L'affaire Serdeşt Osman en bref
Le Kurdistan est toujours secoué par l'affaire Serdeşt Osman et les manifestations ne se cantonnent pas à Erbil. Le gouvernement et les forces de sécurité, toujours interpellés par l'opinion publique et la presse, ne leur ont pas, pour le moment, apporté de clarifications satisfaisantes. Un récapitulatif des faits et des événements qui se sont succédés, ainsi que toutes les questions et zones d'ombre qui, jusqu'ici, n'ont pas trouvé de réponse, peut être utile pour ceux qui n'auraient pas tout suivi, ni tout bien compris :
Le 4 mai dernier, Serdeşt Osman est déposé par son frère, Serdar Osman, devant l'entrée principale de l'Institut des Beaux-Arts de l'université Salahaddin, à Erbil, en plein cœur de la Région du Kurdistan. Serdeşt Osman y aurait achevé ses études d'anglais le mois prochain. Il écrit aussi pour plusieurs journaux indépendants, des articles critiques envers les deux partis au pouvoir, en traduit d'autres.
D'après des témoins, il a été alors kidnappé par un groupe d'hommes armés circulant dans un minibus de couleur blanche. Son frère Serdar, lui, n'a pas vu l'enlèvement, en raison du nombre de gens qui ont masqué la scène. Il se souvient seulement avoir vu à l'entrée de l'Institut une dizaine de soldats de l'unité Zerevani (relevant du PDK) gardant cette porte, comme à l'habitude.
Le 6 mai, la famille apprend que le corps a été retrouvé à Mossoul, hors de la Région, donc. Selon les forces de l'UPK qui y sont basées (il y a aussi dans la région des forces du PDK), la police de Mossoul les avait alertées après avoir découvert le corps, portant des traces de torture et tué de deux balles dans la tête, identifié par sa carte d'étudiant.
Un autre de ses frères, Beşdar Osman, fait immédiatement le lien avec des menaces téléphoniques que la victime a reçues en janvier dernier, et dont elle avait fait elle-même état dans un article, en raison de ses écrits dans la presse.
Les hypothèses avancées de la part des services de sécurité et des autorités de la Région sont celles d'un groupe terroriste ayant agi à Erbil comme ils font le plus souvent à Mossoul ou Kirkouk, et dans le reste de l'Irak.
Les 75 signataires d'une pétition adressée au GRK, journalistes, rédacteurs, intellectuels, rétorquent, dans leur communiqué, qu'un tel enlèvement ne peut être l'œuvre d'une seule personne, ni d'un petit groupe de gens, ce qui éliminerait, d'emblée, une vengeance personnelle.
Maintenant, dans le cas d'un acte de mafieux-terroristes, est-il plausible d'envisager qu'un groupe venu de Mossoul puisse entrer dans Erbil, enlever en plein jour, sous le nez des Peshmergas, un étudiant sur le seuil d'une université fréquentée, l'embarquer dans son minibus, ressortir de la ville, ressortir de la Région et gagner Mossoul sans être inquiété aux différents check-points de Peshmergas qui contrôlent les allées et venues entre Erbil et Mossoul, sachant la dangerosité de cette frontière avec la province de Ninive ?
C'est ce point précis sur lequel s'appuient des journalistes et des proches de Serdeşt Osman pour accuser les forces de sécurité kurdes des deux partis d'être impliquées directement dans le crime. Plus affirmatif, Reporter sans Frontière accuse, lui, directement les services secrets du PDK, qui ont à leur tête Masrur Barzani, le fils du président Massoud : Erbil est en effet contrôlé par ses membres et non par l'UPK.
Sur le motif du crime, les hypothèses varient, Serdeşt Osman ayant été l'auteur de plusieurs articles mettant en cause différents responsables des deux partis. Le Comité pour la protection des journalistes a d'abord mentionné un article publié dans le quotidien Aştîname, critiquant un haut responsable du GRK, Kosrat Rassoul. D'autres voix dans la presse ont ressorti des charges satiriques visant le président lui-même et l'ancien Premier Ministre, son neveu Nêçirvan Barzani. Selon Beşdar Osman, les menaces de janvier avaient été suivies d'autres avertissements par téléphone, lui demandant de cesser "de se mêler des affaires du gouvernement".
La question est quand même de savoir pourquoi Serdeşt Osman, qui n'était pas le seul à critiquer dans la presse le gouvernement et les partis au pouvoir, qui n'a pas été le premier à avoir été menacé ou intimidé, aurait-t-il fait l'objet d'une vengeance aussi extrême de la part d'officiels ? L'importance de la victime par rapport à tout ce qu'impliquerait un tel crime d'État frappe par sa disproportion.
Le chef de la police d'Erbil, Abdul Khaliq Ta'lat, affirmait le 4 mai au journal Rudaw ne pas avoir été informé auparavant de menaces qui pesaient sur la victime. Mais dans un article antérieur, Serdeşt Osman racontait sa tentative infructueuse de porter plainte auprès de ce même chef de police, dans un article daté du 21 janvier de cette année, ce que Abdul Khaliq Ta'lat continue de nier. Admettons que Serdeşt ait pu affabuler ou vouloir se faire mousser, pourquoi le chef de la police d'Erbil, aussi directement et nominalement mis en cause dans la presse depuis janvier, n'a jamais réagi, sachant combien les autorités, politiques ou militaires, sont prompts à faire usage des lois réprimant la "calomnie" pour faire taire des journalistes ?
Autre point qui interpelle les protestataires : le silence prolongé des media gouvernementaux ou des organes des partis sur l'affaire, jusqu'à ce que, protestations et accusations se multipliant, il n'a plus été possible de l'ignorer. Le 7 mai, le journal Xebat (PDK) rapporte laconiquement que le corps de Serdeşt Osman, un étudiant kurde, a été retrouvé dans la province de Mossoul, après avoir été kidnappé à l'université Salahaddin et qu'une enquête a été ouverte par la police de la Région. Les activités de journaliste de Serdeşt ne sont pas mentionnées, ni le fait que l'enlèvement s'est produit en plein jour, par un groupe d'hommes armés.
RSF a fait le lien avec l'assassinat de Soran Mam Hama, tué à Kirkuk en juillet 2008, mais ce n'est guère convaincant. Certes, les deux victimes ont en commun d'être kurdes musulmans (et donc de n'avoir pas été tués pour raisons religieuses par des islamistes), d'avoir écrit des articles visant des officiels du GRK (mais ils sont loin d'avoir été les seuls), et d'avoir reçu des menaces avant d'être assassinés. Cependant, Soran Mam Hama a été tué à Kirkouk, ville officiellement sous contrôle irakien et non kurde. Et puis le laps de 2 ans entre les deux meurtres ne permet pas d'y voir une politique suivie d'exécutions extra-judiciaires, comme celle du JITEM au Kurdistan de Turquie.
Le choc provoqué par le meurtre de Serdeşt est que cela remet en cause la sécurité interne du Kurdistan et que, bien sûr, le Gouvernement kurde ne peut se défausser de sa responsabilité, quelle que soit la vérité mise à jour, si cela arrive : coupable si son implication est directe, non-coupable s'il s'agit de négligence, mais dans ce dernier cas de toute façon responsable.
Bonjour Sandrine,
RépondreSupprimerMerci pour votre travail de journaliste de qualité.