Roman de Baïbars : Fleur des truands
Avec le second volume du roman de Baïbars, entre en scène un des personnages les plus savoureux de l'histoire, l'insigne, le prodigieux Otmân, la "Fleur des truands", terreur du Caire, mauvais garçon repenti et en même temps saint authentique, instruit des Secrets de l'autre monde et donc jouant avec le roi El-Sâleh, un numéro de duettistes faussement ahuris ou divaguant en pleine assemblée, devant une assistance qui ne comprend goutte quand Otmân salue le roi comme un quitt (pour qutb) : "Tu es un grand chat, tu es le chats des chats, de tous les chats ! Hourra !""Mais il a dit que j'étais le grand chat, suis-je donc aussi un matou ?" feint de s'étonner le malin sultan.
En général, dans les romans d'aventure à vocation moraliste, un héros comme Fleur des truands, commence, comme c'est le cas ici, par jouer tous les tours pendables qu'il peut au héros du Bien, Baïbars, et puis s'étant repenti et étant en plus, devenu un "sheikh occulte", il doit renoncer à toute sa truculence et ses frasques pour devenir lui aussi un personnage plus en accord avec la morale, mais un brin plus ennuyeux. Il n'en est rien dans cette intrigue où les deux mondes ne s'annulent pas l'un l'autre, mais continuent à exister de façon superposée, comme l'explique Jean-patrick Guillaume dans son introduction :
"Qu'un truand puisse devenir un saint, c'est quelque chose que nous pouvons admettre abstraitement, encore que, dans la pratique, nous aurions tendance à y regarder à deux fois. Mais qu'il puisse devenir un saint tout en restant gourmand, paillard, querelleur, effronté et (il faut bien l'avouer) pas toujours très honnêtes ; qu'il puisse être, de surcroît d'une ignorance crasse envers ses devoirs religieux (longtemps après sa conversion il continue à soutenir mordicus qu'il y a sept prières légales par jour, alors que tout le monde sait qu'il n'y en a que cinq), tout cela paraît bien difficile à avaler. Et c'est pourtant le cas : Otmân est bel et bien un saint, un saint rigolard, bagarreur et un peu naïf par moments, mais un saint tout de même."
Ce n'est même pas qu'il y ait un des mondes qui mentirait tandis que l'autre serait la vérité, ce n'est pas qu'Otmân en apparence est Fleur des Truands, et dans le monde du Secret il est seulement le cheikh Otmân qu'interpelle Nadjm al-Dîn avec affection. Il est les deux à la fois, tout comme Beko, le méchant portier qui perdra Mem et Zîn se retrouve au Paradis, dans le palais des amoureux, et garde leur porte :
En général, dans les romans d'aventure à vocation moraliste, un héros comme Fleur des truands, commence, comme c'est le cas ici, par jouer tous les tours pendables qu'il peut au héros du Bien, Baïbars, et puis s'étant repenti et étant en plus, devenu un "sheikh occulte", il doit renoncer à toute sa truculence et ses frasques pour devenir lui aussi un personnage plus en accord avec la morale, mais un brin plus ennuyeux. Il n'en est rien dans cette intrigue où les deux mondes ne s'annulent pas l'un l'autre, mais continuent à exister de façon superposée, comme l'explique Jean-patrick Guillaume dans son introduction :
"Qu'un truand puisse devenir un saint, c'est quelque chose que nous pouvons admettre abstraitement, encore que, dans la pratique, nous aurions tendance à y regarder à deux fois. Mais qu'il puisse devenir un saint tout en restant gourmand, paillard, querelleur, effronté et (il faut bien l'avouer) pas toujours très honnêtes ; qu'il puisse être, de surcroît d'une ignorance crasse envers ses devoirs religieux (longtemps après sa conversion il continue à soutenir mordicus qu'il y a sept prières légales par jour, alors que tout le monde sait qu'il n'y en a que cinq), tout cela paraît bien difficile à avaler. Et c'est pourtant le cas : Otmân est bel et bien un saint, un saint rigolard, bagarreur et un peu naïf par moments, mais un saint tout de même."
Ce n'est même pas qu'il y ait un des mondes qui mentirait tandis que l'autre serait la vérité, ce n'est pas qu'Otmân en apparence est Fleur des Truands, et dans le monde du Secret il est seulement le cheikh Otmân qu'interpelle Nadjm al-Dîn avec affection. Il est les deux à la fois, tout comme Beko, le méchant portier qui perdra Mem et Zîn se retrouve au Paradis, dans le palais des amoureux, et garde leur porte :
"Cheikh ! Ne sais-tu pas qui je suis ?
Je suis Bekir le portier.
Je suis le co-locataire de Mem et de Zîn,
C'est pour cela que je me tiens sur ce seuil.
Comme tu le vois, le palais a huit étages.
Un étage est à moi et les sept autres à eux.
Montant la garde, j'ai cette canne à la main.
Mais je possède aussi ce domaine en partage.
De fait, j'ai l'apparence d'une sentinelle,
Mais dans cette place, je suis leur associé."
(v. 2423-2427)
Et à l'étonnement du cheikh en visite au Paradis, Bekir explique que ses agissements terrestres avait pour but de parfaire et purifier l'amour de Mem et de Zîn, afin qu'ils obtiennent cette place éminente dans l'autre monde :
"En apparence, j'étais leur ennemi,
Mais en secret, j'étais leur ami."
"Eger bi xeber reqîbê wan bûm
Lêkin bi nezer hebibê wan bûm"
(v2431).
Mais en secret, j'étais leur ami."
"Eger bi xeber reqîbê wan bûm
Lêkin bi nezer hebibê wan bûm"
(v2431).
Jusqu'ici, on peut penser qu'il s'agit là, bien justement, d'affirmer que c'est le monde du Secret qui est véridique, et que celui de l'apparence n'a pas de réalité. Ainsi, pour défendre Tajdîn, le héros qui le tuant, venga les amoureux, Beko explique de la même façon :
"Le monde était fatigué de la discorde
que j'y répandais.
Il m'a tué pour sauver l'ordre public,
Il m'a tué pour la tranquillité du monde."
"En apparence, il a commis le mal.
En vérité, ce méfait rétablit la tranquillité."
"Zahir wî eger çi kir qebahet
Batin buye rahet ew qebahet"
que j'y répandais.
Il m'a tué pour sauver l'ordre public,
Il m'a tué pour la tranquillité du monde."
Et dans ce passage la référence à l'opposition Exotérique/Esotérique est encore plus explicite, quand Bekir conlut :
"En apparence, il a commis le mal.
En vérité, ce méfait rétablit la tranquillité."
"Zahir wî eger çi kir qebahet
Batin buye rahet ew qebahet"
Mais voilà, le chapitre précédant tout juste celui-ci, intitulé "Chaque herbe ne croît que ses propres racines" contredit absolument ce que nous avons évoqué. C'est en effet le passage célèbre où il est conté que sur la tombe des amants, poussèrent deux arbres enlacés, tandis que sur celle de Beko, s'éleva un arbre qui poursuivait l'oeuvre méchante du portier :
"Et sur la tombe de celui qui ne fit aucun bien,
Crût un faux merisier.
Et cet arbre était loin d'être serein,
Et il était épineux comme son maître.
Il s'éleva jusqu'à atteindre les deux arbres,
Et fit obstacle à l'union des amoureux."
(v. 2398-2400).
Crût un faux merisier.
Et cet arbre était loin d'être serein,
Et il était épineux comme son maître.
Il s'éleva jusqu'à atteindre les deux arbres,
Et fit obstacle à l'union des amoureux."
(v. 2398-2400).
Et Ahmedê Khanî de conclure avec philosophie :
"Les gens dont la nature est mauvaise
Peuvent-ils purifier cette nature ?
Même si pendant quarante ans tu cultives une coloquinte,
Et si cent fois tu l'irrigues de miel,
Et si tu la nourris de la lumière du soleil,
Et si tu verses sur elle de l'eau de rose,
Même si tu entailles ses racines,
Et y met du sucre chaque jour,
Même si tu t'en occupes régulièrement,
Se changera-t-elle en un melon ?
Quand elle poussera, ne penses-tu pas
Qu'elle ne donnera qu'amertume ?"
(v. 2404-2409).
Peuvent-ils purifier cette nature ?
Même si pendant quarante ans tu cultives une coloquinte,
Et si cent fois tu l'irrigues de miel,
Et si tu la nourris de la lumière du soleil,
Et si tu verses sur elle de l'eau de rose,
Même si tu entailles ses racines,
Et y met du sucre chaque jour,
Même si tu t'en occupes régulièrement,
Se changera-t-elle en un melon ?
Quand elle poussera, ne penses-tu pas
Qu'elle ne donnera qu'amertume ?"
(v. 2404-2409).
Cette fatalité de la "mauvaise nature" est également évoquée dans Fleur des truands avec l'histoire de Sirhan, qui, comme le fait remarquer le traducteur, peut appuyer la thèse de la prédestination et le fait que "Dieu a pu créer certains hommes pour le Feu éternel".
Mais on l'a vu, dès que se clôt ce chapitre et sa conclusion aussi amère que la coloquinte en question, le lecteur visite le Paradis avec un futur arif en extase, et découvre l'autre versant de la vérité sur le Portier. Or rien ne permet dans la juxtaposition de ces deux passages si contradictoires de discerner un antagonisme, ou le fait que tout celse se contredit dans l'esprit de l'auteur. Khanî ne "rétablit pas la vérité" sur ce qu'il a écrit un chapitre plus loin. Eternellement, Beko ici-bas poursuit ses actions malveillantes contre Mem et Zîn, et pour toujours, il est en haut leur ami, tout comme Otmân continue en toute sérénité à taper sur tout ce qui le contrarie,à se goinfrer dès qu'il voit une assiette pleine et répandre le sang, comme il le dit lui-même au roi : "J'lai zigué et zigouillé, l'as pas moufté".
Par ailleurs, cette complicité indulgente entre le roi et Fleur des truands (le roi s'est même fait piquer son turban par Otmân du temps qu'il était encore voyou, sans que cela semble l'irriter beaucoup le sultan ayyoubide) permet de voir l'étendue de la collusion ou l'interaction, et même l'interchangeabilité entre le monde des "Seigneurs" mystiques et celui de la grande truanderie, entre le plus indigne du monde terrestre et le plus proche du Pôle du monde. Si les Abdal sont au nombre de Quarante, quarante aussi sont les voyous que commande Otmân avant sa conversion, et la ressemblance est encore plus frapapnte du fait que ces truands là se réunissent dans les grottes d'El-Zaghliyyeh, tout comme il y a une grotte des Quarante à Damas, où Baïbars a d'ailleurs passé une nuit dans le premier volume. Même façon également de s'exprimer en langage codé, incompréhensible pour les non-initiés, ces quarante-là s'exprimant bien sûr dans l'argot de la pègre, les autres dans un galimatia à sens ésotérique qui finalement a pour même but de protéger le Secret, car comme le dit El-Sâleh à chaque fois que Fleur des truands manque dévoiler ce qu'il sait du cadi : "Celui qui divulgue un secret mérite la mort". Ce qui pourrait aussi être la maxime du caïd des truands.
Terminons sur la savoureuse profession de foi d'Otmân, qui après s'être fait assommer par la Dame du Caire et le prophète Khidr un peu plus tard, clame à tous ceux qui tremblent de peur en le croisant : "Et oui, mon ami ! J'ai fait le serment avec tous mes boutons, t'as plus besoin d'avoir peur pour ton manteau et ton bonnet. J'suis devenu un bon pratiquant, maintenant j'vais au cabinet et j'me putréfie, j'reste à frotter jusqu'à temps que ça couine, j'fais mes ablussemuches et mes ièrepris sept fois par jour, et je connais toutes les affaires de ma rleigion. Et toi, t'es hanéfite ou chafiite ou bien si t'es hâjj-yhanbalite ? Si tu sais pas, laisse, je t'expliquerais."
Extrait en ligne de Fleur des truands : première apparition d'Otmân.
Mais on l'a vu, dès que se clôt ce chapitre et sa conclusion aussi amère que la coloquinte en question, le lecteur visite le Paradis avec un futur arif en extase, et découvre l'autre versant de la vérité sur le Portier. Or rien ne permet dans la juxtaposition de ces deux passages si contradictoires de discerner un antagonisme, ou le fait que tout celse se contredit dans l'esprit de l'auteur. Khanî ne "rétablit pas la vérité" sur ce qu'il a écrit un chapitre plus loin. Eternellement, Beko ici-bas poursuit ses actions malveillantes contre Mem et Zîn, et pour toujours, il est en haut leur ami, tout comme Otmân continue en toute sérénité à taper sur tout ce qui le contrarie,à se goinfrer dès qu'il voit une assiette pleine et répandre le sang, comme il le dit lui-même au roi : "J'lai zigué et zigouillé, l'as pas moufté".
Par ailleurs, cette complicité indulgente entre le roi et Fleur des truands (le roi s'est même fait piquer son turban par Otmân du temps qu'il était encore voyou, sans que cela semble l'irriter beaucoup le sultan ayyoubide) permet de voir l'étendue de la collusion ou l'interaction, et même l'interchangeabilité entre le monde des "Seigneurs" mystiques et celui de la grande truanderie, entre le plus indigne du monde terrestre et le plus proche du Pôle du monde. Si les Abdal sont au nombre de Quarante, quarante aussi sont les voyous que commande Otmân avant sa conversion, et la ressemblance est encore plus frapapnte du fait que ces truands là se réunissent dans les grottes d'El-Zaghliyyeh, tout comme il y a une grotte des Quarante à Damas, où Baïbars a d'ailleurs passé une nuit dans le premier volume. Même façon également de s'exprimer en langage codé, incompréhensible pour les non-initiés, ces quarante-là s'exprimant bien sûr dans l'argot de la pègre, les autres dans un galimatia à sens ésotérique qui finalement a pour même but de protéger le Secret, car comme le dit El-Sâleh à chaque fois que Fleur des truands manque dévoiler ce qu'il sait du cadi : "Celui qui divulgue un secret mérite la mort". Ce qui pourrait aussi être la maxime du caïd des truands.
Terminons sur la savoureuse profession de foi d'Otmân, qui après s'être fait assommer par la Dame du Caire et le prophète Khidr un peu plus tard, clame à tous ceux qui tremblent de peur en le croisant : "Et oui, mon ami ! J'ai fait le serment avec tous mes boutons, t'as plus besoin d'avoir peur pour ton manteau et ton bonnet. J'suis devenu un bon pratiquant, maintenant j'vais au cabinet et j'me putréfie, j'reste à frotter jusqu'à temps que ça couine, j'fais mes ablussemuches et mes ièrepris sept fois par jour, et je connais toutes les affaires de ma rleigion. Et toi, t'es hanéfite ou chafiite ou bien si t'es hâjj-yhanbalite ? Si tu sais pas, laisse, je t'expliquerais."
Extrait en ligne de Fleur des truands : première apparition d'Otmân.
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