LA CAMPAGNE ELECTORALE A DEBUTE AU KURDISTAN D’IRAK
Alors que la date des élections présidentielles et législatives de la Région du Kurdistan d’Irak a été fixée au 25 juillet prochain, six candidats à la présidence se sont déclarés au cours de ce mois, comme l’a annoncé, le 25 mai, date limite du dépôt des candidatures, la Haute-Commission irakienne électorale indépendante. Il s’agit du président sortant Massoud Barzani, de Halo Ibrahim Ahmed, le beau-frère de Jalal Talabani, du Dr Kamal Mirawdeli, un écrivain et universitaire vivant à Londres, Hussein Garmiyani, un homme d’affaires, Ahmed Mohammed Rasul et Ahmed Kurda. Helo Ibrahim Ahmad, qui résidait en Suède et en Grande-Bretagne, avait démissionné l’année dernière de l’UPK et a fondé, au début de cette année, son propre parti, Al-Taqadom (le Progrès).
Près de deux millions et demi d’électeurs pourront voter pour la présidence au suffrage direct ainsi qu’aux législatives pour renouveler le Parlement d’Erbil qui, pour le moment est dominé par la liste commune PDK-UPK, laquelle a remporté 80 sièges sur 111 aux élections de 2005. Concernant les élections législatives, deux listes principales sont en lice pour les 111 sièges de députés, rompant avec le bipartisme traditionnel au Kurdistan d’Irak, depuis les élections de 1992 : La liste Kurdistani, qui comprend le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani, l’Union patriotique du Kurdistan, de Jalal Talabani et la Liste du Changement menée par Nawshirwan Mustafa, un ancien haut dirigeant de l’UPK qui a fait scission depuis : « Nous voulons changer le système politique », explique ce dernier, dont la campagne s’articule principalement autour de la dénonciation de la corruption et l’amélioration de la qualité de vie au Kurdistan d’Irak.
Autre liste à concourir, celle des « Services et de la réforme », une coalition de quatre partis islamiques, menée par Ali Bapir. Les partis islamistes sont régulièrement présentés comme un danger pour la vie politique kurde si le mécontentement des électeurs envers le PDK et l’UPK les amenait à reporter leurs voix sur ces mouvements religieux. Mais, depuis 1992, aucun de ces partis religieux n’a pu s’imposer réellement et pour cette campagne, il leur a même été impossible de trouver une entente commune pour former une liste unique les rassemblant tous. C’est ainsi qu’Irfan Ahmed Kake, du Mouvement islamique, dénonce le refus des autres partis religieux, l’Union islamique du Kurdistan et le Groupe islamique du Kurdistan de répondre à son appel et de s’unir pour les législatives. Le journal Awene affirme également que tous ces petits partis religieux espéraient rejoindre la liste Kurdistani, mais que ni le PDK ni l’UPK n’avaient accepté de les intégrer. L’Union islamique du Kurdistan est d’ailleurs soupçonnée par les mouvements laïques d’être soutenue par le parti de l’AKP, le parti du gouvernement turc et le mouvement islamique turc de Fetuhllah Gulen.
Comme en 2005, la liste Kurdistani vise à atteindre un statu-quo dans le partage du pouvoir entre l’UPK et le PDK, à la fois au gouvernement et au Parlement, ce qu’a confirmé au site Internet Rudaw Sa'di Ahmad Pira, membre du bureau politique de l’UPK, rappelant aussi que l’actuel président du Kurdistan, Massoud Barzani, étant à la tête du PDK, à l’UPK revenait, de plein droit, le poste de Premier ministre, occupé actuellement par Nêçirvan Barzanî. Le responsable politique n’a pas donné de nom, mais il est probable que ce soit le Dr. Barham Salih, l’actuel Vice-premier ministre d’irak qui remplace le neveu du président à la tête du gouvernement.
Certains craignent que cette remise en question du bi-partisme au Kurdistan ne ravive les spectres de la guerre civile si le PDK et l’UPK voyaient menacer leur prépondérance, mais le président Jalal Talabani se veut rassurant en espérant que « l'élection se déroulera d'une manière civilisée et conformément aux traditions du Kurdistan. » Le président irakien s’est rendu le 9 mai à Suleymanieh, Halabja et Shahrazur pour une rencontre avec les responsables de son parti et aussi ce qui apparaît comme un début de campagne électorale. Jalal Talabani a ainsi insisté sur la nécessité d’une politique d’assistance envers les classes sociales les plus démunies, tout en soulignant que le niveau de vie au Kurdistan d’Irak s’était beaucoup amélioré, comme en témoignent les chiffres donnés par le ministère de la Plannification et que, concernant les chiffres du développement, la province de Suleymanieh tient la première place en Irak. Parmi ses propositions électorales, figurent un programme et un budget spécialement alloués à la reconstruction des villages kurdes et aux forages de puits, l’ouverture de centres culturels pour les femmes et les jeunes.
L’ancien n°2 de l’UPK, Nawshirwan Mustafa, lui, se présente en candidat du changement, qui est d’ailleurs le nom qu’il a donné à sa liste : « Les vieux politiciens et les partis traditionnels dominants ne se soucient pas d’apporter des changements au Kurdistan. Ils veulent garder les choses en l’état. Nous voulons changer le système politique. » L’amélioration de la qualité de vie au Kurdistan fait aussi partie de son programme, ainsi que la lutte contre la corruption. De fait, d’autres voix, au sein de la société civile, et surtout parmi les jeunes, souhaitent un renouvellement des dirigeants politiques. Cet ancien haut responsable de l’UPK peut-il prendre des voix à son ancien parti ? Officiellement, les responsables du bureau politique de l’UPK se veulent confiants et assurent que les électeurs resteront fidèles aux deux grandes formations kurdes. « Les gens au Kurdistan sont très sensés et ne risqueront jamais leur avenir en votant pour de nouvelles listes. Les gens font confiance à leurs leaders et aux partis qui ont déjà accompli beaucoup de réformes ces dernières années » assure Saaddj Ahmed Pera, un responsable de l’UPK. Mais Nawshirwan Mustafa est relativement populaire et apprécié pour son franc-parler. Certains estiment qu’il peut emporter des sièges au parlement, ce qui induirait des alliances politiques nouvelles et la fin d’un statu-quo figé, héritage de la guerre civile. Il peut aussi profiter des dissensions internes de l’UPK et du désarroi de ses électeurs traditionnels, qui n’auraient sans doute pas été jusqu’à voter PDK, mais trouveront peut-être, avec la liste du Changement, une troisième voie pour un « vote sanction ».
Né en 1944 à Sulaymaineh, Nawshirwan Mustafa a étudié les sciences politiques à l’université de Bagdad. De retour au Kurdistan, il a dirigé un hebdomadaire, Rizgarî (Libération), tout en fondant clandestinement avec d’autres intellectuels kurde un parti, le Komala. Ses activités politiques l’obligent à s’exiler en Autriche, où il continue d’étudier. Il revient au Kurdistan dès le début de la « révolution kurde » de 1975 et devient l’un des dirigeants les plus en vue du groupement politique qui allait donner naissance à l’UPK. A partir de 1976, ses fonctions sont autant politiques que militaires. Il participe ainsi au soulèvement de 1991. A partir de 1992, il retourne à des activités intellectuelles et écrit plusieurs livres, tout en exerçant des fonctions politiques au sein de l’UPK. Mais en raison de désaccords avec le bureau politique de son parti, il se retire peu à peu de l’UPK, fonde d’abord son groupe de presse et puis son propre mouvement politique.
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