le sort des chrétiens en Irak- Problèmes et perspectives : État des lieux II : La situation des chrétiens d'Orient.



M. l'Abbé Pascal Gollnisch, directeur de l'Œuvre d'Orient : La situation des chrétiens d'Orient.


Merci de votre invitation, M. le Président, M. le Sénateur, Messeigneurs, chers amis. Je suis tout de même embarrassé de prétendre parler, devant vous, des chrétiens d'Orient, alors que j'ai le sentiment que vous savez, tous, à peu près tout sur la question, ou, en tout cas, que vous en parleriez beaucoup mieux que moi. Mais enfin, puisque c'est la mission qui m'a été confiée, je vais m'y employer. 
L'Œuvre d'Orient, qui est une œuvre française, créée par les professeurs à la Sorbonne, il y a environ 150 ans, est au service des chrétiens de rite oriental. J'évoquerai, pour ne plus en parler, que des chrétiens de rite oriental, il y en a également en Europe de l'Est, en Ukraine, en Serbie, en Roumanie ; qu'il y en a, grâce à nos amis chaldéens, en Inde, au Kerala, les Malabars et les Malankars.
Revenons donc au Moyen-Orient, où tous les chrétiens ne sont pas de rite oriental. Le récent synode qui s'est tenu à Rome rassemblait des évêques pour l'ensemble du Moyen-Orient, et où il y avait également des évêques de rite latin, sur le sud du Moyen-Orient, en Arabie. Je me permets de mentionner cela, parce que, il y a, en Arabie saoudite, dans les Émirats de l'Arabie, de la péninsule Arabique, un afflux de chrétiens, qui sont venus pour des raisons économiques, pour travailler, ce qui fait que le solde migratoire, si l'on regardait l'ensemble du Moyen-Orient, est largement positif. Il y a près de 2 millions de catholiques qui vivent en Arabie saoudite aujourd'hui. Par conséquent, il y a là des questions : Quelle est la situation de ces chrétiens, quel est le sort de ces chrétiens ? En Arabie saoudite ils n'ont pas la liberté de culte. Jusqu'à quand des millions de chrétiens seront empêchés d'avoir un lieu de culte en Arabie saoudite ? C'est une question.
Revenons donc aux chrétiens orientaux du Moyen-Orient. Il faudrait évoquer des situations extrêmement diverses, tant au point de vue nombre qu'au point de vue du statut, et au point de vue du mode de vie concret. Commençons par l'Égypte, puisque ce qui est à l'ouest de l'Égypte, ce ne sont pas des chrétiens de rite oriental. Donc, si les événements d'Afrique du nord nous touchent, ils ne concernent pas, cependant, directement, ce qu'on appelle les chrétiens d'Orient. En Égypte, en revanche, c'est l'Église copte ; une Église en nombre significatif, puisqu'ils sont, dit-on, entre 6 et 8 millions ; une Église qui n'est pas en communion avec Rome, essentiellement aujourd'hui, pour des raisons – comme les autres Églises, d'ailleurs – pour des raisons de compréhension de l'autorité du pape de Rome. Les questions théologiques, la plupart du temps, ont été surmontées, à travers des questions de terminologie, de termes théologiques, etc. Disons que la question essentielle de non-communion avec Rome, pour certaines de ces Églises, c'est la manière de comprendre l'autorité du pape, de l'évêque de Rome. En Égypte, il y a évidemment une Église catholique, bien moins nombreuse : plusieurs centaines de milliers de Coptes catholiques cependant, avec une conférence épiscopale, un patriarche catholique, qui est même cardinal.
Si nous descendons d'Égypte, nous trouvons l'Érythrée  et l'Éthiopie : Essentiellement, là aussi, une Église non rattachée à Rome, mais qui est, en Éthiopie, la première Église de chrétiens d'Orient, par le nombre, très largement, avec, là encore, une petite Église orientale catholique, en Éthiopie.
Nous retrouvons des chrétiens orientaux en Palestine. C'est l'occasion pour moi de rappeler quand même que les tensions entre la Palestine et Israël sont tout de même source d'une tension pour l'ensemble de cette région, nous le savons tous. En Palestine, ce sont des chrétiens essentiellement grecs, grecs orthodoxes, grecs melkites. Il y a un patriarcat latin, de tous les patriarcats, sans doute le moins légitime, puisqu'il a été apporté par les Croisés dans leurs bagages !
En Jordanie, également des chrétiens, souvent des chrétiens grecs, là encore. Au Liban, une Église maronite qui est catholique, qui est l'une des rares à ne pas avoir une branche non-catholique. Mais, au Liban, il y a des chrétiens qui ne sont pas maronites : Il y a des chrétiens arméniens, arméniens catholiques et arméniens orthodoxes, des chrétiens gréco-catholiques, il y a des chrétiens gréco-orthodoxes… 
Par conséquent, dans chacun de ces pays, il y a une multiplicité des Églises, même si, parfois, il y a une Église qui marque davantage le pays.
En Syrie, où séjourne notamment le patriarche grec melkite, nous voyons des Églises qui sont en position d'équilibre. À Alep, il y a cinq évêques catholiques ! Vous vous rendez compte ? les pauvres ! cinq évêques catholiques ! Un évêque latin, un évêque arménien, un évêque syriaque, un évêque chaldéen, un évêque maronite. Donc, coexistent en Syrie des Églises en nombre à peu près équivalent, en force égale, catholiques ou orthodoxes, ou en tout cas non-catholiques, et qui ont généralement, entre elles des relations positives, de bonnes relations. En Syrie, il y a véritablement des possibilités d'action pour les Églises. La liberté d'enseignement a été redonnée aux Églises. Il y a même des lieux d'enseignement qui ont été rendus. Il y a vraiment l'occasion, pour un certain nombre d'évêques, d'avoir des projets de développement pour le bien de leurs communautés. Si vous allez à Alep, ne manquez pas Monseigneur Jeanbart,  toutes les écoles et dispensaires qu'il construit. C'est tout à fait prodigieux et dynamique et signe d'espérance.
En Irak, je n'insiste pas, nous avons évoqué cette situation, nous l'évoquerons encore. En Turquie, très peu de chrétiens pour les raisons que vous savez, en raison des massacres du siècle dernier. Cependant, il y a encore des traces de présence chrétienne, il y a encore des chrétiens, il y a encore des évêques. Vous savez qu'il y en a un qui a été assassiné au moment où le pape Benoît XVI remettait l'instrument de travail pour le dernier synode.
On peut rapprocher du Moyen-Orient les chrétiens d'Arménie, les chrétiens de Géorgie. En Arménie, une Église essentiellement non-catholique, mais, là aussi, l'existence d'une Église catholique rattachée à Rome ; en Géorgie, une Église non-catholique.
Ce serait intéressant d'explorer au Soudan, Nord ou Sud, l'existence de quelques petites communautés de chrétiens d'Orient. Il y a plus massivement, au Sud du Soudan, des chrétiens latins. Évidemment, on déborde un peu du Moyen-Orient, encore que tout cela soit extrêmement lié.
Voilà ce panorama géographique qui montre, quand même, une réelle vitalité des communautés chrétiennes, encore une fois selon des statuts extrêmement différents selon les pays. 
Je voudrais relever quelques aspects de la vie de ces chrétiens.
Ces Églises sont donc des Églises catholiques. Catholiques veut dire 'rattachées à Rome', mais non pas 'latines'. Il y a encore beaucoup de chrétiens latins chez nous, à Paris, en France, qui identifient 'Église catholique' et 'Église latine'. Ce sont des Églises catholiques mais non latines, qui ont un droit particulier et, notamment, qui ont une structure patriarcale et une structure synodale. Il me semble d'ailleurs parfois, que cela mériterait d'être approfondi. Pour moi, qui suis un prêtre latin, j'envie tellement ces belles structures synodales que nous essayons de redécouvrir dans l'Église latine. Je me dis, parfois, que peut-être la structure patriarcale et la structure synodale mériteraient de gagner en… efficience. Je n'en dirai pas plus !
Dans ces Églises, nous voyons également un rôle de l'évêque qui est souvent un rôle extrêmement social, par rapport à ce que nous voyons en France aujourd'hui. C'est-à-dire que, sans doute par un héritage de l'Empire ottoman, où souvent, l'évêque ou le patriarche représentait sa communauté sur le plan civil, pèse sur les évêques un rôle social important. Les fidèles attendent de leur évêque que ce soit lui qui prenne en charge l'éducation, la santé, les pauvres, et parfois même la situation civile des fidèles, ce qui fait reposer sur les évêques un rôle extrêmement lourd, à côté de la charge strictement pastorale. 
Des Églises dans lesquelles, peut-être, les laïcs pourraient regagner un peu d'importance. Le synode l'a rappelé : Tandis que des laïcs avaient joué un rôle important dans le réveil de la nation arabe, aussi bien après la Seconde Guerre mondiale qu'à la fin du XIXe siècle, peut-être qu'aujourd'hui les laïcs sont peut–être un peu étouffés et il serait intéressant de contribuer à cette formation des laïcs, à la fois pour les tâches internes de l'Église, la pastorale, la catéchèse, la liturgie, que pour la représentation de ces communautés vis-à-vis des pouvoirs publics. Encore qu'il se passe beaucoup de choses !
Des Églises qui ont un patrimoine culturel, historique, tout à fait important. J'aimerais interroger, par exemple, l'UNESCO sur sa responsabilité vis-à-vis d'un certain nombre d'églises qui datent du IVe, Ve et VIe siècle, et qui sont parfois en déshérence. À commencer par la Turquie : il y a des églises des premiers siècles qui ne sont pas entretenues et je trouve que cela devrait interpeller les gens qui s'occupent du patrimoine culturel mondial.
Ces Église sont, bien sûr marquées par des situations de migration complexes, je pense que nous en reparlerons. Une migration vers l'extérieur du Moyen-Orient, dans des grands pays d'accueil, le Canada, l'Australie, l'Amérique latine… Parfois, simplement, une migration interne aux pays du Moyen-Orient. Par exemple, il y a un certain nombre de chrétiens d'Irak qui sont en Syrie, soit à Hassaké, en Mésopotamie, soit à Damas, sans envisager nécessairement de sortir du Moyen-Orient, qui considèrent plutôt leur séjour comme une réalité provisoire, qui n'excluent pas, pour certains d'entre eux, de retourner en Irak. Parfois des migrations internes à un pays, et l'Irak en est un cas tout à fait exemplaire.
Ces situations de migration sont des situations difficiles, douloureuses. Pour nous, Œuvre d'Orient, nous nous remettons dans le droit des personnes à choisir là où elles veulent vivre, mais nous avons pris nos distances, comme vous le rappeliez, monsieur le Sénateur, avec les annonces un peu 'médiatiques' : "La France va accueillir 500 chrétiens d'Irak."Oui, et qu'est-ce qu'on fait des centaines de milliers qui restent sur place ? Il ne faut pas que ce type d'annonces donnent, avec diplomatie, avec sourire, des signaux que les terroristes donnent avec d'autres moyens ! Il ne faut pas que ces annonces dispensent les puissances occidentales, les puissances internationales, de leurs responsabilités vis-à-vis des chrétiens qui sont sur place. Car notre crainte serait celle-là : En annonçant qu'on va accueillir généreusement quelques centaines de chrétiens irakiens, on se dispense d'agir dans les pays qui méritent, je crois, une action réelle. Après l'attentat de Bagdad, tout de même, il y a eu un certain nombre de pressions internationales pour davantage sécuriser les lieux de culte. Ces protestations ont eu certains fruits. Ça ne règle pas tous les problèmes, ce serait trop facile ! Mais enfin, ça aurait dû être fait plus tôt. Nous savons tous que cette cathédrale à Bagdad avait déjà été la cible d'un attentat. Pourquoi est-ce qu'elle n'était pas davantage sécurisée ? Ce sont tout de même des questions que nous sommes en droit de nous poser.
Ces problèmes de migration sont donc complexes et je le redis, il y a des pays qui sont des pays d'immigration chrétienne : Toute la péninsule Arabique et cela pose aussi des questions. Je ne vais pas pratiquer la langue de bois – que mes confrères appellent la langue de buis ! Dans ces pays, les chrétiens sont confrontés, non seulement à des problèmes terroristes – que tout le monde condamne ! Tout le monde a condamné les attentats terroristes, sauf peut-être ceux qui les ont commis. Mais le problème est là manière dont les chrétiens, minoritaires, peuvent vivre dans une société à majorité musulmane. C'est un problème qu'il faut poser si nous voulons être utiles dans notre débat. Il y a des problèmes juridiques qui se posent ; il y a des problèmes au concret ; il y a des problèmes au jour le jour. Et il me semble que nous devons être attentifs à ces questions. par exemple, il y a des problèmes lorsque certains pays, comme l'Égypte, avait affirmé, il y a quelque temps, que le droit musulman était la source principale du droit civil égyptien. C'est une réalité nouvelle, cela n'a pas toujours été ainsi. Le droit civil était un droit laïque, avec des applications pour les musulmans, selon une tradition musulmane, et des applications chrétiennes selon la tradition chrétienne. Il est inquiétant de dire que le droit musulman devient la source principale du droit civil lorsque ce droit civil doit s'appliquer également à des non-musulmans. 
Prenons des pays où les chrétiens se trouvent assez bien, comme la Syrie : Cependant, un chrétien ou une chrétienne qui épouse un musulman ou une musulmane, va devoir être considéré comme musulman. Ce sont tout de même des questions que nous pouvons nous poser. Il y a des questions quant aux droits des femmes. Il y a des questions – nous le savons tous ! – d'un musulman qui se convertirait au christianisme et qui mettrait sa vie en danger. Je ne veux pas faire la liste de ces questions, parce que ce n'est pas mon propos. Je pense que ces questions doivent être posées, et spécialement en France, et dans ce temple de la Laïcité qu'est un parlement français, je crois que nous avons le droit et le devoir de dire que ces questions peuvent être posées, dans un esprit de dialogue. L'Œuvre d'Orient ne vend rien, ne veut pas nourrir je ne sais quelle hostilité frontale vis-à-vis de nos amis musulmans. Ce n'est pas notre but, bien au contraire ! Mais je crois que si nous voulons construire une sorte de vivre-ensemble avec les musulmans de France, nous devons accepter de pouvoir poser ces questions. Autrement dit, nous ne pouvons pas voir l'émergence d'un islam en Europe, sans que soit posé la question du statut et du mode de vie de nos frères chrétiens dans des pays où il y a des majorités musulmanes. Ce n'est pas de l'ordre d'une symétrie, ou d'un marchandage commercial, donnant donnant, je te construis une mosquée, tu me construis une cathédrale. Ce sont des questions d'ordre spirituel. Il faut prendre, je crois, de la hauteur vis-à-vis de ces questions. Nous ne pouvons pas voir la naissance d'un islam en Europe, qui s'accompagnerait simultanément de la disparition d'un christianisme au Moyen-Orient. Vous le comprenez bien, c'est une question d'équilibre spirituel. Et si nous ne posons pas cette question, c'est la rue qui la posera, et, pour le coup, ça nourrira un anti-islamisme et un anti-musulmanisme que nous ne voulons pas nourrir à l'Œuvre d'Orient. Je vous remercie.

À venir : Monseigneur Émile Nona, évêque de Mossoul : La situation des chrétiens dans la province de Mossoul.

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