samedi, novembre 17, 2007

Coup de projo sur : Rowshan Golafruz


Rowshan Golafruz est né en 1956, d'un père persan et d'une mère kurde. Petit-fils et fils de grands bakhshî khorasanî, respectivement Ali Akbar Bakhshi et Hamrâ Golafruz, il reprend naturellement leur répertoire et leur art, chantant les dâstân (épopées), qui mêlent récitatifs en prose et maqâm versifiés, en persan et en turc. Il s'accompagne pour cela du dotar (un luth à deux cordes, qui rappelle un peu la dombra kazakh mais en moins sourd) et comme Ahmeneh Youssefzadeh le fait remarquer dans la présentation du double CD, l'imitation des cris d'animaux à certains moments du récits rappellent que les bakhshi d'Asie centrale avait aussi une fonction chamanique.
L'histoire de Tâher et Zohre, dont il a été retrouvé à Tachkent une version écrite au XVI° siècle, commence presque exactement comme la célèbre épopée kurde Memê Alan : le sultan de Qarabaq, en Azerbaïdjan, et son frère Ahmad, sont âgés mais sans enfant.
Narration :
"Qu'il me soit permis de dire à ceux qui me sont chers.
Ahmad rapporte à son frère qu'il a lu dans un livre que, dans la contrée de Beyk, il y a une source miraculeuse, appelée Source du Souhait : "Si nous prions devant cette source, tous nos voeux seront exaucés."
Le sultan et son frère, accompagnés de 500 serviteurs, de 500 chevaux et de vivres entreprennent donc leur voyage au pays de Beyk. Après quarante jours, ils arrivent à la Source du Souhait. Le Sultan Hâtam, après avoir fait ses ablutions, s'apprête à faire sa prière devant la source. Soudain, il voit une pomme au milieu de l'eau et il entend une voix qui lui dit de la prendre. C'est une pomme étrange, dont une moitié est rouge comme le sang et l'autre blanche comme la neige. Son frère, en voyant la pomme, lui dit que c'est une pomme magique qui vient du paradis et qu'elle a été envoyée par le Tout-Puissant.
Voici leur prière que moi, votre serviteur qui suis un bakhshi, vais vous répéter :
Chant - Tajnis
Ô Grand Dieu, Dieu tout-puissant
Grâce, grâce, grâce... Ô Dieu.
Louanges au Créateur qui a créé mon corps, le créateur de mon âme,
Le signe de son pouvoir est la création de la vie,
Gardien des piliers de l'honneur, ton humble créature.
Depuis que tu as mis le pied sur la route de l'espérance, ta tête vagabonde.
Grâce ! La corde s'est changée en dragon dans ma main,
A qui puis-je demander remède pour ma peine ?
Cette douleur est sans remède."
Dans Memê Alan, les frères sont au nombre de trois et non deux, mais à vrai dire le nombre des frères dans le Memê Alan de la version Lescot ne se justifie guère, puisqu'un seul d'entre eux donnera naissance au héros, Mem, alors que dans celle notée par O. Mann, la pomme donne naissance à Mem et Bengina. Autre écart dans Memê Alan et Tâher et Zohre, le rôle de Khidr, prépondérant dans la version kurde (sunnite, donc) est effacé par celui d'Ali, le Premier Imam, pour la rendre conforme au chiisme des Azéris, des Qizil Bach, turcs ou kurdes, qui ont dû en être le premier public. Ce qui me fait dire qu'à l'origine la version "khidirrienne" était la bonne, c'est que le rôle de la Source miraculeuse est maintenu (le Verdoyant étant inséparable de son Eau de vie) et que l'apparition d'Ali se fait plus tardivement, dans un rêve qui vient préciser plus en détail ce que les deux frères doivent faire de la pomme.
Tâher et Zohre naissent, comme Memê Alan, neuf mois, neuf jours neuf heures et neuf minutes après que les femmes des sultans aient mangé la pomme.
Narration :
"Que je dise à ceux qui me sont chers. Avant la naissance de leurs enfants, Hâtam et Ahmad font un pacte. Si l'un des enfants est un garçon et l'autre une fille, ils les marieront. Ils rédigent leur pacte sur un parchemin qu'Ahmad conserve précieusement.
Les enfants sont mis en nourrice jusqu'à l'âge de 7 ou 8 ans. Puis on les envoie à maktab khane (école coranique).
Quelques années passent. Ce sont devenus des adolescents. Zohre est d'une beauté remarquable, sa taille est fine. Tâher est beau comme Yûsef-e Mesrî.
Un jour que Tâher consulte les livres de son père, il trouve le pacte conclu par son père et son oncle. Le lendemain, il apporte le parchemin à l'école et le montre à Zohre, qui croyaît que Tâher était son frère. En fait, ils sont seulement frère et soeur de lait.
Chant : Bichare maqâm
Que je sois sacrifié pour une telle taille et une telle allure.
Dis-le bien : que je sois sacrifié pour ta langue.
Par erreur tu as souillé tes mains de sang.
Tu peignes tes cheveux dorés.
Comme Yusef, tu m'as fait prisonnier.
Dis-le bien : que je sois sacrifié pour ta langue."
Le serment des frères d'unir leurs enfants (et le fait que l'un aura des vélléités de rompre sa promesse), rappelle un conte des Mille et une nuits, et le fait que les deux adolescents aillent à l'école ensemble avant d'être séparés est peut-être un souvenir de Layla et Majnoun :
Narration :
"Que je dise à ceux qui me sont chers. Finalement il aperçoit sa bien-aimée Zohre, courant comme une gazelle. Dès cet instant, ils oublient la classe et les études et se consacrent entièrement à leur amour.
Petit à petit les autres élèves découvrent leur secret et le rapportent au maître, le Mollâ. Celui-ci en informe le Sultan Hâtam.
Le lendemain matin, quand Zohre s'apprête à partir, son père lui interdit de sortir pour rejoindre Tâher. Tâher, en arrivant à maktab khâne, ne trouve pas Zohre. Il demande à ses camarades où est passée la bien-aimée.
Chant : Le yare jân
Ô amie, ah !
Que vous m'êtes précieux, ô mes camarades.
Que s'est-il passé ? Vous êtes tous là, seule ma Zohre n'est point venue.
Oh, elle n'est pas venue !
Avez-vous vu quoi que ce soit de mauvais en moi, ô mes camarades ?
Sans raison tu as souillé tes mains de sang,
Tu peignes tes cheveux dorés,
Comme Yusef, tu m'as fait prisonnier.
Je brûle."
Narration :
"Tâher est conduit, les mains liées, chez son oncle Hâtam. Celui-ci ordonne qu'on prépare un banquet pour la pendaison de son neveu. De son côté, Mâlek Simâ console Zohre et demande qu'on prépare deux vêtements d'homme, et des plateaux de bijoux et de rubis. Les deux femmes se déguisent en homme puis vont se présenter à Hâtam en se faisant passer pour des marchands géorgiens qui veulent racheter le prisonnier et le ramener chez eux. Tout d'abord, Hâtam s'y opposent, puis après l'intervention de son vizir qui lui rappelle que leurs relations avec les marchands géorgiens sont importantes pour le pays, il change d'avis et vend Tâher son poids de rubis. Tâher reconnaît dans l'un de ses sauveurs, les yeux de sa bien-aimée, Zohre. Il prend son dotâr et, sous la corde préparée pour sa pendaison, chante quelques vers que moi, votre serviteur, vais répéter :
Chant- Öldürma
Ô mon ami,
Ne me tue pas, ne me tue pas, j'ai, une déclaration à faire, Khan, mon oncle.
Je suis innocent, ce n'est pas ma faute, cher oncle,
Ton injustice et ta cruauté ont dépassé les bornes.
Je suis un orphelin et mon coeur brûle.
Le printemps arrivera mais les jardins sont en automne, c'est en toi la cause.
Notre destin de toute éternité est écrit ainsi.
Dès que je les ai vus, j'ai reconnu les yeux de Zohre."
Chant : Nârgess
"Pourquoi dors-tu, réveille-toi rossignol.
Toi ne pleure pas, laisse-moi pleurer, rossignol.
Le rossignol qui a brûlé mon coeur, grâce, rossignol.
Toi ne pleure pas, laisse-moi pleurer.
Ah rossignol tu n'as pas de chair dans ton corps,
Quand tu chantes ta voix est puissante.
Ah, j'ai vu ton courage.
Toi ne pleure pas, laisse-moi pleurer.
Narration :
Gorgi Khânum préparer ses troupes et se met en route pour Qarabâq avec dix mille hommes. Une fois là-bas, ils dressent leur camp à l'extérieur de la ville. Gorgi Khânum et Tâher vont voir Zohre. A la porte, Malek Simâ, la servante de Zohre, vient leur ouvrir. Gorgi Khânum lui donne le dotâr de Tâher et demande qu'elle le montre à sa maîtresse. Malek Simâ reconnaît Tâher et les fait conduire à Zohre. Gorgi Khânum raconte à cette dernière qu'elle est venue faire la guerre au Sultan à cause de son injustice envers Tâher. Qu'il me soit permis de dire à ceux qui me sont chers. Ils se rendent donc chez Sultan Hâtam pour lui demander la main de Zohre. Celui-ci, étonné de voir Tâher, refuse cette union. Alors, les troupes de Gorgi Khânum surgissent, la guerre commence et Sultan Hâtam est tué.
Tâher devient Sultan de Qarabâq et prend Zohre pour femme. Leur mariage est fêté sept jours et sept nuits durant. Ici les amants réalisent leur désir et atteignent enfin leur but."
Comme on le voit, le happy end est plus proche des contes moralisateurs où le droit triomphe et où le crime ne paie pas, comme dans les Mille et une Nuits, que des amours mystiques et malheureux, comme Layla et Majnoun ou Mem et Zîn.
L'histoire complète de Tâher et Zohre est naturellement plus longue que les quelques extraits présentés ici, et est entièrement narrée dans ce double CD.

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