Appel à contribution

Annales Islamologiques no 41 (juin 2007)


En juin 2007, les Annales Islamologiques publieront un numéro thématique consacré aux conventions diplomatiques dans le monde musulman. Les chercheurs intéressés sont invités à soumettre des propositions de contribution. Ces propositions d'articles (titre et résumé d?une page maximum) devront être envoyées avant le 15 juin 2006 à cette adresse email : Une réponse sera donnée aux auteurs avant le 30 juin. Les textes définitifs, en français, anglais ou arabe, devront être transmis à la coordinatrice début octobre 2006 au plus tard. Ils seront soumis à un comité de lecture qui pourra, le cas échéant, demander des modifications aux auteurs.


"Les conventions diplomatiques dans le monde musulman :
L'umma en partage
(1258-1517)

Au lendemain de la conquête mongole, des régions aux traditions islamiques anciennes se retrouvent brutalement confrontées à de nouveaux codes et doivent se soumettre à un pouvoir structuré par des représentations du monde profondément étrangères à l'Islam. Pour la première fois, une autorité non islamique s'étend sur de nombreuses populations de confession musulmane. Le Dâr al-islâm semble sur le point de sombrer, noyé dans le Dâr al-harb.

Cependant, en un laps de temps relativement bref, les nouveaux souverains, leurs cours et les peuples qui avaient migré dans le sillage des armées turco-mongoles, se convertissent à l'Islam. Au XVe siècle, à peine un siècle et demi après la conquête gengis-khanide, non seulement les territoires musulmans conquis par les Mongols ont réintégré le coeur du Dâr al-islâm mais, en outre, de nouveaux peuples se sont convertis et participent activement au renouvellement de la culture islamique et à sa diffusion. Ces peuples viennent en grande majorité de l'est et du sud-est de l'Asie : turcophones et mongolophones originaires du lac Baïkal, populations malaise, indonésienne et indienne. Au début du XVIe siècle, l'islam s'impose définitivement comme réalité mondiale et son extension connaît une envergure inédite. Les contacts entre les peuples musulmans, convertis récemment ou de longue date, s'intensifient. La circulation des hommes - que ce soit dans le cadre du commerce, de la religion ou de la politique - s'accompagne d'une circulation des savoirs et des pratiques. Le rôle primordial des réseaux marchands et soufis dans la propagation de la foi, de la langue arabe et des traditions de « l'islam classique » est aujourd'hui un fait incontesté dans l'historiographie. De même, l'existence d'une culture supralinguistique et supra-étatique créant un entrelacs de liens complexes entre la Malaisie, la Chine, l'Iran, le Yémen, le Bengale, l'Anatolie, l'Afrique du Nord, etc., est largement attestée dans la littérature historique. Des influences réciproques sont perceptibles, parfois même frappantes, à travers les sources dont nous disposons aujourd'hui.

Or, l'une des caractéristiques du monde musulman entre les XIIIe et XVIe siècles, c'est la diversité de ses centres culturels, administratifs et politiques. Que pouvait donc être la réalité pratique - et les c
nséquences sur les questions d'identité - du rapport entre des Etats que tout distinguait excepté l'idée, parfois forte, mais souvent floue, d'appartenir à une même communauté de croyance ? Peut-on percevoir, à travers pratiques et discours, la transcendance de l'umma ?

Pour aborder cette vaste problématique d'un oeil nouveau, nous proposons d'entamer aujourd'hui une réflexion collective sur la communication interétatique au sein du Dâr al-islâm et sur les conventions diplomatiques qui la structurent. Notre intérêt est motivé, de prime abord, par l'existence de sources nombreuses et de nature extrêmement hétérogène : sources manuscrites (traités, concessions commerciales, missives diplomatiques...) ; miniatures et peintures (représentations de réceptions d?ambassade...) ; monnaies et matériel archéologique (salles de réception, cadeaux d'honneur, objets d?apparat ...). Par ailleurs, malgré l'existence d'études de détail pertinentes sur la diplomatique, les relations internationales ou l'altérité au sein du monde musulman médiéval, celles-ci demeurent trop souvent isolées et souffrent d'un réel manque de coordination. Relancer le débat historiographique sur ce thème, à l'aune des plus récentes recherches et dans un esprit de synthèse, est ainsi le second moteur de ce projet.

Il est nécessaire aujourd'hui de mettre en commun des travaux sur la diplomatique persane, malaise, arabe, turque ou turcique et de faire le point sur les documents d'archives qui ne relèvent pas du codex mais du rotulus/volumen, supports ordinaires de la lettre diplomatique. Si on ne peut que constater et déplorer la disparition de nombreuses sources, en comparant les textes éparpillés dans les archives, on pourra pallier, en partie, les lacunes qui empêchent les chercheurs de produire des études d?ensemble sur ce thème. Réunir et confronter des enquêtes historiques particulières nous permettrait de tirer des conclusions d'une large portée et d'aboutir à une synthèse, laquelle, étant fondée sur les documents d'archives, aurait des effets pratiques indéniables.

Enfin, la périodisation choisie atteste d'une volonté de réfléchir sur une période souvent prise entre deux feux historiographiques : la fin de la période dite de « l'islam classique » avec l'apparition des « menaces » seldjoukides et croisées (XIe-XIIIe, jusqu'à la prise de Bagdad) ; la période de l'hégémonie ottomane (à partir de la conquête du sultanat mamluk en 1516-1517). Or, les siècles intermédiaires, de la conquête mongole à la fin des Mamluks, correspondent à une période particulièrement riche au regard des problématiques qui nous intéressent. Les Musulmans sont majoritairement non-arabes, les langues et les cultures au sein de l'umma n?ont jamais été si diverses, le Dâr al-islâm s'est étendu de manière considérable et les voies de communications, complexes et sinueuses, vont de la Chine à l'Espagne. Enfin, l'imbrication Dâr al-harb/Dâr al-islâm, phénomène déterminant à cette époque, aura des conséquences profondes sur la société et le discours des penseurs musulmans.

Ainsi une réflexion sur les « conventions diplomatiques » permettrait d'investir, non seulement les rapports de tension mais, également, les normes de conciliation - si de telles normes existaient - et les logiques de négociations. Cela porterait à aborder des questions pratiques concernant les us de chancellerie. En particulier, à propos des langues, thème majeur sur lequel nous possédons trop peu d'études et aucun recoupement à grande échelle.

Il serait important de repérer dans quel cas de figure la langue arabe est utilisée, quelles sont les expressions stéréotypées en diplomatie et, parmi elles, les formules coraniques récurrentes. Il nous faudrait traiter également des choix d?écritures, styles et alphabets ainsi que du problème des traductions: les ambassadeurs doublaient-ils oralement le message écrit du souverain et, dans ce cas, en quelle langue s'exprimaient-ils, étaient-ils accompagnés de traducteurs ? Avons-nous des supports pour penser et décrypter les usages de l'oralité en diplomatie ? Est-il fait mention dans les sources de quiproquos ou de malentendus ?

Toutes ces voies passent par une question clef qu'il faudra nécessairement soulever : celle de l'authenticité, fondamentale dans le cadre de la diplomatie, en particulier en temps de guerre. On pourrait, en effet, se demander quels sont les critères garantissant l'authenticité d'une lettre diplomatique ou d'une ambassade. Ce qui mènerait à évoquer la question de l'approvisionnement et de la fabrication des supports d'écriture, de l'encre, des sceaux? et de l'apparition, qui fut en son temps révolutionnaire, du papier filigrané. D'où la nécessité de confronter les sources et de travailler à la constitution d?un corpus commun.

Il serait enrichissant de mettre également à contribution des recherches dont les problématiques, fondées sur des questions de société, permettraient d'élargir le champ des hypothèses de travail et d'entamer une réflexion sur le « consensus social », à l'échelle étatique. La « réalité islamique », en tant qu'elle est constituée d'une multiplicité de pratiques et de discours, est-elle perceptible à travers les échanges diplomatiques ? Sur quoi se fonde un discours de guerre entre Musulmans ? Y a t-il prédominance ou exportation de certains modèles ou discours diplomatiques ? Dans quel cas peut-on parler d'une véritable politique extérieure ? La langue peut-elle être, à cette époque, un cristallisateur d'identité ? Quelle est sa place dans les représentations étatiques publiques compte tenu du statut de l'arabe dans l'islam ? La question de l'existence (ou non) d'une norme linguistique diplomatique - sorte de lingua franca - entre Etats musulmans pourrait ainsi être abordée. Cette ou, plus probablement, ces « interlangues », qui empruntent et mêlent divers lexiques, doivent-elles être considérées comme des langues mixtes ou comme de véritables unités linguistiques autonomes ? Ces langues « non maternelles » qui semblent appartenir à tous (mais sont en réalité l'apanage de voyageurs ou d'expatriés aux fonctions sociales variées) peuvent-elles faire office de creuset identitaire, corrélatif d'un lien supra étatique et supra territorial entre Musulmans ?

Ainsi, considérer que l'umma, présentée comme « en pâture » par les tenants d'un discours sur l'âge d'or de l'islam, se trouve plutôt « en partage », permet d'ébaucher de fécondes hypothèses de travail. Les divergences culturelles ne sont-elles pas autant de miroirs identitaires et les rapports de force, cristallisateurs et libérateurs à la fois ? L'étude des « conventions diplomatiques » pourrait mener à une réflexion en profondeur sur l'articulation entre les modalités d?expression d'un discours entre Musulmans et les rapports de tension, voire les conflits ouverts, qui secouent le Dâr al-islâm ; sur le point d'achoppement entre signification et réalité d'une umma qui s'étend de Grenade à Malacca."

Institut Français d'Archéologie orientale

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