AHRIMAN
Sombre Ahriman, ô toi que l'Irak tient encorePour la source des maux que les hommes déplorent,
Quand, prosternés à ton autel,
D'un oeil troublé nous observons le monde,
Où voyons-nous un empire à la ronde
Comparable au tien sous le ciel ?
Si la Dignité bienveillante est capable
De faire jaillir l'eau dans un désert de sable
Où le pèlerin las trouve un breuvage,
La vague vient de toi qui les rochers fouette
Et le brutal assaut mené par la tempête
Quand des bateaux sans nombre font naufrage !
Ou bien s'Il peut ordonner au sol de produire
Des baumes pour celui qui va s'évanouir;
Il ne saurait guérir que quelquefois
Souffrance vive ou douleur qui s'installe,
Fièvre ardente ou bubon de fièvre fatale,
Ces traits tirés de ton carquois !
Au cœur de l'homme c'est ta force qui opère
Et fréquemment, lorsque s'élèvent nos prières
Devant un autre trône que le tien,
Quelle que soit cette forme trompeuse,
Notre louange, à sa façon mystérieuse,
C'est à toi Ahriman, qu'elle revient.
Es-tu sensible, as-tu des sens ou une image ?
La foudre, est-ce ta voix, et ton habit l'orage
Comme les mages d'Orient le croient ?
As-tu une âme qui ressent haine et fureur,
Des ailes pour glisser sur ta voie de terreur,
Des crocs pour déchirer ta proie ?
Ou bien de la nature es-tu la source vive,
Force sans cesse en mouvement, toujours active,
Changeant le bien en mal odieux,
Un principe de malveillance innée
Luttant contre le bien de notre destinée,
Hélas, toujours victorieux ?
Quoi qu'il en soit, que sert de raisonner ?
Sur le monde extérieur tu as toujours régné
Non moins que sur le monde intérieur.
La ronde déchaînée des mortelles passions,
Amour, haine, terreur, joie ou ambition
Sont aiguillons pour damner le pêcheur.
Chaque fois qu'au soleil jaillit une lueur
Pour éclairer notre vallée de pleurs,
C'est que tu hantes les parages.
Au cœur des brefs répits qu'offre notre destin,
Aiguisant jusqu'aux couleurs de nos festins
Tu en fais des outils de mort et de carnage.
Ainsi, depuis notre heure de naissance,
Tant qu'ici-bas dure notre existence,
Tu régis le sort des humains.
À toi le dernier râle où notre souffle expire
Et ton pouvoir – qui oserait le dire ? –
Sombre esprit, alors prend-il fin ?
Peut-être ces strophes n'étaient-elles que la production, somme toute assez attendue, de quelque philosophe peu éclairé qui n'avait vu dans cette divinité mythique, Ahriman, que l'omniprésence du mal moral et physique, mais aux oreilles du chevalier au léopard elles sonnèrent tout autrement : chantées par un homme qui venait de se glorifier d'être un descendant des démons, elles lui parurent étrangement ressembler à une prière au chef des démons en personne. Aussi balançait-il : ouïr pareil blasphème dans le désert même où Satan avait été repoussé pour avoir exigé allégeance impliquait-il qu'il signifiât sa réprobation en prenant simplement mais brutalement congé, ou fallait-il aller plus loin et se sentir contraint par son vœu de croisé de défier sur le champ l'infidèle en combat singulier, en abandonnant aux bêtes sauvages pour finir ? Il en était là lorsque son attention fut soudain attirée par une apparition inattendue.
(à suivre)
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