Les Kurdes dans l'armée de Shayzar
Auteur de mémoires célébrissimes popularisées par André Miquel, et dont de larges extraits mettant en scène les Kurdes ont été publiés sur ce blog entre novembre 2008 et janvier 2009, Usâma ibn Munqidh fournit des informations qui, bien qu'imprécises, ont donné l'idée à David Nicolle de "retrouver la composition ethnique de l'armée de Shayzar". Abbès Zouache reproduit les estimations dans son ouvrage. La présence de "Kurdes chrétiens", que l'on différencie "malaisément" des Kurdes musulmans est intéressante et suggère que les groupes appelés "kurdes" au Moyen-Âge, connaissaient déjà une diversité religieuse qui s'est perpétrée :
Composition ethnique de l'armée de Shayzar fin Ve/XIe - début du Vie - XIIe siècle :
Rangs
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Origines
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Gouverneurs,
chef militaire, émirs de haut rang (Shayzar et États voisins)
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Arabes :
18,4% ; Kurdes : 5,2 % ; Turcs : 73,6% et esclaves :
2,6%
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Cavalerie,
émirs (essentiellement de Shayzar)
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Arabes :
44,4% ; Kurdes : 41, 6 % ; Kurdes chrétiens : 2,7% ;
Turcs : 5,5% et esclaves 5,5%
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Soldats,
sans plus de précision, dont piétons volontaires (essentiellement de Shayzar)
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Arabes :
50% ; Kurdes 21,4% ; Turcs : 0% et esclaves : 14,3%
(plus des « autres Nord-Africains », sans plus de précision)
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"Au Vie/XIIe siècle, il y avait longtemps qu'on reconnaissait aux Kurdes des qualités de guerriers. Les géographes arabes les caractérisaient par leur dureté, leur violence, leur sens de l'honneur et de l'indépendance et leur élégance ; Usâmâ b. Munqidh les louait pour leur "fidélité sans faille" et leur "bravoure absolue". Ils servaient autant à pied qu'à cheval. Lors de leur arrivée en Syrie, les Francs furent confrontés, notamment, à des troupes kurdes. Si on suit Guibert de Nogent, ils les découvraient :
"De son côté, le prince mécréant avait levé des troupes non seulement chez les Turcs, les Sarrasins, les Arabes et les Perses, bien connus des historiens, mais dans des nations encore ignorées, chez les Pauliciens, les Kurdes, les Azymites, les Agulans, ainsi que chez d'autres peuples peu nombreux, mais d;aspect monstrueux."
Ce sentiment d'ignorance ne perdura pas. Guillaume de Tyr, par exemple, parle régulièrement des Kurdes. Il fait même le portrait de l'un d'eux, Şîrkûh.
Il est difficile de déterminer leur importance dans les armées musulmanes, les chroniqueurs ne les mentionnant, la plupart du temps, que très rapidement. Ainsi Ibn al-Athîr, qui les évoque bien dans son récit de la bataille de Harrân (1104) : "Sukmân avait sept mille cavaliers turcomans (fâris), Djkarmiş trois mille cavaliers turcs, bédouins et kurdes", mais se contente, lorsqu'il parle du butin, de nommer les "Turcomans" et les "Turcs". S'agissait-il d'auxiliaires ou de troupes régulières ? Si on sait qu'employer des Kurdes était courant, peu est dit de ceux qui, nomades, transhumaient en Djéziré où ils étaient parfois la proie des Francs. Avant de prendre Édesse, en 1144, Zankî avait été rejoint par "de nombreuses tribus kurdes". Sur le territoire syrien, les choses étaient un peu différentes, même si la présence kurde y était ancienne, du moins suffisamment pour qu'on considère que le fondateur éponyme de la dynastie des atabegs du Luristân, Fadlawî ou Fadlûya, y était établi. Ses descendants avaient migré vers le Luristân, via Mayyâfâriqîn et l'Azerbaïdjan, où ils étaient parvenus au tout début du Ve/XIe siècle. Pendant ce siècle, leur poids militaire s'accrut en Syrie. Le Krak des Chevaliers portait originellement le nom de Hisn al-Safh, "le Château de la Pente", avant de devenir le "Château des Kurdes", Hisn al-Akrâd. Les unités kurdes auxquelles il dût ce changement y auraient été installées en 422/1031 par Şibl al-dawla Nasr, prince mirdasside d'Alep.
Les Kurdes étaient nombreux dans l'armée de Shayzar (voir le tableau plus haut) comme dans celle de leurs ennemis. Usâma b. Munqidh fait état de très nombreuses individualités, tel ce Surhanak, "chef (ou soldat d'élite ?), muqaddam parmi les Kurdes", combattant intrépide mais inexpérimenté auquel un compagnon d'Usâma, Djum'a al-Numayrî, livra un véritable duel. Un passage de la Bughya d'Ibn al-'Adîm, où est racontée l'histoire d'un homme en détresse devant un tombeau vénéré, illustre également leur importance dans les armées musulmanes. Ibn al-'Adîm rapporte ici les paroles de son oncle :
"J'ai entendu dire mon oncle, Abû Ghânim Muhammad b. Hibat Allâh b. Abî Djarâda : Le Şaykh Rabî' b. Mahmûd al-Mârdînî l'ascète (al-zahîd) me raconta :"J'étais venu visiter le tombeau de Khâlid b. al-Walîd à Homs, quand j'y vis un homme kurde multipliant les pleurs et les sanglots, élevant là-dessus la voix. Je lui dis alors :– Qu'est-ce qui t'a rendu ainsi ?Il répondit :– Il m'est arrivé, avec le maître de ce tombeau, quelque chose qui a rendu nécessaire ce que tu vois.Je l'interrogeais alors sur cette chose, et il dit :– Les Francs, en incursion déprédatrice (mughîrîn) contre Hims, ayant surgi et ayant encerclé la ville, l'ensemble des portes fut fermé, si ce n'est une seule. Je me rendis alors à ce tombeau, et dis : "Souffle-moi son courage en cette heure". Puis je sortis sans craindre personne : les Francs n'avaient plus, à mes yeux, de puissance (miqdâr) en rien. Je les chargeais alors, tuai deux cavaliers (fâris), en capturai deux, m'en saisis avec leurs chevaux. Je me rendis ensuite avec eux auprès d'al-Malik al-'Âdil Nûr al-dîn Mahmûd. Voici ce qui m'a mis dans l'état où tu vois."
Comme le montre l'allusion au prince Nûr al-dîn, cet événement se déroulait sous les Zankides, en général considérés comme les souverains qui firent le plus appel aux Kurdes."
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