Du Khorassan à Jérusalem, perpétuation, renouveau et vitalité de la chanson kurde

Tout le long du XXe siècle chanter en kurde signifiait souvent chanter en exil ou au prix de maintes difficultés et tracas ce qui n'a jamais empêché la chanson kurde de garder toute sa vitalité et d'épouser, au travers des thèmes politiques, patriotiques, révolutionnaires, tous les aléas de la vie au Kurdistan en plus des traditionnelles chansons d'amour. Depuis le début des années 2000, tant en raison de l'essor d'Internet, des TV satellites qui favorisent les contacts et les échanges entre les Kurdes de toutes parts, et aussi en raison des possibilités nouvelles de spectacles et de prestations diverses dans la Région du Kurdistan, on assiste à, non pas une résurrection de la chanson kurde, car depuis les grandes voix de Radio Erevan ou Radio Bagdad, elle n'a jamais cessé d'être entendue, mais à un regain de prestige et même d'attraction.

Les trois chanteurs qui vont suivre présentent tous trois une originalité, une origine "transversale" ou décalée par apport aux "Kurdes du Kurdistan" : Yalda Abbasi est une Kurde du Khorassan ; Ilana Eliya, dont nous avons déjà parlé ici, fait partie de ces juifs dont les racines sont au Kurdistan d'Irak et dont le répertoire, la musique et la langue kurdes sont des points essentiels de leur identité en Israël ; Ilham Al-Madfei a des origines kurdes mais se considère plutôt comme irakien et a fait une carrière de chanteur arabe ; il voit cependant la Région du Kurdistan d'Irak comme un lieu de retour à ses racines en même temps qu'un havre où pourrait être préserver la chanson irakienne.






Yalda Abbasi et son groupe Koma Kovat d'abord. Elle est née en 1987, à Machhad, dans cette communauté kurde installée depuis le 17e ou le 18e siècle au Khorassan (Iran oriental), qui compte aujourd'hui près de 2 millions de kurmandjophone. Si le Khorassan connaît un répertoire de chants kurdes traditionnels très riche, Yalda Abbasi, tente de renouveler les épopées anciennes en adaptant le style des bardes kurdes (baxsi) à un genre plus contemporain qui se rapproche des autres groupes kurdes, afin de perpétuer cet héritage auprès des nouvelles générations, malgré les obstacles rencontrés par les Kurdes du Khorassan pour pratiquer leur langue et leur culture (et aussi l'interdiction pour les femmes, en Iran, de se produire sur scène.

Yalda Abbasi joue et chante depuis l'âge de 12 ans et a sorti son premier album en kurde, fortement encouragé par sa mère. Elle espère en sortir deux autres et se montre optimiste sur l'avenir de la chanson kurde au Khorassan qui connait un succès notable ces dernières années : "Le style de la musique kurde nous a été transmis de nos ancêtres et nous le transmettrons aux générations futures." (Rudaw).

Signe important, le répertoire des chants kurdes dépendait de la poésie classique et ancienne mais de nouveaux poètes kurdes tels Hassan Rushen, Ismaîl Hassanpour et Ali Reza insufflent une sève nouvelle et contemporaine aux interprètes.

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Ilana Eliya est appelée, par ses fans, la "reine de la musique kurde juive". Née à Jérusalem, d'une famille de Kurde d'Irak arrivée en 1952, elle a d'abord été attirée par la musique occidentale, avant d'opter finalement pour le répertoire kurde, d'autant que son père, chantre de synagogue profondément attaché au chant liturgique judéo-kurde, n'a cessé de collecter et collectionner ce patrimoine sonore et, via la radio, a toujours continué d'écouter de la musique kurde sur Radio Kurdistan, captée en ondes courtes. Elle dut aussi à sa mère d'apprendre la musique classique, la guitare, et de prendre des cours de chants.

Malgré cela, en raison des interdits sociaux encore vivaces qui dissuadaient les femmes de monter sur scène, surtout dans un milieu religieux, elle ne se lança pas tout de suite dans la carrière, pas avant la mort de son père. Mais le succès fut finalement au rendez-vous comme on dit, et Ilana Eliya, si elle ne s'est pas encore produite au Kurdistan, donne des concerts à l'étranger, ainsi en juin dernier au Bernie Grant Cultural Center, à Tottenham, où elle a chanté en hébreux, en kurde et an araméen, invité par l'association Gulan, qui promeut la culture kurde.

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Enfin, celui que l'on surnomme le "Beatles de Bagdad", Ilham Al-Madfei, qui vivait depuis 33 ans en Jordanie, a décidé de quitter son pays d'exil pour revenir à celui de ses origines, le Kurdistan d'Irak.

Né en 1942 à Bagdad, Ilham Al-Madfei est guitariste, chanteur et compositeur, et sa musique est une synthèse de styles occidentaux et irakien classique. Ayant appris la guitare à 12 ans, il a d'abord formé un groupe de rock, les Twisters, en 1961. Parti étudier à Londres, il se produit au Bagdad Café, y rencontre quelques collègues nommés Paul McCartney, Donovan, Georgie Fame.

De retour en Irak, il développe un style intermédiaire entre l'Occident et l'Orient mais la venue au pouvoir de Saddam l'amène finalement à quitter l'Irak, d'où il est s'exile définitivement pour la Jordanie en 1994. Interviewé au Caire par AkNews en août dernier, il y annonçait son intention de s'établir au Kurdistan d'Irak. Il explique son choix de par la fierté de ses origines kurdes et le fait que le Kurdistan est, pour lui, un "pays de rêve", que sa famille visitait chaque année, quand il était enfant, et dont il garde un souvenir ébloui, notamment de Salaheddin, Shaqlawa, Sersing et d'autres encore.

Il aspire maintenant à retourner au contact des poètes irakiens contemporains dont il peut commander les textes et a l'intention de former un groupe de musique au Kurdistan.

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