mardi, mars 08, 2011

Le sort des chrétiens en Irak- Quelles perspectives ? I. La situation des chrétiens au Kurdistan


Mgr Rabban Al-Qas, évêque d'Amadiyya : La situation des chrétiens au Kurdistan.

Je vous remercie de l'occasion qui m'a été donné de parler parmi vous, même si cela me gêne d'entendre dire toujours 'les chrétiens' et parfois 'musulmans', 'chiites', 'sunnites', mais puisqu'on est un peu obligé de les distinguer, je vais parler sur ce qui m'a été demandé.
Un peu d'histoire sur ce qu'on appelle aujourd'hui le Kurdistan, où les chrétiens vivent parmi leurs frères : En 1961, les chrétiens, avec les Kurdes et les autres, ont été obligés – surtout les chrétiens – de quitter le Kurdistan, pour être intégrés – et je peux dire 'assimilés' – en habitant Mossoul, Kerkiuk, Bassorah, Bagdad. Pendant 40 ans, ils sont restés dans ces zones-là.
Après 2003, ces chrétiens ont été, tout à coup, tués, kidnappés. Parmi eux, certains ont eu la chance de retourner, après 40 ans, chez eux, dans leurs villages. Tout de suite, notre président Barzani a donné un ordre. Même si des Kurdes, après 40 ans d'absence, avaient remplacé ces chrétiens dans leurs villages, même s'il y avait des maisons de construites, il fallait les détruire. Je vous donne un exemple dans le diocèse de 'Amadiyya : Dans le village de Tella, il y avait des personnes qui s'étaient attachées à leur maison, et à cette terre-là. On les a averti : il faut que vous quittiez tout cela. Ils ne le voulaient pas et à la fin il y a eu un ordre : "Si, dans 3 jours, vous ne partez pas, on va démolir les maisons." À la fin, ils sont partis, des maisons ont été construites ensuite pour eux et, dans le village, 70 maisons de Tella ont été évacuées pour les chrétiens. Donc il y a une bonne volonté de la part du gouvernement du Kurdistan, pour les accueillir, une seconde fois. Comme le Père Najib disait : "Vous êtes chez vous". C'est ce que dit le Gouvernement kurde : Ce ne sont pas des étrangers, ils sont chez eux, dans leurs villages, en travaillant leurs terres, en partageant cette terre-là aux côtés de leurs frères kurdes.
Mais c'est une situation nouvelle. Des personnes, nées à Bagdad, ont des enfants qui ne sont pas habitués à ce nouveau climat, à cette nouvelle vie. Ils ont perdu les acquis de Bagdad. Et ce qui est la plus grande cause de problèmes, c'est qu'ils ont oublié leur langue, l'araméen, et que beaucoup, parmi eux, ne parlent même pas un mot de kurde.
Au Kurdistan, il y a eu 370 villages qui ont été reconstruits. Il faut être reconnaissant au gouvernement du Kurdistan qui a mis en place ce budget pour ces villages chrétiens ; sans oublier que, dans chaque village, il y a eu une église ou une chapelle construites, avec des écoles, et l'ouverture de routes, parce qu'avant, il n'y avait que des sentiers dans les montagnes, où les mulets pouvaient faire le transport. 
Ce retour au Kurdistan leur a donné tout d'abord la chance de vivre dans une zone en paix, d'être à l'abri de tout terrorisme. Récemment, ces gens là, qui venus avec leurs enfants, commencent à étudier dans des écoles en araméen et il y étudient le kurde aussi.
Mais cette situation-là a aussi ses problèmes : Des gens qui étaient des employés, des professeurs ou médecins, ceux qui ont fait des études supérieures, peuvent être embauchés dans les universités ou ailleurs, dans des hôpitaux. Il y a une aide de la part du Gouvernement du Kurdistan pour leur donner du travail. Mais un professeur qui a passé 40 ans en service, est nommé comme s'il avait fini récemment ses études. Le gouvernement central ne leur donne pas cet agrément définitivement quand ils sont nommés, parce que Bagdad ne reconnaît pas encore les nominations au Kurdistan. Et quand ils viennent, se pose le problème de la langue, par exemple le problème du transfert d'un étudiant qui a étudié à Bagdad, à Mossoul. Il connaît l'arabe, il passe ses examens en arabe, mais il n'est pas exempt de passer aussi des examens en langue kurde. Il faut qu'il ait, disons 50/100 au baccalauréat [en langue kurde]. 
Ce n'est pas un problème seulement pour les chrétiens, mais aussi pour les Kurdes qui viennent d'Europe. Je peux vous donner un exemple : Cette année, dans mon lycée, il y a eu les examens du baccalauréat. Un étudiant n'a jamais étudié en arabe, car il était auparavant en Australie. Il avait une note de 92 sur 100 dans les matières scientifiques. Mais aux examens, il lui fallait avoir 50 sur 100 en kurde et 24/100 en arabe pour être accepté. Il a été frustré de son entrée à l'université. Il y a donc des problèmes au Kurdistan qui doivent être résolus, non seulement pour les chrétiens, mais aussi pour les Kurdes qui y vivent, et nous avons évoqué ces problèmes avec l'autorité du Kurdistan. 
Vous connaissez bien l'histoire des chrétiens d'Irak. Les événements du 31 octobre à Bagdad ont secoué le monde. Mais il ne faut pas vivre seulement avec cette idée : "Ah, les pauvres chrétiens !" Parfois, cela nous gêne d'être ainsi regardés : "Les pauvres, il faut venir les aider, etc." Comment les aider ? Il ne faut pas les séparer de toute une communauté de gens qui vivent ensemble, qu'ils soient Kurdes, Arabes et autres. Il faut les regarder au même niveau que ceux avec qui ils vivent. Il y a des choses pratiques à faire pour ne pas laisser ces chrétiens-là sacrifier leur passé, et leur permettre de donner un témoignage d'amour de leur patrie. Aujourd'hui on parle de ce qui se passe en Irak parce que c'est devenu une cause mondiale. Mais auparavant, dans les années 1987-88, le Kurdistan a connu la destruction, et des chrétiens, des Kurdes, des familles entières ont été éliminés, éradiqués, avec tous leurs villages, alors que l'Europe n'a jamais parlé de cela. 
Aussi, il ne faut pas avoir cette attitude : "Voilà, nous, les Européens, nous sommes avec les chrétiens." C'est bien, d'être avec les chrétiens, mais c'est aussi un danger de les séparer. Nous sommes avec ceux qui vivent autour de nous ! qu'ils soient Arabes, qu'ils soient Kurdes, qu'ils soient musulmans, qu'ils soient yézidis, etc. Comme le Père Nejib l'a dit, il faut les aider à sentir  que : "Voilà, c'est un citoyen comme moi. Avec les Arabes et les Kurdes, nous sommes frères dans les souffrances endurées."
Aujourd'hui, quel est le remède ? La pression des gouvernements – par exemple de la France –, la pression de l"Europe, de tous les pays européens, la pression des Américains sur des leaders, qui sont, dans beaucoup de cas, la cause des calamités que nous endurons, car ils ne pensent pas à leur peuple. Après 2003, ils ont pris le pouvoir, ils ont fait des élections, ils ont la richesse du pétrole. Là où vous dormez sur la terre irakienne, du Kurdistan jusqu'à Basra, en dessous, il y a toute la richesse du pétrole. Les pauvres sont davantage appauvris, les riches sont gavés de richesses. C'est ce qui fait aujourd'hui que les Irakiens, chrétiens, kurdes, arabes, se disent : "Partons en Europe, parce que, là bas, on peut trouver la tranquillité, la paix, et puis l'on veut vivre dans notre dignité humaine."
S'il y a aussi une pression à faire sur le gouvernement, c'est au sujet de la Constitution, concernant notre sujet : les chrétiens. Les chrétiens ne fuient pas seulement l'Irak à cause des persécutions. Des persécutions ont eu lieu, auparavant, il y a eu des massacres, mais on chassait les gens d'un village, ils s'installaient dans un autre. Ils reconstruisaient. Il y a des témoins, des vestiges qui, là bas, racontent l'histoire des chrétiens au Kurdistan. Mais, même au Kurdistan, tant que la constitution qui a été faite et promulguée à Bagdad est appliquée, les chrétiens se retrouvent ravalés au deuxième degré, parce qu'ils sont regardés comme inférieurs aux autres. Ils disent alors : "Nous n'avons pas cette liberté de conscience, de choisir et de vivre notre identité, notre religion, de nous montrer tels que nous sommes." 
Par exemple, dès qu'une femme [chrétienne] épouse un musulman ou un père de famille [chrétien] devient musulman, leurs enfants encore mineurs sont, ipso facto, enregistrés comme musulmans. Aussi, la jeunesse dit : "Nous avons souffert et nous n'avons toujours pas la liberté." Par exemple, une jeune fille quitte Bagdad et là, découvre que sa mère a aimé un musulman, s'est mariée avec et qu'elle-même a été enregistrée comme musulmane. Si un garçon ou une fille veut se marier, on lui dit "avec le nom que vous portez, vous n'êtes pas chrétien."Et ils ne peuvent pas retourner dans cette communauté, car ils sont aussi entourés par les leurs. Pour être chrétiens, ils sont donc obligés de quitter l'Irak, de partir à l'étranger.  
Notre président Barzani nous a promis –  et, personnellement j'étais présent quand il l'a dit : "S'il y a des lacunes dans la constitution promulguée à Bagdad, eh bien, au Kurdistan, je vais éliminer tout ce qui va contre la liberté de choix, contre la liberté de conscience." Mais, au Kurdistan, cette constitution-là n'est pas encore signée et la constitution faite auparavant à Bagdad est donc celle qui est appliquée. 
Dans ce cas-là, à qui nous adresser ? Tout d'abord, nous avons notre autorité locale. Et puis, les autres pays doivent dire : "Votre constitution doit respecter les droits de l'homme. Respectez le libre choix, la liberté de conscience, pour que l'on puisse dire que vous êtes au niveau des pays qui respectent la liberté", sur le modèle de la France, ou d'autres pays.
Je peux dire que, malgré toutes ces lacunes-là, toutes ces difficultés que nous endurons, personne ne peut nier qu'il y a, au Kurdistan, la liberté de presse, la retransmission télévisée de nos messes. Il y a eu beaucoup de fois où KTV [chaîne publique kurde] a retransmis en direct la messe ou les cérémonies des grandes fêtes, pour le monde entier. Ailleurs, on ne peut pas marcher, on ne peut pas faire des défilés, des processions. Lors de nos fêtes, dans nos villages, au Kurdistan, on peut le faire. 
Les chrétiens ont donc cette chance de pouvoir vivre ici. J'ai été éduqué dans mon village, et j'ai ouvert les yeux sur les autres : Mon voisin est un Kurde. Nous vivons ensemble. Il y a des problèmes parfois, bien sûr, dans chaque maison il y a des problèmes de terres, parfois, mais on est accepté les uns par les autres. C'est avec cette tolérance – même si le terme n'est pas exact – comme le Père Nejib a montré, ainsi que Monseigneur Émile, qu'il faut changer les programmes scolaires, créer cette atmosphère qui fait que l'autre est mon frère. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas, avec une idéologie qui nous est transmise de l'extérieur. Avant, on acceptait la réalité : "Vous êtes musulman, je suis chrétien, nous sommes frères, nous sommes amis, nous travaillons ensemble, vous partez prier dans votre mosquée, je pars prier dans mon église, c'est la réalité." Aujourd'hui, on ne peut pas dire ça à Bagdad, à Mossoul. 
Pour compléter ce que Monseigneur Émile a dit, avant 2003, les chrétiens qui étaient dans la ville de Mossoul atteignaient plus de 40 000 personnes. Mais, si je ne me trompe pas, ils étaient beaucoup plus. Il y avait d'autres chrétiens [non chaldéens]. Aujourd'hui, il reste, comme il a dit, entre 4000 et 5000 personnes. Si cela continue, Bagdad et Mossoul seront vidées de leurs chrétiens, si cela continue. Parce qu'aujourd'hui, je peux dire que le gouvernement à Bagdad, le gouvernement central, même si ce n'est pas déclaré, est un gouvernement qui a proclamé un État musulman. On le voit dans les universités, on le voit dans les écoles, où vous êtes obligés de séparer les filles des garçons, où vous êtes obligés de mettre le foulard ou le voile aux filles, même pour les chrétiennes. À Mossoul, si je ne me trompe pas, j'ai vu des filles, à l'université, qui sont obligées de mettre le voile ! Et beaucoup de chrétiens, ou bien de Kurdes, qui ne veulent pas faire ça, disent : "Hé bien nous partons !" S'ils trouvent une place au Kurdistan, s'ils trouvent un travail, s'il n'y a pas de problèmes de langue, ils sont acceptés. Notre président Barzani a donné un ordre : "Le Kurdistan est ouvert pour les chrétiens qui y viennent." Mais l'application de cette parole-là est parfois bloquée, par exemple par des employés de bureaux. Je le dis carrément : Il faut faciliter les choses pour ces gens qui souffrent, afin qu'ils trouvent asile chez eux, au Kurdistan. S'ils ne savent pas parler le kurde, il faut les aider à résoudre leurs problèmes.
Le point culminant, très important, pour moi, c'est l'éducation, comme vous l'avez tous dit, au travers des écoles. Purifier les programmes de tout ce qui attaque l'autre, en appelant seulement à l'islam, créant une nervosité contre l'autre, dans le fanatisme, dans cette mentalité qui nie l'autre. Il faut créer une mentalité qui accepte la diversité, parce que dans la diversité se trouve la richesse. Aujourd'hui, je dois aider mon frère musulman pour apprendre et connaître les valeurs qui pourront élever le niveau de cette société où nous vivons, que ça soit au Kurdistan ou ailleurs. Bien sûr, à Bagdad, vous ne pouvez pas avoir ce discours, parler clairement. Au Kurdistan, vous savez qu'il y a la liberté de conscience. Il y a des Kurdes qui sont libres d'ouvrir une Église et de proclamer : "Nous étions des musulmans, nous sommes des chrétiens. " Ils ont la liberté de choix. 
Mais, au-delà de ce petit niveau, nous voulons, au niveau de la constitution, que cela soit clair : que la religion soit séparée de l'État. Cela ne veut pas dire que la foi n'a pas sa parole dans la société. En France, le président, les ministres gèrent des personnes qui sont catholiques ou protestants. C'est quelque chose qu'il ne faut pas négliger, il faut profiter de cette présence-là, on peut consulter ceux qui ont les clefs pour guider les gens dans ce domaine là, disons l'Église. 
Concernant l'éducation, encore : Cela fait 7 ans que mon lycée a été ouvert à Duhok et les Français n'y ont pas encore aidé la francophonie. J'ai dit à M. Boillon, l'ancien ambassadeur de France en Irak, avant qu'il parte : "Monsieur l'Ambassadeur, jusqu'à maintenant vous n'avez rien fait." Il a dit : "Oui, oui. Mais on fera un jour." 
Ce n'est pas pour que vous donniez de l'argent. On n'a pas besoin d'argent. On a besoin d'une aide qui nous mette sur pied, par les universités, par les lycées, par la connaissance. Par la connaissance, on peut connaître l'autre. Il ne faut pas dire : "je ne dois pas connaître le français, ou bien le kurde ou bien l'arabe. Je dois connaître celui qui est devant moi, pour que je puisse puiser dans ses richesses et pour aider, comme les Français, les Européens disent : "Nous voulons vous aider."" Et, dans ce domaine là, vous pouvez maintenir les chrétiens chez eux, parce qu'ils auront leurs universités, leurs lycées, et un milieu favorable pour vivre. 
Et je lance mon dernier appel, pour vous tous : Merci beaucoup. Et je dis à mes frères chrétiens : L'Europe est bien pour ceux qui sont Européens. Mais vous, ne sacrifiez pas votre Irak, votre Kurdistan, pour vivre dans un milieu qui n'est pas le vôtre : vous pouvez le visiter, vous ne pouvez pas y vivre.

À venir Dr. Fallah Mustafa, Ministre des Relations extérieures du Gouvernement régional du Kurdistan.

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