP, stigmatisés comme « représentants des bandits du PKK » et « gens qui ne valent pas un centime ». Muammer Güler, en plus d’être kurde, est vu, lui, comme un modéré au sein de l’AKP.

Du côté de la presse turque, les « fuites » et « révélations de source anonyme » se multiplient sur la teneur des accords. Hier, le journal Hürriyet affirmait que le PKK déclarerait un cessez-le-feu dès février et se retirerait de Turquie ET du Kurdistan d’Irak (sans préciser pour où ?)  tandis que le journal Sabah, de façon plus réaliste, parlait d’un retrait de Turquie POUR le Kurdistan d‘Irak ce qui, en soit, ne changera pas grand-chose, car depuis les premiers cessez-le-feu unilatéraux demandés par Öcalan au début des années 2000, cela avait déjà été fait pour la plupart des montagnes kurdes. Pour le gros des troupes, l’essentiel des forces du PKK sont basées à Qandil et les attaques se font surtout après franchissement de frontières, hormis quelques poches comme le Dersim (où la guerilla n’était d'ailleurs pas que PKK). C’est justement le Dersim qui est pressenti pour envoyer le premier groupe de volontaires (une vingtaine) pour descendre des montagnes et se rendre ce qui, là encore, rappelle les redditions qui avaient suivi la nouvelle ligne d’Öcalan après son emprisonnement à Imrali.

Parallèlement, une délégation de neuf membres du MIT, dont le chef, Hakan Fidan, négocie avec Öcalan, doit se rendre à Erbil, décidément lieu de toutes les négociations et contacts entre factions kurdes syriennes ou kurdes turques et turcs eux-mêmes, afin de rencontrer des responsables du PKK (source Radikal), peut-être les mêmes qui avaient entamé les négociations d’Oslo. Un temps suggérée comme autre lieu de rencontre, Suleïmanieh a été écartée par les Turcs craignant une trop forte influence iranienne dans cette ville, et peut-être aussi parce que l’UPK, dont c’est le fief, a toujours passé pour plus proche du PKK dont il a été l’allié, avec l’Iran, dans la guerre civile des années 1990 contre le PDk soutenu par la Turquie. De plus, Massoud Barzani appuie vivement ces négociations et sa présence permet un parrainage « neutre » des Kurdes d'Irak, comme il a fait pour les rencontres d’Erbil entre le CNK syrien et le ministre des Affaires étrangères turc, Ahmet Davutoğlu. D’ailleurs, l’accident de santé qui a éloigné Jalal Talabani de la scène politique laisse le président du Kurdistan comme seul arbitre ou intermédiaire de poids dans ces rencontres, aucun autre responsable de l’UPK n'ayant la carrure diplomatique et l’importance politique du président de l’Irak. 

 Du côté de Qandil, le PKK a aujourd'hui formellement démenti ce retrait, qualifié de mensonge, dans un communiqué diffusé par Firat News, l’agence de presse du parti. Il est même parlé de « guerre psychologique », ce qui n'est peut-être pas faux, dans la mesure où le PKK n’est peut-être pas exactement informé de toutes les dispositions débattues avec Öcalan, et il peut être tentant, pour les services turcs, de créer des effets d’annonce mettant le mouvement kurde au pied du mur, tiraillé entre son obéissance supposée inconditionnelle, à Öcalan et son propre sort de futur « désarmé ». Car officiellement, les commandants se rallieront au plan de leur leader.
Concernant le retrait du PKK de Turquie, voire même l’exil de ses commandants militaires, le BDP de son côté, assure lui aussi ne pas être au courant de ce « retrait » prévu de la guerilla et Demirtaş, son co-président, a rejeté cette éventualité, tout comme Karayılan l’avait fait le 1er janvier, et à peu près dans les mêmes termes : 
« Ce n’est pas une formule que le PKK peut accepter. Après tout, le PKK est une organisation qui vit au Kurdistan. Pourquoi voudraient-ils déposer les armes au Kurdistan et partir vivre dans d’autres pays ? » 
Demirtaş continue d’insister sur la demande « d’autonomie » accordée aux régions kurdes : « Comment cette autonomie sera créée, en quoi elle consistera, peut être discuté mais dire que, du point de vue kurde, il y a renoncement à l’autonomie, est faux. Seule la façon dont elle sera implantée peut changer » 
Le co-président du BDP a indiqué que lui-même et l’autre leader du parti, Gultan Kışanak, avaient demandé au ministre de la Justice de pouvoir rencontrer à leur tour Öcalan mais qu’ils n’avaient toujours pas reçu de réponse. Il a aussi ajouté que ce plan annoncé ne serait sans doute pas l’accord définitif agréé par Öcalan, qu’il fallait auparavant en « discuter [avec lui], et échanger nos idées ».

En fin de mois, Gultan Kışanak a, à son tour, critiqué l’isolement d’Öcalan durant les négociations, rappelant que Nelson Mandela avait été transféré de sa prison pour une résidence surveillée lors d’un même processus. Selon elle, la reddition préalable de membres du PKK relève du domaine « spéculatif » et il lui semble indispensable que le BDP et le PKK jouent un rôle plus actif, notamment en permettant au BDP de rencontrer Öcalan (aucune allusion ou révélation n’a été publiée sur la rencontre avec Ahmet Türk et Ayla Akat Ata).

Le BDP n’est pas le seul à se plaindre de l’opacité des négociations. L’opposiiton turque réclame aussi plus de « transparence ». Ainsi le vice-président du CHP, Faruk Loğoğlu, se plaint que le Parlement n’ait, pour le moment, pas son mot à dire dans le processus. De façon surprenante, Loğoğlu, s’il se dit favorable à une solution non-militaire, réclame en effet qu’en place et lieu d’Öcalan pour interlocuteur, le gouvernement choisisse de s’adresser à l’Assemblée nationale turque pour trouver une solution, en blamant le fait que l’avenir de la Turquie soit à présent subordonné à des pourparlers avec le leader du PKK. Il critique par ailleurs le flou et l’incertitude qui règnent sur les modalités d’un possible désarmement du PKK dont les déclarations contredisent les « avancées » publiées dans la presse turque.

On ne voit pas trop ce que le Parlement turc pourrait apporter de nouveau à un conflit de 28 ans, même si une réforme radicale de la constitution turque réussissait enfin à être votée. Mais il est certain que s’appuyer uniquement sur Öcalan pour négocier un plan de route menant à une paix définitive peut être irréaliste si Ankara ne tient pas compte des positions de la guerilla. Dans le même temps, le Conseil de présidence, tout comme le BDP, ayant toujours proclamé agir soit au nom, soit pour le compte d’Öcalan, il leur sera difficile, surtout devant leurs militants, de totalement désavouer les choix politiques de leur leader, au risque de voir une désintégration du mouvement (ce qui n’est pas non plus dans l’intérêt de la Turquie).

Dans une interview donné au journal Aswat al-Iraq le 25 janvier, Hajar Zagros, une des cinq responsables du PKK a confirmé que les conditions de base demandées par son parti pour négocier la paix avec la Turquie étaient la libération d’Öcalan, plus celles des 44 avocats et des 10 000 militants kurdes sous les verrous. Elle a indiqué qu’ « à ce stade », le PKK ne souhaitait pas un État kurde indépendant, mais souhaitait la reconnaissance des Kurdes comme seconde nation en Turquie  dans un cadre constitutionnel (reprenant l’idée préalable d’Atatürk d’un État bi-national, ou bien l’actuel bi-nationalité de l'État irakien)

Si l’on tente de discerner à quoi ressemblerait l’après-guerre en Turquie, il faut l'envisager comme devant, d'abord, relever et surmonter trois défis :

– L’avenir et la reconversion politique éventuelle d’Öcalan (comme l’envisageait le journaliste turc récemment disparu Mehmet Ali Birand qui souhaitait qu’il siège un jour au parlement turc ), ce qui supposerait chez le leader du PKK une sacrée faculté de reconversion et d’adaptation (et lui ferait courir un risque d’assassinat assez important de la part des nationalistes turcs).

– L’avenir du BDP, obligé de se plier automatiquement à la nouvelle ligne politique (pour le moment inconnue) de leur leader. À vrai dire, depuis l’époque du HADEP et de tous ses avatars, ce parti a toujours opiné assez docilement devant les revirements et changements de desseins du PKK ou d'Öcalan.

– L’avenir de la guerilla et de ses quelques 4500 combattants, devenus soudain des soldats démobilisés et inutiles, dont il faudra envisager la reconversion et le retour à la vie civile dans un lieu, de plus, inconnu. Il est douteux que la Turquie accède à une des revendications émises dans les milieux kurdes : à savoir que la guerilla deviendrait, à l’instar des Peshmergas du Kurdistan d’Irak, la force de sécurité d’une région kurde autonome. Ce que l’Irak en total décomposition au moment de l’occupation américaine de 2003 a bien été forcé d‘entériner, ce que la Syrie en ruines devra peut-être accepter si elle réussit à renverser le Baath, il est douteux que la Turquie, qui n’est pas dans une telle position de faiblesse, et dont l’armée nationale et la centralisation républicaine sont des dogmes profondément ancrés dans l’État, accepte de se désengager d’un Sud-Est qui deviendrait quasi-indépendant dans sa défense.

Quant à la situation des Kurdes de Turquie en eux-mêmes, qu’ils soient électeurs de l’AKP ou du BDP, elle peut bénéficier d’un climat plus « respirable », au sens où ils ne seraient plus coincés entre un État qui n’a jamais vraiment eu pour priorité ni leur bien-être ni la survie de leur identité, et un mouvement figé dans le passé d’une lutte qui s‘enracine dans des idéologies de libération datant des années 1970 et dont la guerilla, aujourd'hui, est une patate chaude que se refilent la Turquie, le Kurdistan d'Irak, et voire un jour le Kurdistan de Syrie. 

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