mercredi, octobre 09, 2013

Un été de violences au Kurdistan de Syrie : 60 000 civils affluent au Kurdistan d'Irak

Carte des afflux de réfugiés et de leur installations entre le 26 août et le 24 septembre 2013
Haut Commissariat aux Réfugiés
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Sur le terrain du Kurdistan syrien, la confusion des alliances et la désunion politique ne semblent pas s'améliorer au fur et à mesure que le front des combats se rapproche. Ainsi, une source anonyme, reprise dans Rudaw, affirmait que Bashar Al Assad avait envoyé une délégation auprès de partis kurdes à Qamishlo, affirmation démentie aussitôt par Abdulsalam Ahmad, co-président du Conseil national kurde, qui a nié que toute rencontre avec le régime avait eu lieu et que même le PYD, la branche syrienne du PKK, dont les relations avec le CNK sont houleuses, avait refusé les négocations proposées par le régime du Baath. Abdulbasit Ahmad a cependant ajouté qu’ils n’auraient « aucun problème à tenir des pourparlers avec le gouvernement syrien si cela était dans « l’intérêt des Kurdes ».
« Il n’y a aucune différence pour les Kurdes à négocier avec l’opposition ou avec le régime. Ce régime n’a pas encore perdu sa légitimité dans la communauté internationale et il contrôle encore l’essentiel de la Syrie. Il a des ambassades dans quelques dizaines de pays et est toujours membre de l’ONU. »
Affirmation quelque contredite ou nuancée par Faysal Yousif, lui aussi membre du CNK, qui nie lui aussi l’existence ou la tentative de négociations avec Bashar Al Assad, et rejette même l’idée de pourparlers avec le régime : 
« Selon le protocole du CNK, nous faisons partie de la révolution. Nous soutenons une solution pacifique à la crise actuelle mais le problème kurde ne peut être résolu uniquement avec ce régime. »
En parallèle, les relations complexes, empreintes de méfiance, entre le Conseil national kurde et l’opposition syrienne, sont au point mort, les deux parties ne faisant que répéter, depuis plus d’un an, les mêmes arguments : les Kurdes veulent obtenir des garanties politiques et culturelles, voire d’autonomie administrative dans leurs régions, les partis syriens exigent d’abord, sur le terrain, un choix plus net des Kurdes entre l’Armée de libération syrienne et le Baath.
Tous les Kurdes ne sont pas unanimes dans cette ligne de la « neutralité », puisque certains partis, au sein du CNK, sont plus proches du Conseil national syrien, et souhaitent avant tout la chute du Baath, mais le poids grandissant des djihadistes sur le terrain engendre un raidissement des Kurdes contre la menace islamiste. De son côté, le PYD se pose en champion de la défense armée contre Jabhat al Nusra et l’État islamique en Irak et en Syrie (ISIS), alors que les partis kurdes en mauvais terme avec le PYD l’accusent de collaboration avec les milices d’Al Assad et se disent pris au piège entre l‘armée syrienne, les djihadistes et les YPG (la force armée du PYD).
Les combats entre les islamistes et les YPG se sont durcis cet été, notamment dans les zones de peuplement mixte, comme Serê Kaniyê, où Jabhat al Nusra a investi les quartiers arabes, les quartiers kurdes étant tenus et défendus par le PYD. Les nouvelles de guerre émanant souvent soit de l’ASL ou des islamistes, soit de communiqués du PYD, il est difficile d’avoir des renseignements neutres et fiables sur les pertes de part et d’autres ou sur l’identité des groupes que combattent les YPG, parfois désignés comme Jabhat Al Nusra ou ISIS, parfois simplement comme bataillons de l’ASL, sans que l’on puisse savoir réellement leur affilitaiton à cette nébuleuse armée, de plus en plus éclatée sur le terrain.
Le 17 juillet, les Kurdes annonçaient avoir chassé les islamistes de Serê Kaniyê, repoussés le long de la frontière turque. L’Observatoire syrien des droits de l’homme estimait que les combats pouvaient avoir fait au moins 29 victimes, 19 morts pour Jabhat al Nusra, 10 morts parmi les YPG. Mais l’expulsion des djihadistes de Serê Kaniyê n’a pas mis fin au combat, des représailles de la part des islamistes affectant les environs de la ville, que ce soit dans des villages kurdes ou des check-points. Les combats se sont même intensifiés et la capture d’un chef de guerre d’ISIS a amené un « échange » de prisonniers entre cet « Abu Musab » (de nationalité inconnue) et trois cents civils kurdes de la ville de Tell Abyad, retenus en otage par ISIS qui les aurait menacés d’exécution si leur chef n’était pas libéré.
Le 23 juillet, l’OSDH a estimé le nombre des victimes djihadistes à environ 70 et a tiré la sonnette d’alarme sur le caractère de conflit «ethnique» kurdo-arabe que commençait à prendre la rivalité militaire entre milices islamites et YPG.
Alors que les combats faisaient rage, Salih Muslim, le leader du PYD, a annoncé publiquement l’intention de son parti de créer un « gouvernement autonome provisoire » pour les régions kurdes, à l’instar de la zone autonome fondée au Kurdistan d’Irak après 1991, jusqu’à la chute de Saddam Hussein en 2003. Salih Muslim a insisté sur le caractère « intérimaire » de cette disposition, niant avoir un plan secret pour une future déclaration d’indépendance. Il a également affirmé avoir discuté de ce gouvernement avec l’UPK et le PDK, les deux partis qui dirigent le Kurdistan d’Irak, ainsi qu’avec le PKK, lui-même engagé dans des négociations avec la Turquie. Selon Salih Muslim, ses interlocuteurs soutiennent ce projet, même s’ils n’ont fait aucune déclaration formelle.
Il était en tout cas prévisible que la Turquie, elle, réagisse, et le 27 juillet, le Premier Ministre Recept Tayyip Erdogan a lancé un avertissement contre les « actions dangereuses » du PYD, à l’issue d’une rencontre à Istanbul entre Salih Muslim et les services secrets turcs (MIT).
Dans un entretien avec le journal Radikal, le ministre des Affaires étrangères turc, Ahmet Davatoglu, a résumé en trois points la position de la Turquie :
« Nous attendons principalement trois choses des Kurdes de Syrie : d’abord qu’ils ne coopèrent pas avec le régime [du Baath]. Quand cela arrive, les tensions montent entre Kurdes et Arabes. Deuxièmement, ne pas établir une entité de facto basée sur une ligne sectaire et ethnique sans consulter les autres groupes. Si une telle entité est établie, alors tous les groupes voudront faire de même et une guerre sera inévitable. »
La troisième « attente » de la Turquie est que les Kurdes ne soient pas impliqués dans des activités « mettant en danger la sécurité frontalière de la Turquie ».
Au sujet des groupes islamistes, et notamment Jabhat al Nusra, Ahmet Davatoglu parle de « trahison de la révolution syrienne », peut-être parce que la Turquie a décidé de prendre ses distances avec les éléments les les moins populaires et les plus contestés de la révolution syrienne, alors que le PYD l’accuse depuis longtemps de soutenir ces bataillons contre les combattants kurdes.
« Je pense que leur comportement est une trahison de la révolution syrienne, mais nous avons toujours soutenu l’opposition syrienne légitime et nous continuerons. »
Le compte-rendu fait par Salih Muslim de sa rencontre, qu’il juge « positive » avec les services turcs, dans le journal Milliyet, contraste, par son optimisme, avec l’avertissement de Recep Tayyip Erdogan. Non seulement la Turquie lui aurait promis une aide humanitaire dans les régions kurdes, mais il affirme que ce pays aurait « changé d’attitude » à l’égard du PYD, en avançant pour preuve sa présence même à Istanbul.
Les combats ont en tout cas continué, que ce soit autour d’Alep, où l’OSDH indiquait que 200 villageois de Tell Aren et Tell Hassel étaient pris en otages par Jabhat Al Nusra et ISIS, tandis que des affrontements armés éclataient dans la région de Hassaké, toujours autour de Serê Kaniyê, qui subissait les bombardements djihadistes. Aux premier jours d’août, 12 morts djihadistes et 22 morts des YPG étaient recensés par l’OSDH, 31 civils par des bombardements.
Les agences d‘informations proches du PYD ou du PKK ont même fait état de massacres de masse, allant jusqu’à parler de 200 à 450 civils massacrés par les djihadistes, dans la première semaine d’août, ce qui a amené Massoud Barzani à avertir que les Kurdes d’Irak étaient prêts à porter secours à leurs frères syriens s’il apparaissait que « des citoyens kurdes innocents, des femmes et des enfants étaient menacés de mort et de terrorisme ».
Le 14 août, une délégation de députés du Parlement du Kurdistan d’Irak passait la frontière et venait s’assurer, au Kurdistan syrien, de l’existence de ces massacres contre des civils kurdes, avancés par le PYD. Le Comité chargé de la préparation de la Conférence nationale kurde a aussi envoyé une délégation d’inspection.
Deux semaines plus tard, aux premiers jours de septembre, les neuf membres de cette mission d’observation rendaient leur rapport, qui établissait qu’aucune preuve n’avait été trouvée au sujet de ces massacres, et qu’ils n’avaient vu que 17 à 25 corps, suite aux affrontements armés. Une copie de ce rapport a été envoyé au journal Rudaw qui en a publié les conclusions. Les personnes (une cinquantaine) ayant été interrogées par le comité, au cours d’un déplacement de 5 jours dans plusieurs localités kurdes qui avaient été mentionnées comme lieux de massacre, n’ont pas fait mention de 450 victimes, comme cela était relaté dans les media du PYD et un très petit nombre de personnes allait jusqu’à un chiffre de 80 morts.
Mais les régions kurdes syriennes sont décrites comme « dangereuses », souffrant d’« instabilité et d’une pénurie de forces de sécurité » qui obligent chaque jour des habitants à abandonner leur foyer et leur travail.
« La situation est particulièrement dangereuse pour les chrétiens, dont des dizaines ont été kidnappées, 48 à Hassaké et 15 à Qamishlo dans les deux derniers mois. »
Les noms des groupes armés ayant attaqué les régions kurdes sont Jabhat al Nusra, État islamique en Irak (ISIS), les Combattants de la liberté pour la Syrie (Shams) et les Brigades de Salahaddin Ayyubi (des djihadistes kurdes).
Mais si les massacres de masse ne semblent avoir été qu’une exagération ou un fait de propagande de la part du PYD (qui a tout intérêt à noircir le terrain pour justifier son verrouillage  des régions kurdes, ce qui est sûr, par contre, est l’afflux énorme des réfugiés kurdes dans la Région du Kurdistan d’Irak, comme conséquences des affrontements. 
Le 15 août, le Haut Commissariataux Réfugiés des Nations-Unies faisait état de 750 personnes franchissant le Tigre par le poste-frontière de Pêsh-Khabour, et le 16 août, c’était « entre 5000 et 7000 personnes » qui se ruaient à la frontière. La grande majorité était des femmes, des enfants et des vieillards, qui venaient des environs d’Alep ou de Hassaké. Claire Bourgeois, représentante en Irak du HCR parle de « fleuve humain ».
Adrian Edwards, le porte-parole du Haut Commissariat, déclarait aux agences de presse que des équipes humanitaires, de l’ONU ou bien locales, avaient dû arriver en urgence, avec de l’eau et de la nourriture et que les raisons de ce soudain afflux n’étaient pas encore très claires.
Des camps de réfugiés ont dû être bâtis en toute hâte dans la province d’Erbil pour accueillir au final 15 000 réfugiés (venant s’ajouter aux 155 000 déjà sur place, surtout à Duhok). Quelques milliers ont été installés dans le camp inachevé de Kawargusk (Erbil) qui manque encore des infrastructures de base, d’autres à Suylaymanieh.
Peu à peu interrogés par les reporters et les ONG, les réfugiés font état de pénurie alimentaire, d’eau et d’électricité, de cherté des prix et de chômage, toutes les régions étant peu à peu paralysées économiquement, en plus des combats entre l’armée syrienne et l’ASL (les deux bords se livrant par ailleurs au pillage), ou bien de l’ASL et des YPG. Les nouvelles du gazage d’un quartier entier de Damas ont pu aussi déclencher une réaction d’affolement. 
Le 19 août soit 5 jours après le premier afflux, 30 000 Syriens, Kurdes pour la majorité étaient passés dans le territoire du GRK, certains venant d’assez loin, de Damas ou d’Alep.
Devant l’arrivée en masse de ces réfugiés, les Kurdes d’Irak ont alors tenté, tout en accueillant les gens sur place, d’endiguer le flot, Massoud Barzani appelant les Kurdes de Syrie, de façon assez irréaliste, à rester sur place « pour défendre leur territoire ».
« Vous savez tous que depuis le début de la révolution syrienne, des dizaines de milliers de nos frères du Kurdistan occidental sont venus dans notre région, et nous les avons hébergés dans des camps de réfugiés. Cependant, et c’est regrettable, la communauté internationale n’a offert aucune aide à ces réfugiés. Récemment, un grand nombre de réfugiés a afflué encore dans notre région, et je voudrais présenter mes remerciements et mes félicitaitons au Gouvernement régional du Kurdistan pour l’aide qu’il leur a offerte en leur fournissant transports et hébergement temporaire.  

Mais ayant dit cela, le problème reste très sensible, parce que nous ne voulons pas que le Kurdistan occidental se vide de ses habitants kurdes, et notre peuple là-bas doit rester et défendre son pays et obtenir ses droits légitimes. »
En attendant, un quota de 3000 personnes par jour a été imposé, le 20 août, au poste-frontière de Pêsh Khabour, quoique des observateurs sur place ont estimé que 5000 personnes étaient passés en une journée et le 23 août, Adrian Edwards (HCR) haussait le nombre des arrivants à 40 000 depuis la mi-août et le 27 août, ils pouvaient être 50 000. Les réfugiés présentaient tous le même état d’épuisement et de déshydratation, sous une température de 45ºc.
Deux mois plus tard, le total des réfugiés nouveaux venus s’élève à 63 000. Les difficultés de ravitaillement, l’extrême dénument de certaines familles, parfois sans vêtements de rechange, ayant tout laissé derrière elles dans leur départ soudain, leur fait craindre la venue de l’hiver, qui peut être beaucoup plus rude au Kurdistan d’Irak que dans les régions syriennes, et surtout les pluies et la boue vont transformer les camps en gigantesque pataugis.
D’autres réfugiés sont venus occuper des maisons abandonnées d’Erbil (succédant ainsi aux anciens réfugiés dont les villages étaient détruits par Saddam). Mais se loger en dehors des camps ne leur donne pas accès aux distributions de nourriture et les fait dépendre de la charité du voisinage. Le développement économique d’Erbil et le besoin de main d’œuvre fait cependant que les hommes valides peuvent trouver à s’employer.
Il n’est pas enfin pas mauvais de rappeler, quelques jours après la tragédie de Lampedusa, que le Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak a accueilli depuis 2003 plus de 100 000 chrétiens irakiens, auxquels sont donc venus s’ajouter environ 220 000 réfugiés kurdes syriens, pour un territoire à peu près grand comme la Suisse, une population d’un peu plus de 5 millions d’habitants et dans un pays qui, il y a à peine plus de 20 ans, était complètement détruit par Saddam Hussein, avec l’assentiment, l’assistance ou la tolérance de toutes les puissances mondiales. Par comparaison, il n’y effectivement a pas de quoi être fier de l’Union européenne et de ses États « envahis ».

1 commentaire:

  1. Anonyme5:16 PM

    Le PYD n'a pas sorti le chiffre de 450 morts, c'est l'aljazeera russe RT ( russia today) qui a donné cette information reprise par tout le monde. Le PYD a dit qu'il y avait une volonté de vider ces villes de sa population kurde. Le seul chiffre donné par le PYD était d'environ 70 tués. Les deux villes en questions n'étant plus aux mains des kurdes et se situant à proximité d'Alep, la délégation ne pouvait bien évidement ne pas se rendre sur les lieux. Ils n'ont juste pas pu vérifier l'information. Après Barzani a interprété la chose et son média soit disant " serbixwa" rudaw TV s'est réjoui. Vous imaginez le PKK dire après l'attaque d'Hewler " Je propose d'envoyer une délégation vérifier si il y a bien eu des morts".

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