La Maison dorée de Samarkand


Dans La Maison dorée de Samarkand, Corto Maltese traverse l'Anatolie de 1920, alors en plein guerre d'indépendance turco-kurdo anti-arméno-russe. Comme dans Les Ethiopiques ou Le Scorpion du désert, Pratt affectionne les effondrements des empires et ces grands foutoirs où nations du monde et cultes hétérodoxes s'allient et se combattent, entre cupidité des chercheurs de trésors, idéaux patriotiques laminés, confréries secrètes, rêves, transes et passage dans le barzakh...

A Van, nous tombons sur des croquis savoureux de Kurdes. Il y a d'abord les bataillons "musulmans", donc turco-kurdes qui a priori se sont alliés, mais contre qui ? pour quoi ? Comme le dit Corto en Cilicie alors que les français s'apprêtent à se replier (et laisser dans la mouise les Arméniens sur place) :




De fait, dans le camion qui l'emmène à Van, Corto apprend de la bouche du "bandit" Reshid le Kurde que les sentiments fraternels entre ces deux peuples sont plus que mitigés. Disons que face à Kemal Atatürk, certains Kurdes prennent l'option d'Enver Pach et de son grand empire du Touran, pour des raisons toutes intéressées :




Face à ces alliances turco-kurdes musulmanes, un enemi bien clair, les Russes et surtout l'Arménien :




Et une fois arrivés à Van, nous avons un beau passage sur les Yézidis, Pratt étant friand de ces religions mystérieuses et surtout des personnages de derviches, chaman, pîrs et cheikhs. Rappelons que le génocide "arménien" toucha en fait tous les non-musulmans de la région, les chrétiens assyriens et chaldéens et syriaques aussi, et aussi les Yézidis...




D'emblée, les Yézidis apparaissent comme persécutés comme "adorateurs du diable" par nos bons sunnis, et forcés à la conversion plus ou moins volontaire, comme l'explique cet "ex-yézidi" :



Dans le monde d'Hugo Pratt, les rêves et les sorciers sont tous reliés. Ainsi, l'ange déchu des Ethiopiques, Shamaël, réapparaît dans le corps d'extase d'un sheikh yézidi, pour éclairer la route de Maltese, comme il l'avait fait dans le désert avec Cush le bédouin :




On peut s'étonner de ce que le cheikh invoque "sheitan" à voix haute, ce nom étant strictement tabou pour les yézidis. Aussi il est mentionné qu'il n'a le droit de prononcer son nom "qu'une fois l'an". Par chance, c'est précisément la fois où Corto a quelque chose à demander, mais bon, kismet, hein...

Autre passage ramemant aux massacres de Van, la mort d'Enver Pacha, le tueur d'Arméniens, l'idéaliste du Touran qui voyant la partie perdue à la fois contre Mustafa Kemal et contre les Russes décide de mourir sabre au clair, contre les bataillons arméniens des Soviétiques. Kismet, quoi !






Mis à part ces épisodes "kurdes" l'album est naturellement à savourer dans son intégralité, surtout pour le fabuleux Raspoutine, devenu Caïd Raspa, terreur des Ouzbeks...


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