Le parlement du Kurdistan après les élections de septembre 2013

En jaune, le PDK, en bleu, Gorran, en vert, l'UPK,
en marron Yekgirtu, en orange, Komal,
en gris les autres petits partis,
les R sont les sièges réservés aux minorités nationales,
source wikicommons.




Début août, la Haute Commission électorale indépendante irakienne avait approuvé la procédure des futures élections parlementaires dans la Région du Kurdistan d’Irak, fixées au 21 septembre, même si elle avait initialement souhaité leur report au 21 novembre, en même temps que les élections des conseils provinciaux.

La campagne électorale a donc commencé à la fin du mois d’août, sur un ton et un rythme plus modéré et moins passionné qu’en 2009, quand la percée du tout nouveau parti d’opposition Gorran avait changé la donne du bipartisme habituel. Aujourd’hui que ce troisième larron est bien installé dans le paysage politique du Gouvernement régional, la question était surtout de savoir, comme aux précédentes élections, si cette fois-là, le mouvement de Nawshirwan Mustafa allait pouvoir battre sur son terrain de Suleïmanieh l’Union patriotique du Kurdistan (UPK). Seuls quelques tirs ont éclaté, début septembre, dans différents quartiers de Suleïmanieh, lors d’échaufourées opposant supporters de Gorran et de l’UPK, mais sans suites conséquentes, et ne faisant que 9 blessés, dont 5 policiers, intervenus sur place.

Au contraire des élections précédentes, l’UPK avait choisi de ne pas faire liste commune avec le Parti démocratique du Kurdistan, tout en réaffirmant sa volonté de perpétuer son alliance politique avec le parti de Massoud Barzani et de faire donc essentiellement campagne contre son rival Gorran. Mais l’UPK partait avec le handicap majeur d’être toujours officiellement présidé par Jalal Talabani, même si son retrait de la vie politique fait que sur le terrain, c’est son politburo qui en assume la direction. Depuis l’accident de santé du président irakien, les rumeurs au sujet sa mort font surface régulièrement, alimentées par son absence de toute apparition publique depuis décembre 2012, rumeurs toujours démenties, que ce soit par l’entourage familial direct de Jalal Talabani ou les autorités du GRK.

Le 25 août, une délégation de 35 universitaires kurdes a tenté de rencontrer Jalal Talabani à l’hôpital de la Charité (Berlin) où il est toujours soigné. Le personnel médical leur a seulement transmis un message du président, leur assurant qu’il les rencontrerait dans « quelques jours », ce qui n’a pas eu de suite pour le moment.

Dans ces conditions, le principal défi qu’avait à relever l’UPK n’était pas de se démarquer du PDK auprès de ses électeurs (l’implantation du PDK et de l’UPK au Kurdistan d’Irak est inamoviblement locale) mais de Gorran, qui a l’avantage, auprès des électeurs de la province de Suleïmanieh, d’être mené par des figures politiques et locales bien connues, des vétérans de l’UPK, anciens compagnons de Talabani et surtout, qui a à sa tête un leader en chair et en os, présent sur le terrain, en la personne de Nawshirwan Mustafa, alors que l’UPK ne pouvait parier que sur la fidélité de son électorat à un nom et un souvenir, plus qu’un véritable chef politique.

Le jour des élections, le 21 septembre, se déroula sans incident majeur, et les bureaux de vote fermèrent à 17 h 00. Très vite, alors que tombaient les premières estimations, il est apparu que Gorran a réussi à supplanter de façon incontestable son rival : Le parti de Massoud Barzani (Parti démocratique du Kurdistan) garde la première place, avec 37.79% des voix, Gorran suivant avec 24.21% et l’Union patriotique du Kurdistan n’en obtient que 17.8%.

Les deux partis islamistes, Yekgirtu et Komal font respectivement 9.49% et 6.01%. Le reste des petits partis ramasse globalement 4.69% des voix.

Si l’on regarde les résultats province par province :

– Erbil plébiscite incontestablement le parti présidentiel avec 48.22%, tandis que Gorran et l’UPK n’obtiennent que 18.4% et 12.89. Les deux partis islamistes sont à peu près à égalité, 6.55% pour Komal et 6.51% pour Yekgirtu, ce qui fait donc un score  de 13.06  % pour les partis religieux, le reste se répartissant entre 7.42%.

– Duhok, sans surprise, vote largement pour le PDK, avec 70.03 % des voix. Yekgirtu, son principal rival dans la province, arrive loin derrière avec 12.77% et Komal ne fait que 1.08% (avec un total de 13.85%, à peu près comme à Erbil, cela relativise la soi-disante « percée islamiste » que l’on annonce au Kurdistan depuis 1992). Pas de percée non plus du PÇKD, la branche politique irakienne du PKK. L’UPK et Gorran, partis très peu implantés au Behdinan, font 5.67% et 2.88%, le reste des partis 7.56%.

– C’est à Suleïmanieh que les choses ont le plus bougé. Gorran remporte 40.8 % des voix, et l’UPK, avec 28.,62% des voix, devient, dans sa ville historique, le premier parti d’opposition, mais loin derrière sa branche dissidente. Le PDK arrive même à y faire 11.03 % (alors qu’un incident entre ses miliciens et un cortège de manifestants fut le point de départ d’une vague de protestations dans la ville, durant tout le printemps 2011). Yekgirtu fait 10.27% et Komal 8.22%, ce qui, au passage, relativise aussi l’image que les gens de Suleïmanieh aiment donner de Duhok, province « traditionnelle et islamiste », car c’est dans leur province que les deux principaux candidats religieux font le plus haut score, avec 18.49%. C’est aussi dans cette province que les petits partis outsiders font un score quasi nul, 0.78%, ce qui laisse entendre que ses électeurs, très motivés pour un changement, se sont concentrés sur un vote « utile ».

Si l’on compare avec les élections parlementaires de 2009, le PDK gagne 8 sièges (38 aujourd’hui, 30 en 2009). Gorran, s’il a fait un score surprise, non seulement ne gagne pas de siège mais en perd un (passant de 24 à 25). Les autres partis qui progressent sont Yekgirtu (+4), Komal (+2), tous les autres partis reculant ou ne gagnant pas plus d’un siège, le grand perdant étant l’UPK qui perd 11 sièges.

Concernant les minorités, qui ont des sièges réservés : les Turkmènes, les Assyriens, Chaldéens et autres araméenophones, ont respectivement 5 sièges, comme en 2009, puisque c'est dans la constitution, et les Arméniens, un député. Précisons au passage que ces minorités au Parlement, à savoir les Turkmènes, les Assyriens Chaldéens Syriaques (qui ne se sont apparemment toujours pas mis d’accord pour se trouver un nom commun), les Arméniens, enfin, sont tous des groupes considérées comme « nationaux . Il n’y a pas de sièges réservés à des représentants religieux, les partis islamistes étant traités de la même façon que tous les partis kurdes et les partis appelés chrétiens par commodité sont  des laïcs. Cela explique donc qu’il n’y a pas de siège réservé aux yézidis, pas plus qu’aux kakay et aux shabaks qui, étant kurdes, ont le choix, soit d’être membres des partis existant, ce qui est le cas, surtout au sein du PDK, soit de fonder leur propre parti, ce qui ne s’est pas encore produit. 

D’un autre côté, même si les Assyro-Chaldéens, Turkmènes, etc., ont quelques sièges réservés comme minorités nationales, rien ne les empêche de figurer, (ce dont ils ne se privent pas et parfois à de hauts postes), dans les rangs des partis kurdes dominants, comme candidats ordinaires. Les minorités religieuses sont reconnues dans la constitution et bénéficient de la liberté de culte, mais non de droits politiques spécifiques.

Ainsi les Roms, nouveaux venus au Kurdistan pourraient et souhaitaient même réclamer un siège à l'assemblée, puisque c’est une minorité nationale, mais ce n’est pas encore le cas car ils ne figurent pas non plus comme peuple du Kurdistan dans la constitution de 2009 (les Arabes non plus, au passage).

Par contre, le parlement 2013 doit être composé de 34% de députés féminins, un quota de 30% minimum étant imposé en faveur des femmes, toujours selon la constitution.

Deux questions se sont tout de suite posées au vu des résultats : l’UPK allait-il accepter une si cuisante défaite sur le terrain, ou bien la contester comme il l'avait fait en 1992 ? Mais ce scénario était plus une histoire d'alimenter les colonnes des media, car étant donné la fonte comme neige au soleil de ses supporters, il n’a plus guère les moyens de la rébellion et puis surtout, entre 1992 et 2013, la situation au Kurdistan n’est plus la même.

Dès l’annonce officielle des résultats par la Haute-Commission électorale, les dirigerants de l’UPK ont ainsi assumé démocratiquement leur débâcle  en s'en tenant pour « entièrement responsables », comme l’a publiquement déclaré Kosrat Rassoul, le vice-président du GRK et nº 2 du parti, ainsi que Barham Salih, ancien Premier Ministre du GRK. Hero Talabani, l’épouse de Talabani, toute puissante au sein de l’UPK, annonçait le 30 septembre sa démission, en déclarant que l’UPK avait besoin de se renouveler en son sein et qu’elle souhaitait en être le premier exemple.

L'autre question est de savoir si le nouveau gouvernement de coalition qui doit se former le mois prochain comportera le PDK + l’UPK ou bien formera un trio avec Gorran ? 

Ce qui est déjà acquis, c’est la traditionnelle participation des minorités nationales (Assyro-Chaldéens etc. et Turkmènes) au gouvernement, le PDK ayant toujours appliqué la politique du parrainage des petites nations, ce qui lui permet de gagner des voix lors des votes parlementaires.

Amener Gorran à pariticiper au gouvernement permettrait au PDK comme à l’UPK de le neutraliser comme source de contestation et puissant opposant. Car  une fois au gouvernement et aux rênes du pouvoir, le parti du Changement se retrouverait dans la classique position, toujours difficile, du critique qui était « contre » et qui doit à son tour encourir la part de mécontentement et de désappointement éventuels de ses électeurs. 

D’un autre côté, refuser de participer au futur gouvernement pourrait tout autant décevoir les 446.095 citoyens qui ont voté pour lui, une posture de refus pouvant être perçue comme une dérobade devant toute responsabilité politique.

Un inconvénient possible pour le PDK serait une « réconciliation » de l’UPK et de Gorran, car le parti présidentiel avait, ces dernières années, beaucoup dominé les cabinets gouvernementaux, en raison de l’affaiblissement progressif de son alter-ego/rival, miné autant par les désaccords internes que par l’érosion de son électorat. L’UPK peut donc s’assurer une certain influence au sein du GRK en marchandant son appui à l'un ou l’autre des deux partis en tête.

Enfin, une autre grande bataille électorale se prépare avec les prochaines présidentielles car si l'on ajoute les voix de Gorran à celles de l'UPK face au PDK, nul doute que les candidats à la présidence arriveront au coude à coude, tout comme en 1992, et qu'il s'agira là encore d'un Kurdistan coupé en deux entre région pro-Barzani et anciennement pro-Talabani. La mise à l'épreuve de la démocratie au Kurdistan n'est donc pas tant celle qu'il vient incontestablement de remporter que le « combat des chefs » à venir.

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