Vodka Lemon
Vodka Lemon est un charmant film étonnamment post-soviétique. je dis étonnamment parce que Hiner Saleem est un Kurde méridional, mais peut-être qu'à force de tourner en Arménie il finit par devenir un cinéaste du cru. Car loin de l'exubérance sentimentale d'un Bahman Ghobadi, Hiner Saleem travaille, lui, tout en sobriété, et de façon extrêmement plus risquée dans l'intrigue de Vodka Lemon, au sens où ses personnages sont d'un abord moins évidemment sympathique et tire-larmes que les beaux enfants tristes des Tortues volent aussi. Les héros de ce film sont en effet deux veufs d'âge respectable, qui en allant périodiquement se recueillir sur la tombe de leurs conjoints , s'éprennent l'un de l'autre. Cette idylle aux cheveux blancs n'a cependant rien de ridicule, car elle ne nous assène pas la guimauve de messages optimistes du genre "l'amour est beau à tout âge" ou "la vie continue malgré tout et l'espoir revient". Non, la délicate progression des sentiments est peinte avec une grande subtilité, un refus d'en faire trop. Au fond le dégel de la solitude et du deuil nous est surtout montré à travers le dégel de l'hiver, comme un amour perce-neige qui pointe timidement sous des mètres de neige. Car l'hiver est omniprésent dans ce film tourné par grand froid, au point que tout presque toutes les scènes sont filmées dans la neige, que les personnages marchent dans la neige, sortent les chaises pour converser dehors dans la neige, s'entretuent dans la neige, s'épousent dans la neige, se pardonnent dans la neige. Vodka Lemon pourrait aussi s'intituler Le Grand Hiver, comme le roman d'Ismaïl Kadaré.
Comme le film géorgien Depuis qu'Otar est parti, Hiner Saleem montre aussi combien l'effondrement soviétique a laissé pour compte tout un pan désemparé de la société. Le vieil Hamo vivote avec dix dollars de retraite, de même sa dulcinée qui doit cinq dollars au chauffeur de bus (à noter que la monnaie de référence là bas semble être le dollar). Les quadragénaires se débattent au pays dans des combines hasardeuses et plus ou moins régulières d'affaires en Asie centrale, les jeunes sont encore plus déboussolés, entre les désillusions de l'émigration et la prostitution occasionnelle quand la musique ne paie plus. Résultat : le fils qui vit en France et dont on espère de l'argent se révèle aussi aux abois que son père, la jeune pianiste voit le moment où son instrument lui est arraché pour le vendre. De façon général, tout est rythmé, au fur et à mesure que l'hiver avance, dans le dépouillement : télévision, armoire, costume, tout disparaît peu à peu, changé en dollars qui se changent non en fumée mais en fleurs ou en billet de car pour poursuivre le dialogue avec les morts, ces morts que l'on tente de prévenir de l'ensevelissement sous la neige.
En même temps, ce film si dépouillé a des scènes de poésie surréaliste qui refusent de laisser écraser l'humain sous la difficulté de vivre. Ainsi le dernier objet à être vendu et qui ne sera pas vendu est a priori le plus inutile, en tous cas plus inutile qu'une armoire, mais c'est celui qui va porter Hamo et sa nouvelle femme sur la route du bonheur, l'idylle du vieil homme contraste ainsi de façon saisissante avec l'amertume du mariage plus ou moins arrangé de sa petite-fille.
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