Au bon temps jadis, les Sarrasins étaient d'un côté, outre-mer, et les chrétiens de l'autre. Aujourd'hui, en revanche, l'Europe est pleine de musulmans qui parlent nos langues et étudient dans nos écoles. Si, aujourd'hui déjà, certains d'entre eux s'allient aux fondamentalistes de chez eux, imaginons ce que ce serait en cas de confrontation globale. Ce serait la première guerre avec l'ennemi non seulement chez nous, mais bénéficiant de la protection sociale.
Notons bien que le même problème se poserait au monde musulman, qui a chez lui des industries occidentales et même des enclaves chrétiennes, comme en Éthiopie
Comme l'ennemi est mauvais par définition, considérons comme perdus tous les chrétiens d'outre-mer. À la guerre comme à la guerre. Plus tard, nous les canoniserons tous sur la place Saint-Pierre.
Que faisons-nous, en revanche, chez nous ? Si le conflit se radicalise outre mesure et que s'écroulent encore deux ou trois gratte-ciel, ou carrément Saint-Pierre, on aura la chasse au musulman. Une sorte de nuit de la Saint-Barthélémy ou de Vêpres siciliennes : on attrape quiconque a des moustaches et le teint pas très clair et on l'égorge. Il s'agit de tuer des millions de personnes, mais la foule s'en chargera sans qu'on dérange les forces armées.
La raison pourrait l'emporter. On n'égorgerait personne. Mais même les très libéraux Américains, au début de la Seconde Guerre mondiale, ont envoyé dans des camps de concentration, bien qu'avec beaucoup d'humanité, les Japonais et les Italiens qui étaient chez eux, même s'ils y étaient nés. Donc, et toujours sans trop se perdre dans les détails, on va repérer tous ceux qui pourraient être musulmans – et s'il s'agit, par exemple, d'Éthiopiens chrétiens, tant pis – et on les met quelque part. Où ? Pour faire des camps de prisonniers, avec tous ces extra-communautaires qui circulent en Europe, il faudrait de l'espace, de l'organisation, de la surveillance, de la nourriture et des soins médicaux démesurés, sans compter que ces camps seraient des bombes prêtes à exploser.
Ou bien on les prend, tous (et ce n'est pas facile, et il faut le faire tout de suite, d'un seul coup), on les charge sur une flotte de navires de transport et on les décharge… Où ? On dit "pardon, monsieur Kadhafi, pardon, monsieur Moubarak, pouvez-vous me prendre, s'il vous plaît, ces trois millions de Turcs que je cherche à foutre hors d'Allemagne ?"
La seule solution serait celle des passeurs de travailleurs clandestins : on les jette à la mer. Solution finale d'hitlérienne mémoire. Des millions de cadavres sur la Méditerranée. Je voudrais voir quel gouvernement le ferait. C'est autre chose que les desaparecidos ; même Hitler massacrait peu à la fois et en cachette.
L'alternative, comme nous sommes bons, c'est de les laisser tranquilles chez nous, mais on met un agent de la police spéciale derrière chacun d'eux pour les surveiller. Et où est-ce qu'on va trouver une telle quantité de personnels ? On les recrute parmi les extracommunautaires ? Et si ensuite, on soupçonne que ces collaborateurs ne sont pas fiables, comme cela s'est produit aux États-Unis, où les compagnies aériennes, pour réduire les frais, faisaient faire les contrôles dans les aéroports par des immigrés du Tiers-Monde ?
Naturellement, toutes ces réflexions, de l'autre côté de la barricade, un musulman raisonnable pourrait les faire. Le front fondamentaliste ne serait certainement pas totalement vainqueur, une série de guerres civiles ensanglanterait leurs pays, entraînant d'horribles massacres, les contrecoups économiques leur retomberaient dessus aussi, ils auraient encore moins de nourriture et de médicaments que le peu qu'ils ont aujourd'hui, ils mourraient comme des mouches. Mais du point de vue d'un choc frontal, il ne faut pas se soucier de leurs problèmes, mais des nôtres.
À reculons, Umberto Eco.
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