Histoire de Titan Tamar Hussein
Des massacres de l'Anfal, le génocide des Kurdes perpétré par Saddam, les témoignages sont rares concernant les fosses communes car, contrairement aux attaques chimiques qui tuèrent beaucoup mais pas toujours instantanément, il y eut peu de possibilités d'en réchapper. Un nombre infime de personnes a pu survivre à la fois aux balles et à l'étouffement quand les soldats irakiens les croyaient morts dans les fosses.
Titan Tamar Hussein, 56 ans, de la ville de Qasrok, près de Shekhan (province de Duhok) est de ceux-ci.
Le 13 mars 19919, alors qu'il est âgé de 19 ans, son destin aurait dû s'achever, comme trois de ses frères, un oncle et six autres Kurdes, dont un enfant de 12 ans, criblé de balle et enterré dans une fosse commune. Par miracle, des 8 balles qui le visèrent, aucune n'entama plus que les vêtements qu'il portait et, au bout de 20 minutes, il put se dégager de la fosse qui ne contenait plus que des cadavres.
Au soir du 13, en effet, la mère de Titan lui demande de ramener son frère Bashar. Il se rend alors à Duhok en voiture avec deux autres de ses frères, Muhammad et Abdul-Jabar, pour se rendre chez leur oncle Abdul-Rahman où ils le trouvent. Tous reprennent alors le chemin du retour.
C'est alors qu'ils sont capturés par l'armée irakienne :
"C'était l'heure de la prière du soir et nous avons passé l'intersection de la ville de Faïda (20 km à l'ouest de Duhok). C'est alors que nous sommes tombés dans une embuscade des Forces militaires irakiennes. Au début, nous pensions que c'était des Peshmergas (résistants kurdes), mais quand nous nous sommes approchés, nous avons vu que c'était des soldats. Ils nous ont immédiatement tirés hors de la voiture et nous ont bandés les yeux. Nous ne cessions de demander ce que nous avions fait et de répéter que nous étions des Irakiens, tout comme eux. Ils nous disaient qu'ils ne nous feraient pas de mal. Ils voulaient seulement nous interroger et ensuite nous libéreraient."
Titan, ses frères et leur oncle Abdul-Rahman sont emmenés au quartier général militaire de Filfel, près du village de Badrik, district de Faïda. Ils y restent enfermés, toujours aveuglés, deux jours durant.
"La troisième nuit, ils ont amené six autres personnes, des Kurdes. L'un d'entre eux était un enfant de 12 ans. Le troisième jour, qui était aussi le premier jour du Ramadan, on nous a mis dans une voiture et ils nous ont dit que nous allions être interrogés. Ils nous ont conduit hors du quartier général, nous avons roulé près d'un kilomètre, quand soudain la voiture a stoppé, deux personnes sont descendues et ont crié : "Ils vont nous abattre !" Alors deux soldats sont venus sur moi, m'ont saisi par le cou, m'ont tiré hors de la voiture à côté de ces deux personnes. Ils ont mis 11 d'entre nous dans un trou qui faisait 12 m de long, qui avait été creusé par un camion-pelle."
Titan et les autres implorent les soldats en leur assurant qu'ils n'étaient que de pauvres gens, sans liens avec les Peshmergas, mais sans résultat :
"ils nous ont dit de rester tranquilles, fils de porc, vous êtes des amis de Mam Jalal (Jalal Talabani, l'actuel président kurde de l'Irak). Nous allons vous tuer."
Basharm le frère de Titan, se tourne vers lui et lui demande pardon (quand des Kurdes se séparent, pour la mort ou un long voyage, ils se pardonnent mutuellement leurs offenses), prononce la Shahada, la profession de foi musulmane et dit : "Nous sommes finis."
"Juste quand Bashar parlait, les tirs ont commencé et nous avons tous commencé de crier et pleurer. Après un tir nourri, l'enfant de 12 ans a hurlé : "Finissez-moi !" Le commandant de la troupe a abattu sur l'enfant, et j'ai pu voir qu'il abattait encore deux autres personnes derrière moi."
Après avoir tiré, les soldats recouvrent la fosse. À ce moment, Titan ne savait plus s'il était mort ou vivant – "J'ai vu le Jour du Jugement de mes propres yeux", avant de réaliser qu'il est sauf. "Je me suis examiné et j'ai vu que j'étais sain et sauf, et je me suis dit : "Mon Dieu ! Qu'est-ce qui se passe ? C'est le Jour du Jugement ? Qu'est-ce qui se passe ?"
"Après 20 minutes, j'ai entendu les voitures partir et j'ai essayé de sortir de la tombe ; quand je suis sorti, j'ai pris la direction du nord. J'ai fait 20 mètres en marchant, puis mes yeux se sont assombris et je suis tombé. Je ne pouvais plus marcher. Le matin suivant, j'ai pu gagner le village d'Alkishkiye. On m'a demandé où j'allais et j'ai dit que je me rendais à la ville de Qasrok. Ils m'ont demandé comment je pourrais y aller, car c'était très loin. Je suis alors allé en voiture à Qasrok et quand j'ai raconté à mes parents ce qui s'était passé, ils sont devenus fous."
26 jours après les meurtres, Titan revient à Faïda, avec quelqu'un de sa famille, déguisés avec des vêtements arabes, pour tenter de retrouver les corps.
"Nous avons cherché dans toute la zone jusqu'à ce que nous trouvions la tombe et j'ai vu tout de suite les corps de mes frères, mais nous avions trop peur des forces de Saddam pour les en retirer."
8 mois plus tard, Titan entend dire que Tahsin Beg, le prince des Yézidis, a fait exhumer une fosse de yézidis tués. Titan vient alors l'informer qu'il connaît, lui aussi, une fosse contenant les corps de 11 personnes.
"Immédiatement, nous nous sommes rendus sur les lieux et avons ouvert la tombe. Par leurs cartes d'identité et leurs vêtements j'ai identifié mes frères, ainsi que mon oncle. Entretemps, ils avaient mis d'autres personnes dans la fosse, il y en avait maintenant 6 de plus, mais nous ne les connaissions pas, aussi nous les avons ré-ensevelis."
Deux des frères de Titan étaient mariés et leurs familles revinrent à sa charge. Actuellement, il doit entretenir 3 familles, soit 20 personnes. Sa situation financière n'est pas aisée et il a reçu peu d'aide du gouvernement. "Ils ont donné seulement deux terrains aux familles de mes frères. Je suis un martyr survivant mais je ne touche aucun revenu. Je demande au PDK et au président Barzani de nous aider, parce qu'après ce qui s'est passé, nous ignorons ce qu'est le bonheur."
La semaine dernière, Titan a été appelé à témoigner devant la cour suprême irakienne, à Bagdad, qui juge les meurtres de masse de 1991 (ceux qui ont suivi la révolte kurde et chiite de cette même année, quand après le retrait de Saddam du Koweit, les Forces alliées ont laissé massacrer les chiites et les Kurdes que Bush senior avait pourtant appelé à se révolter en les assurant de leur appui) :
"J'ai été très heureux quand j'ai vu ces tyrans derrière les barreaux. J'ai dit au tribunal ce que j'avais vécu et que j'espérais que ceux qui étaient derrière les barreaux connaissent le même sort que Saddam."
La cour suprême irakienne doit d'ailleurs envoyer une équipe pour ouvrir la fosse et identifier le reste des victimes, mais, selon un avocat kurde de la partie civile, ce déplacement a été reporté "pour raisons financières", les frais en incombant à cette cour.
Quand au jugement, il se poursuit et en est à sa 35ème session.
(source Rudaw.net, reportage Abdulla Niheli)
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