L'attrait du pétrole kurde et l'ultimatum d'Erbil
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Au début du mois d’août, le Kurdistan d’Irak a accepté de redémarrer ses exportations de pétrole vers Bagdad, gelées depuis avril, dans un geste décrit comme une volonté d’apaisement. D’un autre côté, Total (France) et Gazprom (Russie) ont, à leur tour, bravé les mesures de rétorsion brandies par l’Irak et rejoint les rangs de sociétés américaines comme Exxon et Chevron ayant décidé de traiter directement avec les Kurdes.
À cette annonce, le gouvernement irakien n’a pas varié dans la teneur de ses menaces et menacé Total de sanctions. Abdul-Mahdy al-Ameedi a ainsi déclaré à la presse qu’ils « travaillaient à l’annulation de la participation de Total dans le contrat de Halfaya », qu’elle exploite avec PetroChina et Petronas, depuis 2012, avec une participation de 18.75%. La société française s’est refusé à tout commentaire.
Pour sa part, Gazprom Neft a annoncé, toujours au début d’août, sa participation à deux blocs dans le Kurdistan irakien : 40% pour celui de Garmiyan et 80% pour celui de Shakal. La compagnie russe estime que les ressources de ces deux blocs atteindraient une production d’environ 3,6 de milliards de barils.
Quant à Genel Energy, qui cible principalement le Kurdistan, elle a annoncé le 7 août une augmentation de ses intérêts dans la région, avec un achat de 240 millions de dollars US : ayant passé un accord avec Hawlêr Energy, la compagnie a acquis 21% de participation au bloc Bina Bawi, près de Taq Taq, qui s’ajoutent aux 23% de participation qu’elle détenait déjà.
La reprise des exportations kurdes vers le gouvernement central, est, elle, conditionnée, selon le ministre des Ressources naturelles du Kurdistan, Ashti Hawrami, aux paiements en souffrance que l’Irak doit à la Région du Kurdistan, selon son gouvernement, et que ce geste de «bonne volonté» de la part du GRK ne devait pas excéder la durée d’un mois en cas de refus de paiement.
Ayant peu apprécié l’annonce faite, en juillet dernier, de la construction d’un gazoduc qui permettrait aux Kurdes d’exporter directement leur gaz en Turquie et plus tard, en Europe, le Premier Ministre irakien a, lui, réagi sur un ton qui n’était pas celui de l’apaisement, accusant la Turquie de traiter avec le GRK comme s’il s’agissait d’un État indépendant.
Malgré cela, les exportations kurdes ont bel et bien repris en août et le 13 août, le vice-Premier ministre Hussein Sharistani se plaignait que la quantité livrée s'élève à 116 000 barils par jour, alors que l’accord portait sur un montant de 175 000 barils et que les Kurdes « devaient pomper plus que cette quantité pour compenser la période durant laquelle ils ont cessé les exportations ». Quant aux dettes que Bagdad aurait envers plusieurs sociétés opérant au Kurdistan, à l'origine du gel des exportations, Sharistani a déclaré qu’un audit serait réalisé auprès de des compagnies « que le gouvernement du Kurdistan dit devoir être payées ».
Une des raisons principales évoquées par les investisseurs étrangers qui préfèrent travailler au Kurdistan sont les conditions beaucoup moins avantageuses offertes par Bagdad. Interrogé à ce sujet, Hussein Sharistani a répondu que Badgad pourrait revoir ses contrats : «Nous admettons que les termes des contrats sont durs et pressurent les sociétés. Pour ces raisons, la dernière enchère n’a pas été un succès.»
De fait, en mai dernier, une dizaine de blocs irakiens avaient été mis aux enchères mais seulement quatre contrats avaient été signés. Le vice-Premier Ministre a indiqué qu’ils travaillaient à un « nouveau modèle de contrat », aux conditions plus attractives pour les investisseurs. Selon lui, les contrats irakiens comprennent des prix fixes moins avantageux pour les compagnies étrangères mais qui serait plus profitables à l’économie irakienne, tandis que le Kurdistan donnerait un plus grand nombre d’actions à ces sociétés qui, devenant partenaires dans la production pétrolière auraient ensuite intérêt à faire monter les prix.
Le 20 août, Canada's ShaMaran Petroleum Corp annonçait l’acquisition par Total d’une participation de 20% au bloc de Taza, dans la province de Suleïmanieh. ce qui vient s’ajouter aux 35% des blocs de Harir et Safeen, acquis en juillet et le 21 août, le gouvernement américain est sorti de sa tiède réserve pour rappeler que les sociétés pétrolières « ne doivent pas outrepasser l’autorité du gouvernement central». Concernant nos propres compagnies, nous continuons de leur dire que signer des contrats de forage ou de production en quelque région de l’Irak que ce soit, sans l’accord des autorités fédérales irakiennes les exposent à de possibles risques juridiques » a déclaré à la presse Victoria Nuland, porte-parole du Département d’État. De toute évidence, les compagnies prendront leurs propres décisions dans leurs affaires, mais jusqu’à ce que nous ayons une législation fédérale en Irak régissant ces choses, il y a des risques pour eux. »
Le 28 août, trois jours avant l'ultimatum du 31 déjà avancé par Ashti Hawrami, le Gouvernement régional du Kurdistan a de nouveau menacé de stopper les exportations de brut vers Bagdad si l’Irak ne payait pas ses créanciers kurdes.
Du côté de Bagdad, on répondait que l’Irak avait accepté de payer les producteurs locaux pour un montant total de 560 millions de dollars mais que les responsables attendaient toujours le feu vert.
« Nous avons alloués 650 milliards de dinars irakiens prélevés sur le budget de 2012 pour payer les sociétés, que nous débloquerons quand nous recevrons l’ordre du gouvernement. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas reçu cet ordre » s’est défendu l’adjoint du ministre irakien des Finances, Fadhil Nabi.
Mais le 31 août, le vice-Premier ministre irakien Roj Nouri Sahweis, un Kurde vétéran en politique, annonçait que le Gouvernement régional kurde était prêt à entamer de nouvelles négociations avec Bagdad pour mettre un terme à cette crise.
Se voulant optimiste, Roj Nouri Shaweis a confié à Reuters que les Kurdes pourraient envisager la fin du conflit si le projet de loi sur les hydrocarbures, modifié en 2007 et donnant un partage du pouvoir plus important entre les chiites, les sunnites et les Kurdes, était enfin adopté. Par ailleurs, selon le vice-Premier Ministre, les Kurdes estiment que passer des accords commerciaux avec des sociétés étrangères sans en référer au gouvernement central est un droit que leur donne la constitution irakienne, alors que Bagdad s’appuierait toujours «sur d’anciennes lois pétrolières datant de l’époque de Saddam», dans un État alors extrêmement centralisé.
Finalement, le gouvernement kurde a accepté de reporter son ultimatum au 15 septembre.
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