IRAK : MECONTENTEMENT CHRETIEN APRES L’ADOPTION DE LA LOI ELCTORALE PROVINCIALE
L’assemblée nationale irakienne a finalement accouché dans la douleur, le 24 septembre, d’une nouvelle loi sur les élections provinciales, lesquelles devraient se tenir au plus tard le 31 janvier 2009, dans 14 des 18 provinces de l’Irak. Les 191 députés présents ont voté à main levée et la loi a été ainsi adoptée à la majorité des présents.
Approuvée à l’unanimité, la loi électorale nouvelle version a été qualifiée par Mahmoud al-Mashshadani, le porte-parole du parlement, de « grand jour pour l’Irak, et un jour pour la démocratie durant lequel les Irakiens ont prouvé qu’ils peuvent parvenir à des solutions de consensus. Kirkouk est la source des problèmes, mais aujourd’hui, c’est devenu un symbole de l’unité irakienne. »
En fait, le « symbole de l’unité irakienne » fera simplement l’objet d’un report des élections, suivant en cela l’avis des représentants des Nations Unies qui ont conseillé un report des élections pour Kirkouk et la formation d’une commission chargée de préparer les élections dans cette région, ce que le parlement irakien a accepté. Selon le député de l’Alliance kurde Khalid Shawani, cette commission sera constituée « de deux représentants de chaque communauté, arabe, kurde et turkmène, et un de la communauté chrétienne. » Son objectif est de « préparer le terrain » pour la tenue des élections, prévues courant 2009, de mettre en place les nouveaux « mécanismes du partage de l’autorité » à Kirkouk, de revérifier le recensement des citoyens et l’inscription des électeurs sur les registres, tout en corrigeant les « excès qui ont eu lieu avant et après avril 2003 », date de la chute du régime baathiste. Le rapport de la commission devra être présenté au parlement avant le 31 mars et ce sont les députés qui choisiront alors la date du scrutin.
En attendant, le Conseil provincial de Kirkouk, composé en majorité de Kurdes, continuera de gouverner la région. Le député kurde Khalid Shawani a également déclaré sur la radio La Voix de l’Irak, que le parlement avait approuvé unanimement la recommandation de l’envoyé de l’ONU, sur la commune « participation du gouvernement fédéral et du Gouvernement régional du Kurdistan » au processus, et de leur soutien nécessaire à son succès.
Trois autres provinces seront soumises à un agenda électoral indépendant : Duhok, Suleïmanieh, Erbil, soit l’actuelle Région du Kurdistan qui doit d’abord faire voter par son parlement sa propre loi électorale, comme l’explique à l’AFP Ali Qader, le président de la commission électorale du GRK : « Seul le parlement du Kurdistan a le droit de faire passer cette loi ; aussi aucune date n’est encore fixée pour les élections au Kurdistan. »
L’adoption de la loi électorale a bien sûr été saluée par Washington, qui pousse depuis des mois à la tenue de ces élections, prévues initialement en octobre 2008, et qui a tenté jusqu’au bout d’éviter le report. « Nous félicitons le parlement irakien pour avoir fait passer la loi sur les élections provinciales. Nous pensons que c’est un signe positif et qui montre sans aucun doute une démocratie irakienne en voie de maturation », a ainsi déclaré Robert Wood, porte-parole du Département d’Etat. « Nous espérons que les élections provinciales se tiendront dès que possible, de préférence à la fin de l’année. »
Mais des voix discordantes se sont élevées dans ce concert dithyrambique. Le vice-président de l’Assemblée nationale du Kurdistan, Kamal Kirkouki, a ainsi déclaré sur la Voix de l’Irak, que le vote de la loi, et particulièrement de ses deux articles 2 et 14, violait la constitution irakienne et par là-même, « les fondements démocratiques du nouvel Irak ». Kamal Kirkouki exprimait en fait la position généralement adoptée par les Kurdes, qui s’opposaient, dès le début de l’été, à un traitement particulier pour Kirkouk, qui aurait pour seul but d’empêcher une nouvelle victoire des Kurdes au Conseil provincial, tant la démographie de la région est en leur faveur. L’avis des Kurdes du Gouvernement régional du Kurdistan, comme celui des Kurdes de Kirkouk était donc la tenue d’élections dans cette province sous les mêmes conditions et au même titre que dans le reste de l’Irak. Le vote des députés de l’Alliance kurde au parlement de Bagdad n’a été qu’un compromis pour sortir de la crise.
Dans une déclaration officielle, le président du Kurdistan, Massoud Barzani, bien que se déclarant « très satisfait » de ce vote, en espérant qu’il sera un « pas significatif en direction d’un renforcement du processus démocratique en Irak. » et bien qu’il affirme « soutenir activement l’adoption d’une loi qui permettrait à tous les Irakiens de déterminer le statut final de leur communauté à l’intérieur du nouveau système fédéral », regrette que la loi ne mentionne pas les droits des chrétiens, yézidis et autres minorités religieuses, à être représentés. Aussi la présidence du Kurdistan tient à réaffirmer son soutien à tous les groupes religieux et ethniques de l’Irak pour la garantie de leurs droits, ce qui reste dans la droite ligne de la politique de tolérance, voire de discriminations positives du GRK envers les minorités, surtout religieuses, et place le gouvernement irakien dans un certain embarras en raison de l’agitation chrétienne que la nouvelle mouture de cette loi a suscitée.
En effet, le silence du texte sur la représentation des minorités dans les conseils de province n’a pas non plus échappé aux principaux intéressés. Ainsi, le 29 septembre, des chrétiens de Qaraqosh, dans la province de Ninive, qui abrite un grand nombre de réfugiés venus d’Irak, en plus de la population chrétienne autochtone, ont manifesté contre l’abrogation, lors de son second vote, de l’article 50 de cette loi, qui prévoyait qu’un certain nombre de sièges soient garantis par quota aux minorités ethniques et religieuses des provinces, comme c’est le cas au parlement kurde depuis 1992. Les Assyro-Chaldéens estiment cette suppression anticonstitutionnelle et surtout portant atteinte à leurs droits, en les « marginalisant ».
Les manifestants de Qaraqosh ont donc soumis un mémorandum au maire de la localité, afin qu’il le fasse parvenir au président Jalal Talabani, au Premier ministre Nouri Al-Maliki, au porte-parole du parlement Mahmoud al-Mashhadani, au représentant des Nations Unies en Irak, Staffan de Mistura et à l’ambassadeur des Etats-Unis. Ils réclament le rétablissement de l’article 50 et la possibilité de s’auto-administrer.
Le Conseil populaire des Assyro-Chaldéens a appelé tous les chrétiens à organiser « dans tous les lieux où ils résident », mais il est en fait difficile à cette communauté, particulièrement visée par le terrorisme, de défiler dans les zones où elle ne bénéficie pas de la protection des Kurdes. Le chef du Parti irakien démocratique de la section de Mossoul, Menas Al-Yousifi, a également jugé « injuste » cette abrogation, qui ne pouvait que « jeter de l’huile sur le feu » et « aggraver la crise que vit le peuple irakien. »
Ce mécontentement chrétien est relayé à l’intérieur du GRK, au plus haut niveau gouvernemental, puisque Georges Mansour, le ministre de la Société et des affaires civiles, lui-même chrétien, a pris la parole pour condamner à son tour cette abrogation, en la qualifiant de « retour en arrière » dans le processus démocratique du pays et de « violation flagrante du deuxième article de la constitution irakienne interdisant toute loi électorale qui nuirait aux principes démocratiques », ainsi que l’article 14, qui affirme l’égalité de tous les Irakiens, quels que soient leur sexe, leur ethnie et leur religion. Un député chrétien, Yonadim Kanna, a de même jugé que la disparition de l’article 50 portait atteinte aux principes démocratiques, de partenariat et de fraternité dans le pays.
Devant cette salve de critique, Staffan de Mistura, le représentant de l’ONU en Irak, a fini par convenir que les minorités étaient marginalisées dans la nouvelle mouture de la loi, mais a appelé les mécontents à négocier avec la Haute Commission électorale indépendante, qui gère les scrutins locaux.
Le Premier ministre Nouri Al-Maliki, qui a rencontré récemment le pape et l’avait assuré de son soutien aux chrétiens d’Irak, a désavoué officiellement cette abrogation, en déclarant qu’il avait, bien au contraire, espéré que le parlement maintiendrait le passage garantissant la représentation des minorités. Il a également appelé les leaders parlementaires et la commission électorale à « trouver une solution et à lever le sentiment d’inquiétude, le sentiment d’être aliénées ou opprimées, qui affecte des communautés fières d’être irakiennes. »
Finalement, le cardinal Emmanuel III Delly en personne, patriarche des Chaldéens catholiques d’Irak, a appelé le Conseil de présidence, qui n’a pas encore approuvé la loi, à y mettre une seconde fois son veto, ce qui ne ferait évidemment pas l’affaire ni du gouvernement irakien, ni du parlement ni des USA : « J’appelle le Conseil de présidence à ne pas approuver l’abrogation de l’article 50 de la loi provinciale, qui est un acte d’oppression contre notre présence et notre représentation dans la société irakienne » a lancé le cardinal, lors d’une interview télévisée.
Interrogé à ce sujet, Hashim Al-Tayy, à la tête de la commission parlementaire des régions, a révélé que les différents blocs parlementaires ont abrogé l’article 50 pour la seule raison qu’ils n’avaient pu se mettre d’accord sur le nombre de sièges qui seraient alloués à chaque groupe. Mais il a assuré que la garantie de ces sièges sera ajoutée ultérieurement à la loi.
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