lundi, octobre 11, 2010

Michel Febvre (ou Le Febvre, ou Lefebure), Justinien de Neuvy dit

(Alep, vers 1664 – 1687)

Si l'on en croit ce qu'il écrit dans le Specchio…, l'auteur qui se cache sous le nom de Michel Febvre est le capucin Justinien de Neuvy-sur-Loire, dont ce serait le nom séculier. Il n'y a pas de véritable raison d'attribuer, comme cela a été fait, le Théâtre de la Turquie à un autre capucin tourangeau, Jean-Baptiste de Saint-Aignan. À la rigueur peut-on voir dans ce livre une œuvre collective des capucins d'Alep.
Justinien de Neuvy serait arrivé en mission à Alep en 1664, d'après un rapport de 1669, qui précise qu'il savait alors l'arménien et l'arabe, et qu'il comprenait le kurde. Cette dernière langue lui était utile auprès des Yézidîs, parmi lesquels il a mené une expérience d'évangélisation sans lendemain en 1668. En 1667, il avait entrepris le pèlerinage d'Alep à Jérusalem, dont il a donné le récit. Il fit un voyage à Rome, puis en Toscane et à Paris, en 1674, lors duquel il s'occupa de faire publier ses premiers ouvrages, puis de nouveau en 1678. Il vint cette fois à Rome avec son compatriote tourangeau, le jésuite Michel Nau, pour solliciter du pape la confirmation du nouveau patriarche des Syriens. Lors de ce second séjour européen, il fit paraître un petit traité de controverse, qui fut imprimé par les presses de la Congrégation de la Propagande (chargée des missions au Vatican), en latin (1679), en arabe (1680) et en arménien (1681), pour répondre aux "objections qu'ont l'habitude de faire contre nous les Turcs, les Juifs et les Hérétiques orientaux". Il revint ensuite à Alep. De graves dissensions entre capucins de la ville amenèrent le consul Laurent d'Arvieux à écrire en 1687 que "toute la chrétienté d'Alep vous serait reconnaissante d'être délivrée du P. Justinien, comme chose de nécessité absolue", et à suggérer de l'envoyer à Bagdad, Bassora , Isphan ou autres lieux semblables.
Dans le Specchio, dédié à Luigi Pazzi en hommage à toute la famille des Pazzo, et dans le Théâtre, dédié à Louvois, il affirme vouloir attirer l'attention sur la faiblesse de l'Empire ottoman, "autrefois formidable à tout le Christianisme". Il entend détromper l'opinion européenne sur la puissance turque, après la conquête de Candie (1669). Il appelle à une reconquête militaire de l'empire, éventuellement par les armées françaises. Dans le Specchio, il reprend le vieux projet stratégique d'affamer Istanbul en bloquant l'approvisionnement de la ville par les Dardanelles. Parmi les causes de la faiblesse de l'empire, il cite la dépopulation, le "chaos" de la variété des peuples qui le composent, l'ignorance due en particulier à l'absence de l'imprimerie, et surtout le mauvais gouvernement. Il énumère un certain nombres de "désordres" dans l'organisation sociale et politique, qui révèlent en creux sa référence positive à la monarchie française et son adhésion à la pensée mercantiliste.
Il est difficile de saisir l'impact des œuvres de Febvre, qui ont bénéficié d'une diffusion large, mais plutôt éphémère. Il se peut qu'elles aient rencontré plus de succès en Italie qu'en France, et qu'elles aient préfiguré, voire inspiré les thèmes du XVIIIe siècle sur la décadence de l'Empire ottoman et le despotisme oriental. La connaissance de l'islam chez Febvre ne dépasse pas la somme de savoir chrétien sur le sujet déjà réunie à la fin du Moyen-Âge, reprenant les arguments de la controverse anti-islamique traditionnelle. Il ne fait d'ailleurs pas d'exposé systématique, à la manière de Michel Nau, de la "religion mahométane", le Théâtre se contentant de développer sommairement deux méthodes pour dialoguer avec les musulmans. Le capucin rapporte une quantité d'anecdotes concrètes, dont beaucoup de sont pas d'observations directe. Mais Febvre rend compte aussi d'une pratique "populaire" ou informelle de la religion, que les textes normatifs ne permettent pas de saisir, comme le port d'amulettes, ou le fait de couper les cheveux d'un garçon sur le tombeau d'un saint. Il est surtout intéressant pour saisir la distance qu'il établit entre l'observateur occidental et la société locale, dans laquelle les chrétiens ne se distinguent souvent pas des musulmans par leurs croyances ou leurs mœurs, comme il ne manque pas de le faire remarquer. Enfin, le Théâtre livre l'essentiel des connaissances accumulées par les capucins sur les Yézidîs, en particulier lors du séjour de trente-cinq jours de Justinien parmi eux en 1668.
Bernard Heyberger

Téléchargeable Sur Gallica : Théâtre de la Turquie, où sont représentées les choses les plus remarquables qui s'y passent aujourd'hui touchant les Mœurs, le Gouvernement, les Coûtumes et la Religion des Turcs, & de treize autres sortes de Nations qui habitent dans l'Empire ottoman. (le tout est confirmé par des exemples et cas tragiques arrivés depuis peu).


Traduit de l'italien en français par son auteur, le Sieur Michel Febvre.
À Paris, chez Edme Couterot, rue Saint-Jacques au Bon Pasteur, 1682.

Il est fait mention des Kurdes (Courdes) plusieurs fois au cours de l'ouvrage (très pamphlétaire), mais l'auteur leur consacre spécifiquement  plusieurs pages dans son chapitre XXX sur les sectes, dont celle des yézidis.

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