PREMIERE VISITE DE NOURI AL-MALIKI AU KURDISTAN D’IRAK DEPUIS QU'IL EST PREMIER MINISTRE


Le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki s’est rendu le 2 août dans la Région du Kurdistan, ce qu’il n’avait jamais fait depuis qu’il avait pris ses fonctions en 2006. Mais les points de désaccord grandissants entre Bagdad et Erbil, ainsi que la vivacité des échanges entre Nouri Al-Maliki et Massoud Barzani, le président kurde, ont incité les Américains à suggérer fortement la tenue de cette rencontre. C’est d’ailleurs après une rencontre avec le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, que Massoud Barzani avait annoncé l’ouverture de futures négociations avec le gouvernement central. Quant au commandant américain des troupes d’Irak, le général Ray Odierno, il a qualifié de « première source d’instabilité » le conflit arabo-kurde. Nouri Al-Maliki a été accueilli à l'aéroport de Souleimaniyeh par le président et le vice-Premier ministre irakiens Jalal Talabani et Barham Saleh, ainsi que par Kosrat Rassoul, le vice-président du Gouvernement régional du Kurdistan. Ils se sont ensuite rendus à Doukan, au quartier général de l'Union patriotique du Kurdistan, le parti de Jalal Talabani.

La rencontre avec Massoud Barzani a eu lieu le lendemain et s’est conclue par une conférence de presse conjointe, dont le ton s’est voulu apaisant et optimiste, de tous les côtés : « Une équipe commencera dès ce soir à discuter des conflits politiques et stratégiques et une délégation du Kurdistan viendra à Bagdad, et j'espère que Nêçirvan Barzani (l’actuel Premier ministre de la Région kurde) en fera partie, pour discuter des questions en suspens et régler les problèmes », a déclaré Maliki. « Nous avons différents points de vue et cela est naturel, car nous bâtissons un Etat démocratique sur les ruines d'une dictature (...) Je suis satisfait de la réunion (d'aujourd'hui) et nous nous sommes mis d'accord pour continuer à nous rencontrer à tous les niveaux. » Massoud Barzani s’est dit, pour sa part, « toujours flexible » : « Nous nous sommes mis d'accord pour résoudre les problèmes entre la région (du Kurdistan) et le gouvernement. La réunion d'aujourd'hui a été très positive ». « Cette visite a été productive et réussie. Nous avons eu une réunion honnête et fraternelle » a renchéri Jalal Talabani. Mais devant la persistance du désaccord kurdo-arabe à propos du statut de Kirkouk, de hauts responsables des forces de sécurité locales souhaitent ouvertement le maintien d’une présence militaire américaine dans cette province, même après le retrait définitif du reste des troupes américaines dans le reste du pays, prévu pour fin 2011. Ainsi le général Bakr, un Kurde responsable des forces de police de Kirkouk « espère » que ce retrait ne concernera dans l'immédiat pas la base américaine Warrior, dont il souhaite le maintien jusqu’à ce que les différentes factions de Kirkouk, ainsi que les gouvernements d’Erbil et de Bagdad, soient parvenus à un accord. Selon le général Bakr, un tel accord n’est pas utopique : « Le gouvernement autonome kurde sait que son avenir est avec l'Irak et le gouvernement irakien sait qu'il a tout à gagner d'une bonne relation avec le gouvernement autonome. »

Mais à Kirkouk, l’opposition arabo-turkmène pour faire abroger l’article 140 de la constitution irakienne, demandant que le statut de Kirkouk soit réglé par référendum, ne désarme pas et plusieurs partis arabes et turkmènes réclament du Parlement irakien cette abrogation. Ainsi, le vice-président du parti turkmène Al-Aadal, Hassan Torman, estime que « cette affaire n'est ni entre les mains du gouvernement irakien, ni dans celles du gouvernement régional kurde mais elle est du ressort du Parlement fédéral. C'est lui qui doit valider ou non cet article », nonobstant le fait que la constitution irakienne a tout de même été rédigée par une commission parlementaire composée de 55 élus irakiens et adoptée par référendum par plus de 80% des électeurs irakiens. Cependant, selon le journal officiel As-Sabah, l’actuelle commission parlementaire chargée de la révision de cette constitution pourrait modifier plusieurs articles, dont l’article 140, en supprimant la tenue du référendum, tandis qu’une indemnisation serait proposée aux personnes chassées de Kirkouk, mais sans relogement ni récupération de leurs biens. Mohammad Khalil Al-Joubouri, chef de la liste arabe du Conseil provincial de Kirkouk, estime par ailleurs que le délai ultime prévu dans l’article pour la tenue du référendum étant dépassé de bientôt 2 ans, cette disposition est caduque. Mais les Kurdes s’étaient déjà assurés, lors de la rédaction de cette constitution, que ces articles ne puissent être abrogés aisément par la suite. Les révisions constitutionnelles, en plus de devoir être approuvées par le Parlement et par référendum, comme la première fois, peuvent être bloquées si trois gouvernorats irakiens s’y opposent, ce qui donne ainsi, de facto, au Gouvernement régional du Kurdistan un droit de veto sur toute modification ou abrogation de cet article. Lors de sa visite du 2 août au Kurdistan, Nouri Al-Malik a reconnu lui-même le caractère constitutionnel de l’article 140, tout en appelant à une « solution pour préserver les intérêts des différentes composantes du peuple (...) dans le cadre de l'Etat irakien ». Sans répondre explicitement aux demandes des autorités de Kirkouk de prolonger leur présence militaire au-delà de 2011, les Etats-Unis ont cependant entamé des discussions avec le gouvernement irakien sur un accord éventuel qui permettrait à une force tripartite, kurde, arabe et américaine d’assurer provisoirement la sécurité dans cette province. Selon le général Ray Odierno, cette coopération à trois ne serait qu’une étape vers la formation d’une force « irako-kurde » qui pourrait opérer dans les territoires concernés par l’article 140, principalement Ninive, Kirkouk et Diyala, alors que, selon lui, « Al-Qaïda s'engouffre dans le fossé qui s'est creusé entre Arabes et Kurdes dans la province de Ninive et dans la région autonome kurde, et ce que nous cherchons à faire est combler ce fossé ».

Venant corroborer les dires du général américain, un attentat est survenu le 10 août dans le village de Khazna, à 20 kilomètres de Mossoul, peuplé de Shabaks, une secte religieuse kurde non musulmane, tout autant visée par les fanatiques d’al-Qaïda que les yézidis. Deux camions piégés ont détruit 35 maisons, faisant 28 morts et 155 blessés dans cette localité de 3 500 habitants. Le 16 août dans cette même région de Ninive, une bombe posée sur une route a blessé l’unique représentant, au sein du conseil provincial, de la secte religieuse kurde des Shabaks, alors qu’il circulait en voiture avec deux assistants. Ces attaques ont avivé la mésentente entre Kurdes et Arabes dans cette province, encore plus vive qu’à Kirkouk. Le parti Al-Hadba, une formation nationaliste d’Arabes sunnites, qui a remporté les dernières élections à Mossoul à la faveur de l’exode des Kurdes et des chrétiens fuyant la ville et ses violences, a accusé les Kurdes d’être à l’origine de ces attentats. Le gouvernement d’Erbil a démenti avec vigueur, en rappelant que les victimes des derniers actes terroristes sont tous des Kurdes, puisqu’en plus des meurtres visant les Shabaks, 21 yézidis ont été tués ce mois-ci dans une attaque-suicide perpétrée à Sindjar : « Nous avons été patients jusqu'à présent pour préserver la tranquillité et la stabilité et pour les empêcher de nous entraîner dans une confrontation aux conséquences terribles ; La réalité c'est que des membres de la liste al-Hadba, notamment deux frères (du gouverneur) sont responsables de la campagne d'attentats et d'assassinats qui visent les Kurdes yazidis et shabaks, les Turcomans et les chrétiens, et plus de 2.000 kurdes ont été tués à Mossoul sans mentionner le déplacement de centaines de familles chrétiennes et kurdes », a déclaré le porte-parole du Gouvernement régional kurde. Les accusations d’al-Hadhba ne semblent pas, en tout cas, avoir convaincu les Shabaks eux-mêmes, puisque dans une interview donnée au journal du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), un leader religieux de cette communauté, Molla Selim Djouma, affirme que « les peshmergas vont assurer la sécurité des 52 villages des chabacks en creusant des fossés et en mettant 12 gardes par village pour les protéger des attaques terroristes. »

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