Roger Lescot et Nîma Yûshidj
Un des premiers grands kurdologues français, Roger Lescot, était aussi un très bon traducteur, de kurde (Memâ Alan) et de persan. Ainsi Afsâneh, du poète persan Nîma Yûshidj, a, grâce à lui, une belle version française.
Extraits :
"Dans la ténébreuse nuit, un fou,
au coeur épris d'un reflet fugitif,
hôte d'une vallée froide et déserte,
semblable à la tige d'une plante flétrie par le gel,
raconte une histoire d'affliction.
Il a perdu le fil de son récit
où il est question d'appât et de piège.
De tout ce qui fut déjà dit, il lui reste à dire
d'un coeur égaré le message qu'il détient.
Conte d'un rêve trouble."
"Afsâneh :
De semblables victimes,
sur ce chemin glissant, nul n'en vit encore.
Ah ! Que de longtemps on conte cette histoire :
"De la branche un oiseau s'est envolé
il n'en reste que le nid.
Des nids de cette sorte,
la main du vent tous emporte..."
Sur cette route il y a des voyageurs
qui souffrent et chantent de chagrin...
Celui-ci était quelqu'un d'entre eux.
Devant cette caverne effondrée,
sous ce ciel lointain, ces étoiles,
tant d'années vous avez mis en commun vos peines,
par un destin contraire déchirés
A toi allaient ses baisers, à lui les tiens...
L'AMANT :
Tant d'années, nous avons mis en commun nos peines.
Tant d'années, comme gens épuisés de lassitude.
Pourtant, la vague échevelée qui allait avait sur sa lèvre un conte de toi.
Et ta lèvre riait en elle.
AFSÂNEH :
Et moi, sur cette vague échevelée, j'ai vu
un être unique, en sa course angoissée.
Mais,
L'AMANT :
j'ai rejoint un visage de rose
brouillé de cheveux confus comme une énigme
ou comme les tourbillons du vent."
"Qu'es-tu donc ? Ô toi cachée aux regards !
Toi, à l'affût au long des chemins !
Des garçons tout en plainte tes lèvres
tout en en plainte aussi pour les pères !
Qui es-tu ? Ta mère, qui est-elle, et qui ton père ?
En me sortant du berceau,
ma mère disait ton aventure ;
elle faisait sur mon visage ruisseler l'éclat du tien ;
et mes yeux se fermaient, pleins d'extase, à ton évocation.
Je défaillais, hors de moi, fasciné.
Puis, lorsque peu à peu mes premiers pas
poursuivirent les jeux enfantins,
à chaque fois que la nuit venait,
près des sources ou des rivières,
au secret de mon être j'entendais ton appel.
Afsâneh ! N'était-ce toi,
à l'époque où dans les solitudes,
je courrais comme un fou, loin de tous,
en proie aux sanglots et aux larmes,
toi qui essuyais mes pleurs ?
A l'époque où, plein d'ivresse,
je livrais ma chevelure au vent,
n'était-ce toi qui, à l'unisson
de mon deuil et de mon désespoir,
faisais trembler la terre et le ciel ?
Près de mes moutons, une sombre nuit, je m'étais effondré, livide et malade ;
n'as-tu pas été, alors, ce monstre,
ce fantôme noir répandant l'effroi, crachant du feu
et qui m'a fait hurler de peur ?"
"serais-tu mon coeur en tumulte, toi,
à ce point méconnue et anonyme ?
Ou ma nature secrète, toi qui n'as recherché
lustre, gloire ou renom ?
Ou la fortune, puisque tu me fuis ?"
"Mon coeur est le livre des cieux,
la sépulture des espoirs et des âmes.
En apparence il est tous les rires du siècle
et dans sa profondeur il y a des pleurs mystérieux.
Comment l'abandonner ? Comment fuir ?
Ô compagne de route ! Les ténèbres reviennent.
On m'entraîne malgré moi.
Il brille une étoile à la manière
d'une flamme qui va s'étendre.
Le vent pousse une clameur forte.
Au pied de ces collines bien cachées,
maintenant glapit le renard.
Montagne et forêt semblent ici ne plus être
rien d'autre qu'un théâtre pour les renards.
Chaque oiseau dort sur une branche.
AFSÂNEH :
Chaque oiseau frileux blotti dans son refuge,
la nuit pareille à un coeur ivre d'amour..."
"Celui qui sur le tard revêtit la tunique des mystiques
et chantait sans relâche des chants éternels,
il n'était amoureux que de sa propre vie
sans le savoir. Sous l'habit d'Afsâneh,
il se trompait lui-même.
Quelque esprit subtil rira de ce que j'affirme ;
m'objectant : "Au-delà ce ce monde, il en existe un autre !"
L'homme créé d'une vile argile
est captif d'amours mystérieuses,
tout le charme de la vie est là."
Nîma Youchîdj, Afsâneh, trad. Roger Lesot. Mélanges Massé, Téhéran 1963.
Extraits :
"Dans la ténébreuse nuit, un fou,
au coeur épris d'un reflet fugitif,
hôte d'une vallée froide et déserte,
semblable à la tige d'une plante flétrie par le gel,
raconte une histoire d'affliction.
Il a perdu le fil de son récit
où il est question d'appât et de piège.
De tout ce qui fut déjà dit, il lui reste à dire
d'un coeur égaré le message qu'il détient.
Conte d'un rêve trouble."
"Afsâneh :
De semblables victimes,
sur ce chemin glissant, nul n'en vit encore.
Ah ! Que de longtemps on conte cette histoire :
"De la branche un oiseau s'est envolé
il n'en reste que le nid.
Des nids de cette sorte,
la main du vent tous emporte..."
Sur cette route il y a des voyageurs
qui souffrent et chantent de chagrin...
Celui-ci était quelqu'un d'entre eux.
Devant cette caverne effondrée,
sous ce ciel lointain, ces étoiles,
tant d'années vous avez mis en commun vos peines,
par un destin contraire déchirés
A toi allaient ses baisers, à lui les tiens...
L'AMANT :
Tant d'années, nous avons mis en commun nos peines.
Tant d'années, comme gens épuisés de lassitude.
Pourtant, la vague échevelée qui allait avait sur sa lèvre un conte de toi.
Et ta lèvre riait en elle.
AFSÂNEH :
Et moi, sur cette vague échevelée, j'ai vu
un être unique, en sa course angoissée.
Mais,
L'AMANT :
j'ai rejoint un visage de rose
brouillé de cheveux confus comme une énigme
ou comme les tourbillons du vent."
"Qu'es-tu donc ? Ô toi cachée aux regards !
Toi, à l'affût au long des chemins !
Des garçons tout en plainte tes lèvres
tout en en plainte aussi pour les pères !
Qui es-tu ? Ta mère, qui est-elle, et qui ton père ?
En me sortant du berceau,
ma mère disait ton aventure ;
elle faisait sur mon visage ruisseler l'éclat du tien ;
et mes yeux se fermaient, pleins d'extase, à ton évocation.
Je défaillais, hors de moi, fasciné.
Puis, lorsque peu à peu mes premiers pas
poursuivirent les jeux enfantins,
à chaque fois que la nuit venait,
près des sources ou des rivières,
au secret de mon être j'entendais ton appel.
Afsâneh ! N'était-ce toi,
à l'époque où dans les solitudes,
je courrais comme un fou, loin de tous,
en proie aux sanglots et aux larmes,
toi qui essuyais mes pleurs ?
A l'époque où, plein d'ivresse,
je livrais ma chevelure au vent,
n'était-ce toi qui, à l'unisson
de mon deuil et de mon désespoir,
faisais trembler la terre et le ciel ?
Près de mes moutons, une sombre nuit, je m'étais effondré, livide et malade ;
n'as-tu pas été, alors, ce monstre,
ce fantôme noir répandant l'effroi, crachant du feu
et qui m'a fait hurler de peur ?"
"serais-tu mon coeur en tumulte, toi,
à ce point méconnue et anonyme ?
Ou ma nature secrète, toi qui n'as recherché
lustre, gloire ou renom ?
Ou la fortune, puisque tu me fuis ?"
"Mon coeur est le livre des cieux,
la sépulture des espoirs et des âmes.
En apparence il est tous les rires du siècle
et dans sa profondeur il y a des pleurs mystérieux.
Comment l'abandonner ? Comment fuir ?
Ô compagne de route ! Les ténèbres reviennent.
On m'entraîne malgré moi.
Il brille une étoile à la manière
d'une flamme qui va s'étendre.
Le vent pousse une clameur forte.
Au pied de ces collines bien cachées,
maintenant glapit le renard.
Montagne et forêt semblent ici ne plus être
rien d'autre qu'un théâtre pour les renards.
Chaque oiseau dort sur une branche.
AFSÂNEH :
Chaque oiseau frileux blotti dans son refuge,
la nuit pareille à un coeur ivre d'amour..."
"Celui qui sur le tard revêtit la tunique des mystiques
et chantait sans relâche des chants éternels,
il n'était amoureux que de sa propre vie
sans le savoir. Sous l'habit d'Afsâneh,
il se trompait lui-même.
Quelque esprit subtil rira de ce que j'affirme ;
m'objectant : "Au-delà ce ce monde, il en existe un autre !"
L'homme créé d'une vile argile
est captif d'amours mystérieuses,
tout le charme de la vie est là."
Nîma Youchîdj, Afsâneh, trad. Roger Lesot. Mélanges Massé, Téhéran 1963.
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