Une Expérience sociologique : juifs kurdes en Israël
« UNE EXPÉRIENCE SOCIOLOGIQUE »,
Saul Adler, paru dans Sion, n°3, avril 1950, pp. 19-20.
Comparons cet état de choses (...) à la situation à Jérusalem avant la Deuxième Guerre mondiale. Prenons un exemple extrême. Deux hommes, dont l’un est juif kurde et l’autre juif aschkenazi, c’est-à-dire de l’Europe centrale, travaillent sur un même chantier. Tous deux sont membres de la Histadruth et reçoivent le même salaire. Ils ont dans la vie le même but : vivre en Israël, fonder une famille, participer à l’édification du pays ; ils parlent la même langue, l’hébreu, bien qu’avec des inflexions différentes. A part ces points communs, ils sont entièrement différents du point de vue social. Considérons, par exemple, leur attitude envers les femmes de leur famille, qui est, à mon avis, le plus utile des critères en matière de classification sociologique en Moyen-Orient. Pour le juif aschkenazi l’idée que sa femme est son égale est indiscutable ; pour le juif kurde cette idée est non seulement révolutionnaire mais révoltante, et l’actuelle génération des Juifs kurdes à Jérusalem ne l’admet pas. Le juif aschkenazi se réjouit de la naissance d’une fille, le Kurde exprime ouvertement sa déception et fait des reproches à sa femme de n’avoir pas réussi à mettre au monde un fils. L’ouvrier aschkenazi envoie sa fille à l’école primaire et même au lycée ; le Kurde n’autorise jamais sa fille à recevoir l’instruction secondaire, et souvent l’empêche de faire ses études élémentaires. Je connais personne- lement des cas de pères de famille kurdes qui ont interdit à leurs filles d’apprendre à lire et à écrire. (Il sera intéressant de voir comment la communauté kurde accueillera la nouvelle loi qui rend l’instruction obligatoi- re pour les deux sexes). A la différence de son camarade kurde, le juif aschkenazi lit un journal quotidien, achète des livres, assiste à des conférences, et de façon générale s’adonne à quelque activité dite tarbut (culturelle). De souligner ces différences n’implique nul jugement moral, car notre aschkenazi et notre kurde peuvent tous deux être des hommes fort estimables. Il s’agit simplement de faire ressortir que des groupes dont les usages et les conceptions sociales diffèrent profondément, vivent et travaillent ensemble.
L’arrivée dans le nouvel Etat d’Israël d’immigrants juifs, venus de tous horizons culturels et de toutes classes sociales, fut une des particularités et un des défis de la société israélienne naissante. Cet article brosse ainsi un portrait savoureux de deux « types de juifs » radicalement différents, le juif ashkenaze et un de ces juifs d’Orient, sociologiquement et culturellement très proches de leurs anciens com- patriotes musulmans. Pour Saul Adler, le statut de la femme à l’intérieur d’un groupe est le plus révélateur. Mais cette fois-ci, alors qu’il est assez commun d’opposer le juif « arabe » à l’émigrant de culture occidentale, c’est le juif kurde que le rédacteur prend en exemple, en opposant de façon amusante son mode de vie et de pensée traditionnel et même conservateur, à l’ashkenaze, forcément intellectuel, libéral et féministe.
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