Un mois après l'attentat d'Erbil, quel bilan ?
Le 29 septembre 2013, un attentat-suicide avec deux véhicules piégés a frappé la capitale de la Région du Kurdistan d’Irak, en visant le quartier général des Asayish (services de sécurité).
Selon des témoins directs, cinq des terroristes se trouvaient dans une des voitures, qui ont enfoncé les barrières de sécurité et attaqué les gardes avec des grenades et des fusils. Les Asayish ont immédiatement ouvert le feu. Deux des terroristes sont alors sortis des véhicules. L’un deux portant une ceinture d’explosifs sur lui et a été immédiatement abattu par le policier Hazim Madjid Mustafa, qui a succombé à l’explosion qui a suivi.
C’est alors qu’un second véhicule, un minibus, a explosé à son tour, tuant quatre policiers des services de sécurité kurdes. Six policiers des Asayish sont donc morts et 62 personnes, dont des civils, ont été blessées.
C’est le premier attentat depuis celui de mai 2007, qui visait également des bâtiments officiels. L’un des véhicules portait une immatriculation de la Région kurde, ce qui en principe ne concerne que les résidents mais qui a pu être cédé illégalement à des étrangers.
La Région a été immédiatement mise en état d’alerte et bouclé par les autorités kurdes. L’attentat a été revendiqué par l’organisation djihadiste État islamique en Irak et en Syrie (ISIS), une mouvance djihadiste très active en Syrie et en Irak. Mais les motifs ciblant le Gouvernement régional kurde sont peu clairs:
Il est vrai que Massoud Barzani avait, l’été dernier, au moment où courait la rumeur de massacres de masse au Kurdistan syrien, menacé d’intervenir pour défendre son peuple. Mais il est peu probable que, même si les massacres avaient eu réellement lieu, le PYD aurait accepté cette intervention. En Syrie, ISIS affronte surtout les YPG (forces armées du PYD), avec qui le GRK entretient des rapports peu amicaux, de même qu’avec le gouvernement Maliki à Bagdad, autre cible désignée par ISIS. Cela n’a pas empêché ISI de poster une déclaration, dans un forum jihadiste, revendiquant l’attentat en accusant le GRK de soutenir les forces kurdes qui, en Syrie, se battent contre les islamistes. Or la simple énonciation du « soutien » du GRK aux forces YPG du PYD témoignerait d’une singulière méconnaissance du terrain kurde syrien et de la politique interne des Kurdes.
Par contre, ISIS est très actif en Irak, notamment à Mossoul, et menace régulièrement la Région kurde. Une autre hypothèse, plus pertinente, celle-ci, a été soumise au journal arabe Asharaq Al Aswat, par une source kurde anonyme : la libération des membres de l’organisation terroriste, détenus dans les prisons des Asayish. Les terroristes auraient essayé de s’emparer des bâtiments pour en libérer les prisonniers et auraient échoué à passer le barrage des gardes. Mais cela n’explique pas le fait que certains d’entre eux portaient sur eux des explosifs et se soient bel et bien fait sauter.
Le 9 octobre, le Conseil national de sécurité kurde, dirigé par Masrour Barzani (qui est aussi à la tête des Asayish) annonçait l’arrestation de trois hommes, tous trois arabes, soupçonnés d’être impliqués dans l’attentat. Les noms et leurs portraits ont été rapidement dévoilés aux media : Samir Bakr Yunis, Mohammed Khalil Qaddusg et Hashem Saleh Mohammed. Ils sont tous originaires de Mossoul.
Selon un responsable des Asayish, Tarq Nuri, les suspects ont acheté les deux voitures ayant servi à l’attaque à Kirkouk, province en dehors du GRK, et les ont amenées à Mossoul. Ils ont aussi équipés en armes et en explosifs les trois kamikazes et Sami Bakr Yunis aurait même avoué avoir déclenché lui-même, à distance, l’explosion d’un des véhicules.
Le président Massoud Barzani a alors menacé de frapper les terroristes partout où ils se trouvent, même en Syrie.
Mais pour le moment, les seules mesures ont été de boucler la Région et surtout de filtrer de façon drastique l’entrée des Arabes irakiens au Kudistan d’Irak, alors qu’en cette période de fête, les touristes affluaient. Beaucoup ont été refoulés par les forces de sécurité kurdes surtout les hommes seuls.
Mais bien que la présence de touristes ait chuté de 50% par rapport aux années précédentes, les Kurdes vivant de ce secteur n’ont pas manifesté de mauvaise humeur devant ces mesures, le principal souci de toute la Région est avant tout de rester cet « autre Irak », c’est-à-dire une enclave sûre pour ses habitants, qu’ils soient natifs ou réfugiés dans les provinces d’Erbil, de Sulaymanieh ou de Duhok, ce qui aura pour effet, de toute façon, de voir rapidement les affaires reprendre. L’attentat assez similaire de mai 2007 n’avait ainsi pas fait chuter le sentiment de sécurité que connaissent tout ceux qui voyagent à l’intérieur du GRK.
Les réactions les plus amères ou désappointés, sont venus des vacanciers irakiens refoulés. Il est à noter cependant que les Arabes ayant un emploi au Kurdistan, ou disposant d’un permis de résident valide, n’ont pas été interdits d’entrée. Mais les Asayish ont réexaminé toutes les fiches des résidents étrangers au GRK et tous ceux dépourvus d’emploi ou qui ne figurent pas dans les dossiers des services ont été expulsés.
Cette attaque peut annoncer une suite d'agressions visant les Asayish, puisque hier, le directeur général de la Sécurité du GRK annonçait l'arrestation de deux terroristes porteurs de ceintures d'explosifs, membres d'ISIS qui projetaient d'attaquer les forces de la petite d'Akre, province de Duhok. L'un des deux hommes, Guetbah Ahmed Qassem Khatteb, portant le nom de guerre d'Abu Qataba, est originaire de Syrie et est né en 1966 à Alep. Le second, Qader Nasser Khdaier, nom de guerre Abu Abdullah, est né en 1967, à Mossoul, et a la nationalité irakienne.
ISIS est très bien implanté à Mossoul, où ils menacent régulièrement les minorités religieuses kurdes (shabaks, yézidis) et chrétiennes et, de façon générale, tout ce qui leur parait contraire à une vision assez étroite de l'islam. Récemment, ils ont ainsi délivré une fatwa à l'encontre des professeurs d'anglais de la ville, accusé d'enseigner une langue étrangère que les musulmans ne doivent pas apprendre. Le chef de la sécurité de Mossoul a indiqué au journal kurde BasNews que depuis le début du mois d'octobre, 9 professeurs d'anglais avaient été assassinés.
La pression d'ISIS, déjà puissante en Irak, pourrait donc s'accentuer dans la Région kurde en s'attaquant principalement à ses symboles sécuritaires, les Asayish, voire même les Peshmergas.
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