Le Kurdistan et ses chrétiens : Entretien avec Louay Shabani, syro-antiochien d'Irak, Italie

"Toute ma famille est syro-antiochienne, ce qui n'a pas empêché des mariages interconfessionnaux ou mixtes. Deux de mes sœurs ont, de fait, épousé des jacobites, donc des orthodoxes, mais cela n'a entraîné aucun problème. La coutume en Orient voulant que les enfants suivent la confession du père, les équilibres familiaux sont sauvegardés par une rotation : on alterne la célébration des fêtes religieuses, pour Pâques on fréquente une église et pour Noël l'autre, bien que les enfants soient affilés à l'église syro-jacobite. En général, il ne se pose pas de gros problèmes, quelquefois seulement des difficultés peuvent surgir pour la célébration de Pâques à cause de sa date et des calendriers liturgiques différents suivis par les deux églises.
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En ce qui concerne leur localisation, les chrétiens qui se trouvent dans l'hinterland de Mossoul, vers la région Nord, sont les plus proches des Kurdes. Et ces derniers temps, un tel voisinage n'est pas seulement géographique mais encore de nécessité : les chrétiens doivent pouvoir disposer d'une force prête à les protéger.
Comme dans tout l'Orient chrétien, chez nous aussi le culte de la Vierge Marie est très développé. Outre les temps liturgiques qui lui sont consacrés par notre rite, sous influence latine, tout le mois de mai lui est aussi consacré par la récitation du rosaire. Les sanctuaires mariaux sont toujours pleins de monde, parfois même de musulmans qui eux aussi ont une grande vénération envers Notre Dame.
Nous autres chrétiens nous constituons une minorité assez faible et nous devons nous confronter à l'islam, c'est pourquoi nous ne créons pas de tension avec les autres chrétiens. Nous avons de bons rapports avec les yezidis.
Dans la province de Mossoul, comme dans tout le pays, l'enseignement est donné en arabe, l'arabe étant la langue officielle de l'Irak, mais nous chrétiens nous parlons le soureth araméen qui se transmet de père en fils et se maintient dans la liturgie. Habituellement il y a des personnes âgées de la communauté qui donnent des leçons aux enfants. Au cours de la divine liturgie, même si elle se célèbre parfois en arabe, le moment de la consécration est toujours en syriaque-araméen. Le missel lui-même est bilingue : arabe et araméen. Le temps passant, à cause des problèmes de survie et de la globalisation, l'usage de l'araméen est un peu en train de se perdre, cette langue qui naquit à l'origine comme parlée et est devenue liturgique, se détachant un peu de celle que les chrétiens parlent à la maison, et devenant quasi-incompréhensible. C'est la raison pour laquelle, dans les célébrations liturgiques, en fonction de son inspiration du moment, le prêtre alterne les deux langues (arabe et syriaque). Dans mon village de Bartella, en semaine les messes du matin sont célébrées en syriaque parce que les personnes âgées préfèrent leur langue maternelle, la messe de fin d'après-midi est en arabe parce que fréquentée surtout par des jeunes qui étudient ou travaillent à Mossoul. Autre particularité : la messe du matin est traditionnelle, le célébrant tournant le dos aux fidèles. Au contraire le soir le prêtre célèbre face au peuple.
Les chants et les hymnes les plus beaux et les plus populaires sont ceux d'Ephrem, transmis oralement de père en fils et mis aujourd'hui seulement par écrit. Nous chantons surtout à Pâques. Il y a une grande participation populaire et beaucoup d'émotion. Par exemple un chant dit "de la Croix" raconte que la croix sur laquelle est mort Jésus a parlé et raconte les différents moments de la crucifixion."
Mirella Galletti, Le Kurdistan et ses chrétiens : Entretien avec Louay Shabani, syro-antiochien d'Irak, Italie, 2007.

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