SYRIE: LES KURDES DANS UNE SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DE PLUS EN PLUS DIFFICILE
123 réfugiés se disant Kurdes de Syrie, ont été débarqués sur les côtes de Corse par leurs passeurs. Immédiatement transférés par les autorités françaises dans plusieurs centres de rétention administrative, sans avoir pu déposer dans les règles une demande d’asile, les réfugiés ont été finalement libérés par les tribunaux à l’issue d’une polémique opposant le ministre de l’Immigration, Éric Besson, aux associations de défenses des réfugiés et du droit d’asile, comme la CIMADE ou le Forum des réfugiés. En effet, la procédure pour les demandeurs d’asile prévoit de placer les requérants dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile et non dans des centres de rétention. Le ministre de l’Immigration a alors argué qu’il « était impossible d'amener en quelques heures à la pointe sud de la Corse des dizaines d'interprètes, d'avocats, de médecins et de trouver sur place un local de rétention administrative respectant l'ensemble des normes en vigueur. »
Mais la polémique portait aussi sur les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière dont les réfugiés ont fait l’objet avant même d’avoir pu déposer des dossiers de demandes d'asile. Finalement, les juges des libertés et de la détention de Marseille, Nîmes et Rennes ont décidé de libérer tous les réfugiés, en estimant que leurs droits ne leur avaient pas été notifiés et qu'ils n'étaient pas placés en garde à vue, ce qui induisait que leur détention n’avait aucun cadre juridique légal. Éric Besson a donc été contraint de faire marche arrière, en annulant l’arrêté de reconduit à la frontière et en acceptant l’hébergement des réfugiés « dans des lieux d'accueil gérés par l'Etat en partenariat avec la Croix-Rouge ».
Indépendamment d’une polémique juridico-politique purement française, le destin de ces 123 réfugiés a brièvement remis sur le devant de la scène médiatique le sort des Kurdes de Syrie, et particulièrement les Kurdes « sans-papiers », c’est-à-dire arbitrairement déchus de leur citoyenneté depuis le début des années 1960, et qui seraient plus de 300 000. Les persécutions contre les Kurdes, apatrides ou non, ne décroissent pas en Syrie et la pression contre les mouvements politiques et les militants pour les droits de l’homme s’accentue, sans pouvoir étouffer leurs revendications. Cela peut même, paradoxalement, les conduire à formuler de nouveaux objectifs politiques, jusqu’ici tabou dans l’espace politique syrien, et peut-être inspirés de l’expérience kurde en Irak : ainsi, quatre membres du parti politique Yekitî (interdit) ont été arrêtés ce mois-ci, ce qui n’est pas un fait nouveau en soi, mais pour avoir exprimé le souhait d’une « autonomie politique » pour les territoires kurdes de Syrie.
Cette revendication a été formulée ouvertement en décembre 2009 lors du Sixième Congrès du parti Yekitî. Les quatre hommes y avaient défendu l’idée d’autonomie comme solution à la question kurde en Syrie, idée qui avait été débattue à l’intérieur du Parti, jusqu’ici enclin à se concentrer sur la question des droits de l’homme, des libertés et du sort des sans-papiers. Par la suite, les quatre responsables politiques ont été arrêtés, sans que le lien direct entre leur prise de position et leur détention soit clairement établi. Les quatre politiciens arrêtés sont : Hassan Ibrahim Saleh, né en 1947, Mohamed Mustafa, né en 1962, tous deux résidant à Qamishlo. Marouf Mulla Ahmed, né en 1952, tous trois membres du Bureau politique de Yekitî, résident à Qamishlo. Le quatrième, Anwar Nasso, militant politique, est né en 1962 et à Amude. Leur arrestation a été condamnée par l’ensemble des partis politiques syriens et les ONG kurdes défendant les droits de l’homme en Syrie.
Des procès sont tenus aussi, pour des motifs encore plus arbitraires. Ainsi, sept hommes, dont certains faisant partie d’un groupe de musiciens professionnels, ont été arrêtés en octobre 2009 pour avoir chanté en kurde lors d’une noce. La fête a alors été dispersée par les forces de sécurité syriennes. Les musiciens et le frère d’un des garçons d’honneur ont été emmenés en détention dans une prison de Qamishlo. Des ONG locales ont reçu des témoignages attestant de tortures subies, ayant eu pour conséquences l’hospitalisation d’un des musiciens, Jamal Sadoun, qui présentait plusieurs lésions physiques, notamment aux pieds. Le 17 de ce mois, le juge militaire de Qamishlo a interrogé les détenus sur les charges pesant sur eux, à savoir « incitation à des conflits sectaires ». Les prisonniers, Jamal Sadoun, Mihad Hussain, Djawar Munir Abdullah, Djiwan Munir Abdullah, Hossan Ibrahim, Zahid Youssef, musciens, et Abdel Latif Malaki Yaco, le propriétaire du restaurant où avait eu lieu la noce, ont tous plaidé non coupables. Malgré l’indigence des faits, le juge n’a pas annulé le jugement, mais l’a seulement repoussé au 17 mars pour laisser le temps aux avocats de préparer leur défense.
Le même jour, le même juge a condamné d’autres détenus d’opinion à des peines de prison. Il s’agit de Khalil Ibrahim Ahmed, Mohamed Shekho Issa, Abdelsalam Sheikhmous Issa et Rami Sheikhmouss al-Hassan, détenus depuis la mi-mars 2009. Ils avaient participé à une commémoration du 16 mars 1988, jour où la ville kurde de Halabja avait été anéantie sous les bombes chimiques par l’armée irakienne. Ils avaient été auparavant condamnés à 6 mois de prison pour incitation aux conflits sectaires, mais leur peine avait été réduite à 3 mois chacun. Les trois hommes ont fait appel.
Mais en plus des pressions politiques, les Kurdes de Qamishlo subissent de graves difficultés économiques, aggravées par une sécheresse face à laquelle les agriculteurs, majoritaires dans cette région, ne reçoivent aucune aide gouvernementale. Beaucoup d’entre eux quittent leur village pour la capitale, Damas, ou d’autres grandes villes, ne pouvant plus vivre de leurs terres. La contrebande de cigarettes ou de produits électro-ménagers, d’essence et même de moutons est également florissante avec l’Irak. Beaucoup de villages dans ce nord-est de la Syrie offrent ainsi un aspect fantomatique, à demi-désertés. L’appauvrissement de toute une population a des répercussions inquiétantes, non seulement sur la santé mais aussi sur l’accès aux soins. La plupart des familles ne peuvent se rendre dans les cliniques privées très onéreuses et dépendent des établissements hospitaliers publics et des dispensaires, où les soins sont médiocres. La situation affecte aussi l’éducation. Des instituteurs témoignent du nombre croissant d’enfants manquant l’école, poussés par leur famille à travailler. De plus, les fournitures scolaires sont trop chères pour les foyers nécessiteux.
La Djezireh est pourtant une riche terre agricole, abondamment pourvue en cours d’eau, où sont traditionnellement cultivés le blé, le coton, des fruits et légumes. 30% des productions agricoles syriennes viennent de cette région. De l’avis d’experts, la sécheresse a été aggravée par une politique insuffisante en matière d’irrigation. Selon des sources gouvernementales, ainsi que des estimations de l’ONU, c’est plus d’un million de personnes qui seraient ainsi touchées par la sécheresse. 800 000 d’entre elles vivraient dans des conditions de survie très précaires. Toujours selon l’ONU, ce serait de 40 000 à 60 000 familles qui auraient quitté leur foyer pour vivoter dans les villes. En août dernier, la Syrie, relayée par des organisations humanitaires, avait tiré la sonnette d’alarme en parlant de « catastrophe humanitaire ». L’ONU avait lancé une demande d’aide alimentaire, d’un montant de près de 53 millions de dollars, destiné à la population et au bétail. Mais en raison des tensions politiques qui existent entre la Syrie et ses voisins, et de sa mauvaise réputation sur le plan international, les fonds mettent beaucoup de temps à se débloquer, comme l’a confirmé, en octobre dernier, un responsable des Nations-Unies en poste à Damas, dans une interview donnée au Financial Times. En plus des fonds provenant de l’ONU, les pays donateurs sont, pour le moment, l’Australie, l’Irlande, l’Arabie saoudite, la Suède. D’autres aides sont attendues des États-Unis et de l’Union européenne.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) de l’ONU prévoit en plus une aide alimentaire de 22 millions de dollars pour le mois de juillet prochain, qui devrait concerner 300 000 personnes dans les régions de Raqqa, Deir Ezzor et Hassakeh. Le responsable du PAM pour la Syrie, Mohannad Hadi, explique que « la majorité de la population touchée fait face à des difficultés extrêmes et a épuisé tous ses recours de survie. Le PAM a lancé une nouvelle opération d’urgence pour palier les déficits nutritionnels auprès de la population la plus vulnérable, avec une attention particulière pour les femmes et les enfants de moins de cinq ans. » Mais des responsables locaux estiment cette aide insuffisante au regard des besoins de la population vivant dans les régions sinistrées. « Il n’est pas exagéré de dire que les gens meurent de faim ici », affirme un représentant du Parti Baath pour la Djezireh, s’exprimant sous couvert d’anonymat. Selon lui, les autorités locales ont averti le gouvernement central à maintes reprises de la gravité de la situation, mais sans effet, même si en juin 2009, le gouvernement avait distribué des rations alimentaires, contenant de la farine, du sucre, de l’huile et autres produits pour les familles les plus en difficulté : « Les distributions de nourriture ne suffisent pas, parce que la corruption est générale et une partie de cette nourriture est volée. »
Mais la sécheresse n’est pas la seule responsable de l’appauvrissement de la Djezireh. Beaucoup critiquent l’absence de programmes de développement industriel et touristique dans la région, pourtant riche en ressources naturelles, comme le gaz ou le sulfure, ainsi qu’en vestiges archéologiques qui pourraient être attractifs pour le tourisme.
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