"La légère tristesse de tuer une souris"




Elle éteint son ordinateur portable. Ça ira, je ne vais sûrement pas pondre le chef-d'œuvre du siècle ! Les communications que présenteront les autres ne seront pour la plupart qu'une soupe inconsistante. Ces femmes et ces hommes pédants et sûrs d'eux-mêmes donnent l'impression de venir en touristes, presque les mains dans les poches. Hormis deux ou trois brillants scientifiques, la majorité ne sort pas de visions superficielles et stéréotypées. Avec notre complexe d'infériorité envers l'Occident, nous leur donnons plus d'importance qu'ils n'en ont. Et eux, avec leur arrogance d'Occidentaux, ils m'observent avec curiosité en se disant : "Voyons donc ce que racontera cette Turque." En réalité, ils accordent moins d'importance au contenu de ma communication qu'à ma tenue vestimentaire, au fait que je ne sois pas voilée et à la qualité de mon anglais.

Ce qui agaçait le plus Elif dans ce type de réunions scientifiques internationales, c'était de voir les présentations qu'elle jugeait "tout juste potables" accueillies par une pluie d'éloges de la part des étrangers. "Votre présentation était formidable, madame Eren, à vrai dire, nous ne savions pas qu'il existait un milieu scientifique aussi développé en Turquie." Ou bien : "Vous avez sans doute mené ces expériences dans une institut de recherche aux États-Unis." Ou alors : "Je tiens à vous féliciter, vous êtes la preuve vivante que l'individu peut surmonter son milieu." De même qu'on lui disait : "Ah, mais vous parlez cette langue à merveille !" lorsqu'elle était obligée de s'exprimer dans son mauvais allemand. C'est sûr, les singes aussi peuvent danser ! Bravo, bravo, bravo… Dans ce type de réunion où l'on vous couvre d'éloges immérités, où vous faites l'objet de l'attention et d'une discrimination positive, vous sentez combien celui qui se sait supérieur s'évertue à ne pas le faire sentir à l'Autre qui se tient en face de lui. On se comporte de la même façon envers les scientifiques noirs ou asiatiques. Mais ces efforts et cette discrimination positive vous écrasent encore plus.

Parole perdue, Oya Baydar, 7, "La légère tristesse de tuer une souris".


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