ERBIL : L’EXPORTATION DU PETROLE KURDE POURRAIT COMMENCER EN JUIN
Le 8 mai, le gouvernement régional kurde a annoncé que ses exportations de pétrole brut commenceraient le 1er juin, via le pipeline qui part du nord de l’Irak pour le port turc de Ceyhan. Quelques jours après, le gouvernement irakien a annoncé qu’il approuvait ce programme d’exportation de pétrole de la Région du Kurdistan. Cette « autorisation » délivrée par le ministre irakien du Pétrole a été confirmée par les autorités kurdes. Le ministre des Ressources naturelles du Kurdistan, Ashti Hawarami, a ainsi déclaré à l’agence Reuters avoir reçu « un message par email de Hussein Sharistani, avec qui, pourtant, le Gouvernement kurde entretient de très mauvaises relations. Dans sa déclaration officielle, le Gouvernement régional kurde envisage d’exporter environ 60 000 barils par jour. Ce pétrole brut sera commercialisé par l’Organisation irakienne du commerce et les revenus reviendront au gouvernement fédéral, afin d’être redistribués à l’ensemble des provinces irakiennes, selon leurs besoins. La Région kurde, elle, doit recevoir 17% du budget total de l’Irak.
Mais le litige entre Hussein Sharistani et le Gouvernement kurde n’est pas pour autant réglé concernant la signature, par le GRK de contrats avec des sociétés étrangères pour l’exploitation du pétrole kurde, sans passer par Bagdad. Aussi, le ministre irakien a tenu à réitérer ses allégations « d’illégalité » au sujet des contrats déjà passé entre Erbil et des compagnies étrangères : « La position du ministre du Pétrole n’a pas changé concernant les contrats signés par le Gouvernement régional kurde avec les compagnies pétrolières étrangères. Autoriser les Kurdes à exporter ne veut pas dire approuver les contrats qu’ils ont signés. » a déclaré à Reuters son porte-parole, Asim Jihad. « Tout ce que nous en disons est que ces contrats sont illégaux et illégitimes. La Région n’a pas le droit, pas plus qu’aucune autre province, de signer des contrats au nom de l’Irak sans autorisation » a renchéri le ministre Sharistani, interrogé par la télévision irakienne. « Tous les contrats doivent être soumis au ministère. »
Cela n’empêchera pas, cependant, la société nationale coréenne Oil Corp (KNOC) de commencer à forer dans la Région du Kurdistan, dès octobre prochain. Pour le gisement de Bazian, ses parts s’élèveront à 50.4 %, tandis que l’autre société coréenne SK Energy prélèvera 15.2 %. Les Coréens se disent confiants, maintenant que les exportations ont été officiellement approuvées : « Avec cette annonce, les projets de la KNOC concernant l’extraction du pétrole brut dans la Région kurde vont s’accélérer », a déclaré la compagnie, en ajoutant que les exportations devraient commencer dans un temps très proche. La KNOC possède en tout des parts dans cinq gisements du Kurdistan, dont celui de Sangaw, où les forages devraient commencer au début de l’année prochaine, et celui de Qush Tepe, fin 2010. Ces deux sociétés coréennes avaient été écartées en avril dernier des appels d’offre pour l’exploitation des gisements du sud de l’Irak en raison des contrats passés avec Erbil, sans l’accord de Bagdad. Parmi les autres sociétés étrangères impliquées dans l’exploitation des champs pétrolifères kurdes, il y a la norvégienne DNO, la turque Genel Enerji et la canadienne Addax Petroleum Corp.
Le peu de sympathie émanant du gouvernement de Bagdad pour les activités pétrolières kurdes a amené certains officiels irakiens à douter de la véracité de l’annonce des exportations kurdes qui doivent démarrer en juin. Mais le calendrier a été reconfirmé par le président de la Région kurde, Massoud Barzani dans une déclaration à la presse : « C’est un pas très important, qui va avec l’application de la constitution et est dans l’intérêt du peuple irakien. C’est un succès pour tous les Irakiens, mais ce succès a été remporté par les Kurdes. C’est comme lorsqu’un joueur de football marque un but, l’équipe entière en bénéficie. »
Le ministère du Pétrole irakien est, pour sa part, fortement critiqué pour n’avoir pu remonter la production de pétrole dans son pays, qui stagne à 2.3 ou 2.4 de millions de barils par jour, un montant bien inférieur à ce qu’était la production avant la chute de l’ancien régime, en 2003. Interrogé sur la position intransigeante de Hussein Sharistani, Massoud Barzani s’est contenté de répondre : « Je ne crois pas qu’il se comprenne lui-même, ni ce qu’il fait, mais ce qu’il dit n’a aucune importance pour nous. » Le président de la Région kurde a également écarté l’idée que le litige sur les contrats signés par son gouvernement pourrait faire l’objet d’un « marchandage » avec Bagdad à propos du statut de Kirkuk. Mais quelques jours plus tard, Hussein Sharistani a indiqué que les revenus que tiraient les Kurdes de leur pétrole reviendraient en totalité au gouvernement central pour être redistribués dans toutes les régions d’Irak. Certains y ont vu l’amorce d’un assouplissement dans ce conflit persistant, bien que le ministre ait répété que tout accord passé avec les Kurdes devait être officiellement présenté à son gouvernement. Cette mise en garde a eu peu d’effets sur les Kurdes comme l’avait déjà indiqué Massoud Barzani.
Le 18 mai, fort de ce premiers succès, le Gouvernement régional du Kurdistan a salué publiquement l’annonce par plusieurs sociétés, dont la United Arab Emirates' Crescent Petroleum (UAS), en partenariat avec la société autrichienne OMV et la société hongroise MOL, ainsi que la Dana Gas, d’investir dans la Région pour accélérer l’exploitation des réserves de gaz naturel, les commercialiser via le pipe-line en projet, Nabucco, qui doit relier la Turquie à l’Europe centrale en 2014. Le ministre des Ressources naturelles kurde présente lui-même ces investissements comme un renforcement des « liens entre la Région du Kurdistan et la Turquie » et une contribution à « la stabilité régionale », notamment en renforçant la position stratégique de la Turquie comme partenaire de l’Europe dans le domaine de l’énergie. Cette fois-ci, l’annonce de ce second projet d’exportation n’a pas eu la faveur de Bagdad et le même Hussein Sharistani a immédiatement rejeté ce projet. Son porte-parole Asim Jihad, a répété que le gaz et le pétrole « irakiens » devaient être commercialisés uniquement par le gouvernement, tandis que le porte-parole du gouvernement, Ali Al-Dabbagh indiquait que si l’Irak projetait bien de fournir l’Europe en gaz, ces plans ne prévoyaient pas les accords signés en toute indépendance par le Gouvernement régional kurde : « Le gouvernement rejette tout accord qui n’inclue pas le ministère irakien du Pétrole. »
Mais le soutien du gouvernement central au ministre du Pétrole n’empêchera peut-être pas sa mise en difficulté par le Parlement de Bagdad, peut-être excédé des résultats désastreux concernant la production pétrolière en Irak, au regard des développements positifs et rapides de la Région kurde. 140 députés irakiens ont ainsi convoqué Hussein Sharistani à l’Assemblée nationale pour qu’il rende compte de sa gestion durant ces trois dernières années. Si une motion de défiance est votée, il pourrait être relevé de ses fonctions par le Premier ministre Nouri Al-Maliki, comme l’a indiqué à l’AFP le député kurde Mahmoud Othman. Ezzedine Al-Dawlah, un député arabe sunnite au sein du Front national de la Concorde, le plus important bloc sunnite, a confirmé le projet de convocation, mais sans mentionner de date précise.
Ce ne serait pas la première fois qu’un ministre irakien serait démis de ses fonctions après un vote de défiance du Parlement, car le 14 de ce mois, une action similaire des députés a abouti au départ du ministre du Commerce, Abdel Falah al-Sudani, impliqué dans des affaires de corruption et de détournement de fonds destinés au programme d’aide alimentaire national. Il a dû présenter sa démission au Premier ministre, qui l’a acceptée. Des soupçons de corruption pèsent aussi sur Hussein Sharistani, mais Asim Jihad, son porte-parole, a affirmé que seule la gestion du ministre et la production insuffisante de pétrole était mise en cause par le Parlement.
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