lundi, avril 22, 2013

Il y a 115 ans, paraissait le premier journal kurde


Le journal Rudaw (et le député Mahmoud Othman) se sont fait l'écho de l'anniversaire du premier journal kurde : Kurdistan, publié pour la première fois au Caire, en avril 1898.

Voici un bref résumé de l'histoire de ce journal, par Joyce Blau, paru dans Études kurdes nº XI :


La presse kurde : La presse accompagne le développement du mouvement national kurde, et son influence dans la vie nationale et culturelle kurde sera particulièrement importante. Le premier journal kurde, qui porte le titre significatif de Kurdistan, paraît au Caire en 1898, en kurde et en turc. Ses fondateurs sont Miqdad Midhat Beg et Ebdulrehman, fils de Bedir xan Paşa, prince de Cizîrê Botan, destitué en 1847. Les exilés kurdes qui l’entourent sont influencés par les idées nouvelles et la culture européenne. Ils publient, par exemple, une condamnation des massacres des Arméniens en 1894-1895. Les prises de position contre le régime en place à Istanbul obligent les rédacteurs du journal à déplacer le siège de la revue à Genève, ensuite à Londres et Folkestone (en Grande-Bretagne), puis encore une fois à Genève, où paraît la dernière livraison (nˆ31, avril 1902).
À Istanbul, le mensuel Rojî Kurd (Le Jour kurde) devient Hetawî kurdî (Le Soleil kurde), en 1913. En 1916, Sûreya Bedir Xan publie en turc l'hebdomadaire Jîn (La Vie), qui proclamait "le Kurdistan aux Kurdes". Sûreya Bedir Xan publia aussi l'hebdomadaire Kurdistan (37 numéros) toujours à Istanbul.

Un peu plus tard, en langue soranî, et sous mandat britannique, avec l'appui du major Soane, paraît le journal Têgiştinî Rastî (Comprendre la vérité) , dont l'histoire peut être lue ici.

Et enfin, du côté des Kurdes vivant en ex-Union soviétique, on a l'incontournable Riya Teze, qui voyagea moins que Kurdistan, mais connut lui, les changements alphabétiques imposés aux Kurdes du Caucase.

Au début des années 1920, en effet, les Kurdes de la nouvelle URSS, bien qu'en nombre réduit, reçurent le statut de "nationalité" dont les effets politiques étaient moindres mais qui leur accordait la reconnaissance de leur langue. Vivant principalement en Arménie, ces Kurdes purent enseigner leur langue à l'école, publier des journaux, avoir leurs émissions de radio. 

Dès 1923, les Turcs d'Azerbaydjan avaient mis au point un alphabet latin. Les Kurdes d'Arménie ne tardèrent pas à les imiter, d’autant que le gouvernement soviétique tentait d'imposer un alphabet latin unifié qui serait utilisé pour toutes les langues orientales de l'URSS. Dès 1929 donc, un alphabet kurde latin vit le jour en Arménie, soutenu par le journal Riya Teze (fondé en 1930), adapté pour le kurmancî (parlé par les Kurdes soviétiques). Cet alphabet a des points communs avec celui de Hawar, mais certains sons furent transcrits par des signes empruntés au cyrillique. 

Mais à la fin des années 1940, l'URSS mit fin à cet alphabet latin "universel" et réimposa le cyrillique, sans doute pour mieux intégrer toutes les nations de l'Est dans la culture russe. Ce fut aussi l'époque où nombre de Kurdes du Caucase furent déportés au Kazakhstan, dans une volonté de « casser » certaines identités nationales. On dut mettre donc au point un nouvel alphabet kurde qui n'utilisait cette fois que des caractères russes et qui perdura jusqu'à la chute de l'empire soviétique, au début des années 1990. 

Les Kurdes d'Arménie, de Géorgie, de Russie, d'Azerbaydjan, revinrent alors à l'alphabet latin, mais choisissant cette fois-ci le système de Hawar, adopté de nos jours par tous les Kurmandj. 

Riya Teze (la Voie nouvelle) bi-hebdomadaire fondé en 1930 à Erevan a donc 83 ans d'existence, avec une interruption de 1938 à 1955. Il comprend plus de 2500 numéros. C'est un des plus vieux journaux kurdes et qui survit, bien que difficilement, à la chute de l'URSS. Il est donc passé par les trois écritures utilisées par les Kurdes d'Arménie.




L'année dernière, au cours d'un entretien de l'écrivain Emerîk Serdar avec Estelle Amy de la Bretèque, publié aussi dans Études kurdes, était retracé l'histoire de la littérature kurde d'Arménie, et la survie fragile de Riya Teze, ce journal mythique :

"– Et le journal Rya Teze ?
Si ce journal n'avait pas existé, il n'y aurait pas eu de littérature kurde en Arménie. Le journal a joué un rôle très important dans le développement de la littérature kurde écrite. Il a permis de créer de nouveaux termes, notamment des termes scientifiques. Par exemple, les termes liés à l'exploration du cosmos. Nous devions choisir entre la création de néologismes et le remploi de termes existants. Par exemple, le mot cosmonaute, en russe kosmonaft, a été traduit arşger, ou encore le satellite, en russe spoutnik, que nous avions traduit par durngar. Les lecteurs ont petit à petit compris le sens de ces mots et ont commencé à les employer, même si les mots russes persistent souvent. Outre ces questions de langue, le journal avait une ligne éthique et a combattu certaines vieilles traditions jugées régressives et dépassées. Kaçax Mrad avait par exemple publié un quatrain contre le mariage très jeune des filles. Le journal publiait aussi des articles encourageant les parents à envoyer leurs filles à l'école et à l'université.
– Ce journal, c'est en quelque sorte l'œuvre de votre vie…
J'y ai travaillé de 1954 à 2006. J'ai d'abord été traducteur, puis j'ai dirigé la rubrique littéraire. J'ai été secrétaire-adjoint, vice-rédacteur en chef et, de 1991 à 2006, rédacteur en chef. On peut dire que j'y ai passé ma vie ! C'est pour cela que je souffre tant en voyant l'état actuel dans lequel se trouve ce journal.
– Rya Teze est en effet en crise…
Le journal se meurt : il ne sort qu'un exemplaire par an, composé de deux feuillets. Manque de moyens, manque de plumes… Seuls quelques vieux bénévoles y travaillent. Plus généralement le futur des Kurdes en Arménie me paraît court. L'émigration vers la Russie, l'Ukraine et l'Europe de l'Ouest est massive. L'intelligentsia est déjà presque entièrement partie.
Finalement, de ces 3 journaux mythiques kurdes, KurdistanTêgiştinî Rastî et Riya Teze, c'est ce dernier, dont la situation géographique et politique l'excentrait, a priori, du pays kurde proprement dit, qui aura eu la survie la plus longue. C'est un des nombreux paradoxes de l'histoire du kurmancî écrit, qui a plusieurs fois été sauvé de l'extinction par des Kurdes de la diaspora, Europe, Russie, Arménie… 

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