vendredi, mai 07, 2010

Premier assassinat d'un journaliste au Kurdistan d'Irak



Les funérailles de Serdeşt Osman, 22 ans, qui achevait des études d'anglais à l'université de Salahaddin (Erbil) ont eu lieu hier. Enlevé lundi dernier, sur le campus même de son université, par des hommes armés non identifiés, qui l'ont frappé et embarqué dans un van blanc de marque Hyundai, il a été retrouvé mort à Mossoul quatre jours après son rapt. Le corps, lié aux mains et aux jambes, portait des marques de torture et le décès est dû à un coup de feu tiré dans la bouche.

Bien que l'un des frères de la victime, Zerdeşt Osman, ait déclaré ignorer la cause du meurtre, et ne suspecter personne, les soupçons se sont immédiatement portés sur le pouvoir kurde lui-même, déjà en raison du lieu où s'est déroulé le rapt (Erbil n'est ni Mossoul ni Kirkouk et totalement sous le contrôle des forces de sécurité kurdes) et surtout en raison des activités de journaliste du jeune homme, qui avait écrit pour des journaux indépendants, souvent très critiques à l'égard du GRK, et en avait traduit d'autres, de l'anglais en kurde.

En plus de ses activités de traducteur, il écrivait pour le magazine Aştîname (Lettre pour la Paix), sous le pseudonyme de Deştî Osman, et collaborait à plusieurs autres sites de presse, sbeiy.com, Hawlati.info, Awene.com, rudaw.net et lvinpress.com.


Sbeiy.com, dans ses gros titres, n'hésite pas à accuser directement le gouvernement kurde, en donnant pour mobile un article que Serdeşt Osman avait écrit mettant en cause un haut responsable du GRK, Kosrat Rasul, vétéran de l'UPK, le journal tenant cette version d'un "ami proche de la victime".

De même, un des frères de Serdeşt, Başdar Osman, a déclaré au Comittee to Protect Journalist, (CPJ) ainsi qu'à Hawlatî, sa conviction que Serdeşt a été tué pour cet article écrit dans Aştiname, en avril dernier : "Ces derniers mois, mon frère a reçu des menaces par téléphone, lui demandant de cesser de se mêler des affaires du gouvernement."

Ce rapt et ce meurtre, le premier visant un journaliste dans la Région du Kurdistan (et non le second comme le titre Reporters sans Frontières qui semble ignorer que Kirkouk n'est pas encore intégré dans le Kurdistan fédéral), a créé une onde de choc parmi les étudiants et le monde de la presse au Kurdistan. Le département de langue et de littérature anglaise a d'ailleurs annulé plusieurs de ses examens en raison de l'émotion des étudiants. Les condisciples de Serdeşt ont défilé mercredi et ont terminé leur procession devant le ministère de l'Éducation et de la Recherche, en demandant au ministre de s'assurer qu'une enquête réelle aura lieu dans les plus brefs délais, demande relayée par Mohamed Abdel Dayem, du Comittee to Protect Journalists pour le Moyen-Orient.

La situation des journalistes travaillant dans la Région du Kurdistan, si elle n'est pas aussi dramatique que dans le reste de l'Irak, ne s'est pas améliorée et a même semblé s'aggraver depuis l'émergence du nouveau parti Gorran, et le climat électoral tendu qui a prévalu principalement à Suleymanieh, en juillet 2009 et en mars dernier. Les plaintes des journalistes faisant état de violences, menaces et d'obstacles divers dans leur travail se sont multipliées et sont régulièrement rapportées par Reporters sans Frontières.

Malgré une loi sur la liberté d'expression, adoptée 18 mois auparavant, les ONG locales, comme Metro Center, qui milite pour la liberté de la presse, dressent une liste de diverses agressions qui ont visé plusieurs journalistes, ces derniers mois.

Ainsi, le 20 avril dernier, lors d'une manifestation d'étudiants, 16 journalistes qui voulaient couvrir l'événement ont été frappés par des policiers, et certains se sont vus confisquer leur matériel, comme Hawzîn Gharîb, photographe et reporter, dont l'appareil a été brisé. Un autre journaliste, Asso Khalil, qui couvrait les mêmes manifestations pour le magazine Ziyar, accuse les forces kurdes de l'avoir agressé physiquement et verbalement par la police, qui lui a pris son appareil et a détruit certaines photos.

Selon Metro Centre, la plus grande partie des journalistes ayant souffert de menaces et de violences, travaille pour des media indépendants ou de partis d'opposition, comme la chaîne de télévision KNN, pro-Gorran : "Les autorités de la Région traitent les journalistes de la même façon qu'ils traitent les partis d'opposition et quiconque manifeste contre elles. Ils estiment qu'il est de leur devoir de les intimider et de les attaquer", a déclaré Fadhil Najeeb, responsable des relations publiques de KNN.

Bien que les articles 5 et 7 de la Loi sur la presse prévoient que toute attaque contre un journaliste dans l'exercice de son métier doit être sanctionnée, au même titre que s'il s'agissait d'un fonctionnaire, Fadhil Najeeb affirme que jusqu'à présent aucun policier n'a jamais été inquiété pour avoir agressé un journaliste.

Plus de 60 écrivains et journalistes kurdes ont condamné ce meurtre et interpellent directement le gouvernement et les forces de sécurité :

"Kidnapper un journaliste dans la capitale régionale, l'emmener hors de la Région du Kurdistan, et finalement le tuer, soulève de sérieuses questions. Cet acte ne peut avoir été commis par une seule personne ou un petit groupe de gens. C'est pourquoi nous pensons en premier lieu que le Gouvernement régional kurde et les forces de sécurité doivent prendre leurs responsabilités. Nous devons faire le maximum pour retrouver les coupables."

Les signataires indiquent n'avoir obtenu à ce jour aucune déclaration ni réponse de la part des autorités kurdes mais ajoutent que, même si un groupe "insurgé" (comprendre les terroristes de Mossoul) est derrière le meurtre, cela remet sérieusement en question la sûreté des journalistes au sein de la Région.

De fait, si l'on regarde les sites de la presse officielle et même du Gouvernement, la discrétion sur cette affaire détonne franchement avec l'émoi et les gros titres que ce meurtre, une première dans la Région, suscite dans la plupart des journaux libres du Kurdistan. PUK-Media se contente d'un sommaire entrefilet rapportant sommairement les faits sans les commenter, quant à Peyamner, il ne le mentionne même pas.

De même, alors que l'attentat qui a frappé un bus d'étudiants chrétiens à Mossoul (province dont le GRK n'est nullement responsable) a fait l'objet de nombreuses déclarations de la part du Gouvernement et du cabinet présidentiel, on observe la même discrétion (embarrassée ?) de la part des porte-paroles de la Région et du Parlement.

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