Dans la grotte de l'ermite
(...)
Quand on avait traversé le premier espace, on passait par une petite ouverture que fermait une porte aux planches grossières, dans la chambre de l'ermite, moins rudimentaire. Il avait sué sang et eau pour en niveler le sol avant d'y répandre un sable blanc, qu'il mouillait tous les jours grâce à l'eau que déversait une petite fontaine jaillissant d'un rocher dans un coin et offrant, dans ce climat étouffant, un rafraîchissement pour l'oreille et pour le palais. Des matelas, faits de fibres d'alfa tressées, jonchaient le sol au pied des parois, qu'on avait à peu près aplanies comme le sol, et décorées de fleurs et d'herbes odoriférantes. Deux flambeaux de cire, que l'ermite alluma, apportèrent un air de gaieté en parfumant l'air frais qui circulait là et contribuèrent à l'atmosphère de bien-être.
Dans un coin étaient posés des instruments aratoires, et, dans un autre, une niche abritait une statue de la Vierge de facture grossière. Sur une table qui, comme les deux chaises, était visiblement de la fabrication de l'anachorète, tant ce mobilier avait peu à voir avec le style oriental, et où s'étalaient des roseaux et des légumes secs, Théodoric disposa avec soin de la viande séchée, de manière à éveiller l'appétit de ses hôtes. Cette démonstration de courtoisie, même si elle ne s'accompagna d'aucun discours et se réduisit à une suite de gestes, dépassait l'entendement de Sir Kenneth, qui la trouvait en totale contradiction avec ce qu'il avait constaté de violence et de déraison : les mouvements de l'ermite s'étaient pacifiés et, apparemment, seul un sentiment d'humilité religieuse empêchait ses traits, qu'avait creusés une vie austère, d'afficher noblesse et gravité. Il arpentait sa cellule en homme qui semblait né pour commander mais qui avait renoncé à son empire pour se faire le serviteur du ciel. Il faut cependant reconnaître qu'une taille gigantesque, des boucles et une barbe longues et incultes, des yeux caves et égarés jetant des flammes signalaient le guerrier plutôt que le reclus.
Le Sarrasin lui-même semblait considérer avec une certaine vénération l'anachorète vaquant à cette tâche, et il murmurait à l'oreille de Sir Kenneth :
– Le hamako a retrouvé ses esprits, mais il ne parlera que lorsque nous aurons mangé : tel est son vœu.
Ce fut donc d'un signe muet que Théodoric invita l'Écossais à prendre place sur l'une des chaises basses cependant que Shirkouh s'installait à la mode orientale sur un coussin fait de nattes. L'ermite leva alors les deux mains comme pour bénir la collation qu'il destinait à ses hôtes, qui attaquèrent leur repas en imitant le profond silence qu'il gardait. Si pour le Sarrasin cette gravité était naturelle, le chrétien, du coup tout aussi taciturne, en profita pour méditer sur l'étrangeté des circonstances, et mesurer le contraste entre les manifestations bruyantes de sauvagerie et les gestes de dément de Théodoric, lors de leur première rencontre, et l'empressement discret, mêlé de solennité et de componction avec lequel il s'acquittait désormais des devoirs de l'hospitalité.
Le repas terminé, l'ermite, qui n'avait pas porté quant à lui la moindre nourriture à sa bouche, débarrassa la table de ses reliefs et, plaçant devant le Sarrasin une cruche de jus de fruits, attribua à l'Écossais un flacon de vin.
– Buvez, mes fils – c'étaient les premiers mots qu'il prononçait. Les dons de Dieu sont faits pour qu'on en jouisse, pour peu qu'on se souvienne de qui les donne.
À suivre...
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