SYRIE : ARRESTATIONS, CENSURE ET PROCES INIQUES
Après l’arrestation de Mashaal Tamo, dirigeant de la plate-forme d’opposition « Avenir kurde », survenue le 15 août et dénoncée par l’Observatoire des droits de l’Homme en Syrie, cette même organisation dénonce celle de Talal Mohammad, du parti Wifaq, une branche (interdite) du PKK en Syrie, qui a été aussi mis au secret, à la fin du mois d’août. Tous deux sont accusés d’ « offense majeure » envers l’Etat.
Mashaal al-Tammo avait déclaré, peu de temps avant son arrestation, que l’attitude des policiers syriens envers les Kurdes risquait de provoquer des émeutes semblables à celles de 2004, ce que la justice syrienne a qualifié d’ « incitation à la guerre civile », un chef d’accusation qui fait encourir la peine capitale, bien que celle-ci soit rarement appliquée contre des opposants politiques connus. Il est aussi accusé plus classiquement, quand il s’agit des leaders kurdes, d’appartenance à une organisation « ayant pour but de changer les fondements de la société et de créer des tensions raciales et sectaires ».
L’arrestation a eu lieu peu avant la visite de Nicolas Sarkozy dans ce pays, qui a plaidé pour la libération des prisonniers politiques syriens et une libéralisation de la vie politique en Syrie. Mais le message français ne semble guère être passé, car dans le même temps, le Centre syrien pour la liberté des media et la liberté d’expression annonçait que depuis l’année 2000, la Syrie avait bloqué l’accès Internet à 160 sites, de partis politiques kurdes, d’opposants politiques, de journaux (en particuliers libanais), de mouvements pour les droits de l’homme, d’associations diverses, islamiques ou civiles... Et selon Mazen Darwish, le président de l’organisation, cette répression va en s’accroissant : « Ceci n’est que le début d’une politique de censure de la presse, et d’une tentative de contrôler tous les utilisateurs d’Internet », lesquels, selon Mazen Darwish, ont de plus en plus recours à ce media pour s’exprimer et commenter la vie politique dans leur pays.
De fait, le 15 septembre, 50 Kurdes étaient jugés par une cour militaire de Damas, et condamnés à des peines allant de 4 à 6 mois de prison, pour avoir participé aux manifestations qui ont suivi l’enlèvement et l’assassinat du cheikh soufi Maashuk al-Khaznawî. A l’époque, les manifestants réclamaient que toute la vérité soit faite sur ce meurtre par le biais d’une enquête indépendante. Les 50 accusés avaient été arrêtés sur les lieux, détenus 2 mois avant d’être relâchés. Ils ont été condamnés pour « incitation aux dissensions religieuses et raciales et à des conflits entre différentes religions et groupes de la nation. »
Le 18 septembre, s’ouvrait aussi le procès d’Ahmad Tohme, Jaber al-Shoufi, Akram al Bunni, Fida al-Hurani, Ali al-Abdullah, Walid al-Bunni, Yasser Tayser Aleiti, Fayez Sarah, Mohammed Haj Darwish, Riad Seif, Talal Abu Dan et Marwan al-Esh. Les douze hommes sont membres du Conseil national de la déclaration de Damas pour un changement démocratique (NCDD), un mouvement qui comprend plus de 160 hommes politiques, militants pour les droits de l’homme, intellectuels et artistes. Depuis décembre 2007, date à laquelle il a été créé pour remplacer l’ancien Conseil national de Damas pour un changement démocratique (fondé en 2005), quarante de ses membres ont déjà été arrêtés par les services secrets syriens. Les douze actuellement jugés sont ceux qui ont été gardé en détention.
Le 28 janvier 2008, ils ont comparu devant un juge, sur la base de l’article 285 du Code criminel syrien, réprimant « l’affaiblissement des sentiments nationaux », de l’article 286 pour avoir propagé « des informations notoirement fausses » et avoir voulu « affaiblir le sentiment national », de l’article 306, concernant l’appartenance à une « association ayant pour but de changer la structure économique ou la structure sociale de l’Etat, et de l’article 307 visant « toute action, discours ou écrit incitant au sectarisme ou encourageant les conflits entre sectes ». Le 26 août dernier, le procureur général avait confirmé les chefs d’accusation. Les avocats de la défense, entendus le 24 septembre, ont plaidé non coupable, en exposant que la Déclaration de Damas avait seulement pour but d’initier un débat sur un processus de réformes pacifiques et démocratiques en Syrie. Les accusés encourent jusqu’à 15 ans de prison. Le verdict est attendu pour le mois d’octobre.
Le procès a été vigoureusement dénoncé à la fois par le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme (une plate-forme de travail conjointe avec la Fédération internationale des droits de l’homme et l’Organisation mondiale contre la torture), Human Rights Watch et Human Rights First. Ces ONG ont exprimé leur « profonde préoccupation » pour ce qu’elles qualifient de détention arbitraire et de procès inique, dans une déclaration cosignée, où elles demandent instamment aux autorités syriennes l’annulation du procès ainsi que la libération immédiate et sans condition des accusés, en rappelant que les membres de la Déclaration de Damas ne font qu’exercer « pacifiquement leurs droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par les lois internationales et la constitution syrienne elle-même, par exemple l’article 38 qui stipule que « tous les citoyens ont le droit d’exprimer librement et ouvertement leurs opinions, verbalement, par écrit, et par tout autre moyen d’expression. »
Les ONG craignent aussi que les accusés ne puissent avoir droit à un procès régulier et dénoncent aussi les termes « vagues et très larges » du code pénal, qui permettent aux autorités de les utiliser contre des dissidents politiques pacifiques ou des militants des droits de l’homme. Les avocats ont fait part aussi des mauvais traitements subis par leurs clients, qui ont tous été battus durant les interrogatoires et contraints de signer de fausses déclarations, lesquelles ont été utilisées ensuite par le procureur au cours du procès.
Enfin, l’état de santé de certains des dissidents s’avère préoccupant et nécessite des soins médicaux suivis : Riad Seif, le secrétaire général du NCDD souffre ainsi d’un cancer de la prostate et ne bénéficie actuellement d’aucun traitement ; le Dr. Fidaa al-Horani, le président du NCDD s’est vu également refusé une surveillance médicale alors qu’il est atteint de problèmes cardiaques ; Ali Abdallah, un journaliste indépendant, a perdu l’ouïe de son oreille gauche, conséquence des coups reçus lors de ses interrogatoires. Le 28 janvier dernier, il a été examiné par un médecin qui a refusé de faire un rapport, ce qui a empêché ainsi de fournir au prisonnier un traitement médical. De plus, Ali Abdallah a été transféré il y a deux mois dans un quartier disciplinaire, où les conditions de détention sont encore plus sévères, pour avoir refusé de se lever durant une altercation avec un gardien.
Les organisations rappellent à la Syrie qu’elle est signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de multiples conventions, notamment celle sur les droits civils et politiques portant, entre autres, sur le droit d’expression et la liberté d’association. Elle a aussi signé la Déclaration des Nations Unies de 1998 « sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus ». Elles demandent aussi la levée de l’état d’urgence et des lois qui en découlent, en appelant toutes les institutions de l’Union européenne à se joindre à cette protestation et à en faire part la Syrie.
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