Les Kurdes d'Iran ont peu à attendre de la nouvelle présidence






Cinq jeunes activistes kurdes ont été exécutés le 3 juillet, dans une prison d’Urmiah et leurs corps ont été remis à leur famille. Les condamnations à mort sont monnaie courante parmi les Kurdes d'Iran mais il s'agissait, cette fois, de villageois,  non pas condamnés pour crimes politiques, mais pour activités liés à la contrebande. 

Le même jour, deux autres villageois kurdes étaient tués et deux autres blessés par des Gardiens de la Révolution, qui ont ouvert le feu sur les habitants d’un village frontalier de la province de Kermanshah, accourus sur la scène de ce qui semble une exécution extra-judiciaire. Les semaines précédentes, sept personnes avaient été tuées de la même façon et d’après l’association kurde des droits de l’homme, 37 personnes ont été exécutées en 2012. 

Depuis quelques temps, en effet, l’Iran a accentué sa politique de répression contre la contrebande au Kurdistan d’Iran, qui est souvent le seul moyen de survie, pour des familles démunies, alors que la crise économique sévit dans tout le pays, (40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage est de plus de 20%) et principalement dans des régions délaissées par le pouvoir central, comme les régions kurdes. Le Kurdistan d’Iran souffre d’un sous-développement économique, dû aussi à une politique de répression et de dépeuplement des frontières, ainsi quand des forêts ont été délibérément incendiées par l’armée pour déplacer de force des paysans. 

Si le gouvernement iranien investit peu dans l’économie des provinces kurdes, il ne lésine pas sur sa militarisation et une nouvelle force de sécurité va être mise en place dans ces régions, les forces « Razim », et ce avec l’aval et le soutien du Guide suprême Ali Khamenei. Sa mission sera d’assurer «l a sécurité et la stabilité » du Kurdistan d’Iran, ce que les Kurdes comprennent comme une pression renforcée contre leurs libertés et leurs droits fondamentaux.

Brayim Zewayee, un des cadres chargés des relations publiques pour le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, rappelle que les militants kurdes, tous partis confondus, mènent des actions civiles et politiques, sans recours aux armes (hormis le PJAK), ce qui ne nécessite pas une riposte armée de la part du gouvernement central : « Au lieu de s’attaquer aux problèmes économiques et politiques, le gouvernement utilise l’armée pour s’imposer. » (source Rudaw).
De fait, des troupes iraniennes et des tanks ont été déployés cet été le long de la frontière avec le Kurdistan d’Irak ce qui rappelle les précédentes incursions armées dans le Gouvernement régional du Kurdistan contre les bases du PJAK, la branche iranienne du PKK, bien qu’un cessez-le-feu ait été conclu en 2012.
La situation en Syrie dont les répercussions politiques se font sentir dans tout le Moyen Orient pourrait peut-être amener l’Iran à reconsidérer une trêve dont la viabilité ne tient peut-être qu’à une possible « réconciliation » du PKK et de l’Iran, réconciliation qui est devenue plus difficilement envisageable depuis l’annonce du plan de paix d’Öcalan (même si le PKK l’a récemment annoncé comme enterré ou sur le point de l’être).
L’Iran, en effet, est engagé aux côtés de Bashar Al Assad tandis que la Turquie soutient l’Armée syrienne de libération. Entre, les Kurdes de Syrie se répartissent entre pro Conseil national kurde (plutôt disposés, même si méfiants, à chercher un terrain d’entente avec le Conseil national syrien) et le PYD, la branche syrienne du PKK, dont les rapports avec le gouvernement syrien se fonde largement sur une non-agression, voire collaboration comme l'en accusent les autres partis kurdes en Syrie, et qui, ces derniers mois, a violemment combattu les attaques de milices jihadistes plus ou moins affiliées à l’ASL.
Le PJAK a déclaré, en août dernier, être prêt à envoyer des troupes combattre le groupe jihadiste sunnite État islamique en Irak et Syrie (ISIS), qui s’oppose tout aussi violemment à Nouri Maliki en Irak. Dans ce cas, il serait logique que sur le terrain syrien, l’Iran et le PKK-PYD-PJAK poursuive le même but : assurer le maintien de Bashar Al Assad au pouvoir. Mais la contre-partie d'une gestion autonome des régions kurdes (sous contrôle ferme du PYD et de ses Asayish), sans doute réclamée par le PYD-PKK (et promise en sous-main par le Baath ?) ne peut guère complaire à Téhéran, pas plus qu’à la Turquie, tout simplement par crainte que ces volontés d’autonomie ne gagnent les provinces kurdes iraniennes.
Bien que son calendrier soit constamment reporté depuis plusieurs mois, la Conférence nationale kurde qui doit se tenir à Erbil, avec tous les partis kurdes de toutes les régions du Kurdistan, inquiète aussi bien la Turquie que l’Iran, et peut-être plus encore ce dernier, comme l’a déclaré Jaffar Ibrahim Eminki, le porte-parole du Parti démocratique du Kurdistan d’Irak, interviewé par le journal arabe Niqash qui l’interrogeait sur la visite en Iran du Premier ministre du GRK, Nêçirvan Barzanî : « Tout comme la Turquie, l’Iran garde un œil sur la conférence et il ne veut certainement pas que cette conférence interfère avec ses propres affaires internes ». 
Alors que la conférence était reportée une fois de plus (cette fois-ci pour cause d’élections), un membre du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, Muhammad Nazifi Kadri, confiait au journal Basnews, début septembre, que l’Iran ne souhaitait pas la tenue de cette conférence, même s’il allait de la responsabilité de tous les partis kurdes d’en assurer le succès.
Que la Turquie s’en inquiète un peu moins tient peut-être à ce que, détenant le chef du PKK (Abdullah Öcalan ne semblant plus guère soutenir son propre plan d’autonomie), elle pense avoir plus de contrôle sur les résolutions politiques éventuelles qui pourraient être adoptées à l’issue d’une telle conférence. Ses relations avec le Kurdistan d’Irak lui assure aussi un autre poids dans la garantie d’une « stabilité des frontières » (surtout en Syrie).

Cependant une union des forces kurdes semble extrêment improbable, même ne s’agissant que des partis kurdes d’Iran. Le Parti démocratique du Kurdistan est en effet scindé en deux factions rivales, depuis quelques années, et le PJAK a des relations soit distantes soit franchement hostiles avec les autres partis. Ainsi sur la chaîne Newroz TV, son leader, Haji Ahmadi, a publiquement qualifié les partis kurdes iraniens de se prélasser paresseusement dans leur asile au Kurdistan d'Irak alors que le PJAK continuait de combattre armes à la main, en tournant en dérision le terme kurde de « rasan » (authentique) dont ils se qualifient, affirmant qu’il s’agissait là d’un terme bon pour « les chevaux et les juments ».

Appréciant peu de se voir traiter aussi gracieusement d’animal, le PDKI a accusé le PJAK de mener une guerre par procuration pour les les intérêts du PKK, toujours tenté de s’allier avec l’Iran et donc, de combattre les autres Kurdes. Plus sobrement, Raza Kaabi, responsable du Komala, un autre parti kurde, s‘est contenté de rappeler que ce genre d’attaque du PKK-PJAK n’avait rien de nouveau. « Ils l'ont déjà fait dans le passé. Cette façon de parler fait partie de leur culture » a-t-il ironisé, en qualifiant le PJAK de « pantin du PKK» . 
Le 26 août, en tout cas, le cessez-le-feu entre le  PJAK et l’armée iranienne semblait quelque peu rompu puisque le PJAK annonçait avoir tué sept soldats iraniens sur la frontière avec le Kurdistan d’Irak et avoir lui-même perdu deux combattants. Selon le PJAK l’attaque aurait été initié par l’armée iranienne. Mais le PDKI affirme, de son côté, qu’il ne s’agissait que d’un règlement de comptes entre des trafiquants de drogue appartenant à des bandes rivales. 
Il est probable qu'aucune conférence pan-kurde ne réussisse à concilier les mouvements kurdes iraniens, et les Kurdes d’Iran semblent reproduire le même schéma qui s’est instauré en Syrie : plusieurs partis,  divisés, souvent en raison de schismes, comme pour le PDKI (divisé en 2), le Komala (en 3), ce qui rappelle la tendance amibique des partis kurdes syriens, mais qui tentent cependant, de former, depuis peu, un front plus ou moins uni face à l’Iran et en prévision de la future conférence ; face à eux, le PJAK, qui, comme le PYD syrien, est un satellite du PKK, qui s'appuie sur une force armée dont sont dépourvus les autres : comme le PYD, son discours et son attitude envers les autres partis vont de l'inimitié franche à une trêve temporaire.
Avec l’avènement de Rouhani et la possible reprise d’un dialogue politique entre l’Iran et les USA, la question des minorités sera certainement délaissée par le monde occidental, au grand dam des partis kurdes, comme le craint l’actuel leader du PDKI. Mustafa Hijri. Quant aux relations entre Téhéran et le PJAK elles vont dépendre en partie de l’évolution des relations turco-iraniennes (les deux pays ont connu plusieurs phases de refroidissements-réchauffements), notamment sur le terrain syrien. 

Mais si les partis kurdes syriens du Conseil national kurde bénéficient du parrainage du Gouvernement régional du Kurdistan d'Irak (et donc de la Turquie comme les en accuse le PYD), les autres partis kurdes iraniens sont plus isolés : le GRK ne prendra jamais le risque d'appuyer des mouvements trop vindicatifs contre le grand voisin oriental qui vient juste d'ouvrir un bureau à Sine (Sanandadj) la capitale de la province du Kurdistan d'Iran, afin de faciliter et d'encourager les échanges économiques, politiques et culturels avec le Kurdistan d'Irak. Inauguré par le tout nouveau ministre des Affaires étrangères iraniennes et par le gouverneur de la province, ce bureau peut être le signe d'une double politique : renforcer la présence iranienne dans un Kurdistan d'Irak qui noue des liens de plus en plus étroits avec la Turquie ; permettre à l'Iran d'exporter davantage vers une région qui produit peu par elle-même et se trouve en état de dépendance alimentaire, et, du même coup, alléger le poids du chômage et de la crise économique dont souffrent les Kurdes en Iran, comme ceux de Turquie ont pu investir ou aller travailler dans le GRK. 

Le Kurdistan d'Irak, qui a toujours tenté de garder un équilibre entre les deux voisins (notamment par le biais de ses deux zones politiquement rivales) n'a guère les moyens, si ce n'est l'envie, de barrer la route aux entreprises iraniennes. Dans cette perspective, les Kurdes d'Iran n'ont guère d'espoir de se trouver des appuis politiques.

Commentaires

  1. Anonyme7:03 AM

    Bravo pour cet execellent article qui met à jour les difficultés actuelles que vivent le peuple Kurdes
    Nous faisons ce blog sur l'Iran, où nous parlons souvent des prisonnières et des prisonniers politiques Kurdes Iranien-nes, mais aussi de ces massacres atroces que font les gardes frontières et les "gardiens de la révolution" Iraniens qui s'en prennent systématiquement , aux Kolbers ces petits transporteurs nomades Kurdes qui pour faire vivre leurs familles, en transportant des marchandises sur la zone frontière Iran-Irak-Turquie.

    Notre blog Solidarité Iran Paris

    http://soliranparis.wordpress.com/

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