Pétrole : dialogue de sourds entre Bagdad et Erbil sur fond de crise financière

Réunion entre des membres du Parlement kurde et le Conseil pour le Pétrole et le gaz du GRK


Alors qu’un énième accord sur le pétrole avait été signé entre Bagdad et Erbil en décembre dernier, accord qui a effet au début de l’année, il semble aujourd’hui menacé tant pour des raisons de suspicions politiques que par la difficulté ou l’incapacité des deux parties à en respecter, financièrement et économiquement, les termes.

L’accord stipule en effet que le Kurdistan doit envoyer 300.000 barils par jour de Kirkouk et 250 000 du reste de la région kurde à la SOMO (State Organization for Marketing of Oil), la société qui est à la fois en charge de l'exportation, de la commercialisation et de la distribution du pétrole et des produits raffinés en Irak. En contrepartie, la Région du Kurdistan doit recevoir enfin ses 17% du budget irakien, ce qui, pour 2015, devrait être d’un montant de 103 milliards de dollars.

Mais le 1er février, une délégation du GRK s’est rendue à Bagdad avec l’intention de renégocier les termes de l’accord, indiquant que 550 000 barils par jour était un montant trop lourd pour Erbil, car les Kurdes doivent aussi céder leur pétrole à des sociétés auprès desquelles ils sont lourdement endettés.

Les contreparties demandées par les Kurdes – le versement de 17% du budget irakien, l’entretien et la solde des Peshmergas – sont par ailleurs loin d’être respectées concrètement, même si l’accord les prévoyait. De plus, certaines voix, au sein du GRK, soupçonnent Nouri Maliki, l’ancien Premier Ministre maintenant vice-président d’Irak, mais toujours irréductible ennemi des Kurdes, de mettre des obstacles au versement effectif des sommes dues par Bagdad aux Kurdes. Sur son site, le GRK affirme que Bagdad n’a, de toute façon, pas le fonds suffisants pour respecter sa part de l’accord :

« Il est apparu clairement, lors de la réunion, qu’en raison de la crise financière et du manque de liquidités, le gouvernement irakien ne peut donner au GRK la part du budget qui lui revient. »

Le 16 janvier, le Premier ministre Nêçurvan Barzani a déclaré à l’agence Reuters que l’accord de décembre pourrait être rompu si le gouvernement central ne reprenait pas les paiements dus sur son budget :

« Selon l’accord, si les deux parties ne parviennent pas à respecter les articles, l’accord prendra fin. Nous avons exporté le montant requis de pétrole, mais le problème est que Bagdad n’a pas d’argent à envoyer à la Région du Kurdistan. » 

Les deux parties souffrent d’une grave pénurie de ressources financières, en raison de la guerre qui a ralenti l'exploitation, des chutes du prix du baril et, pour le Kurdistan, du poids économique que font peser près d’un million de réfugiés, venus d’Irak ou de Syrie.

« Il est évidemment que nous avons signé un accord avec un pays en faillite », a ajouté Nêçirvan Barzani. « Nous avons respecté totalement l’accord, mais son application doit être remplie par les deux parties. »

Le Premier Ministre a révélé que Bagdad proposait maintenant d’envoyer aux Kurdes 300 millions de dollars, « ce qui est moins de la moitié de ce que nous avions convenu auparavant. »

Malgré l’incapacité de Bagdad à respecter ses engagements, le Premier Ministre kurde a cependant indiqué le 16 février que son gouvernement ne stopperait pas les envois de pétrole, revenant sur la menace de couper les exportations, qu’il avait émise le 29 janvier, avant que sa délégation ne se rende à Bagdad. Mais il a proposé que la vérification du volume global de ces exportations ne se fassent plus que tous les trois mois :

« Nous leur avons dit de vérifier le montant de pétrole que nous leur enverrons tous les trois mois. Si nos livraisons sont en dessous du montant prévu, ils pourront couper notre budget au début du quatrième mois. »

Nêçirvan Barzani a ensuite donné des précisions sur la crise financière que traverse l’Irak surtout en raison de la chute des prix du pétrole qui ont baissé de 60 % en sept mois: en 2014, le budget national a perdu 50 milliards de dollars, alors que 95% de ses ressources dépendent de ce secteur. Quant au Kurdistan, il est lui aussi touché par cette baisse et aurait besoin de 10 milliards de dollars pour surmonter sa crise financière.

Mais si le Premier Ministre a tenu d'abord un langage conciliant, d’autres voix, notamment parmi les députés et les ministres kurdes à Bagdad, ont souhaité ou menacé de rompre l’accord voire même de se retirer du gouvernement. Et les propos qu’a tenus, quelques jours plus tard, le 22 février, le Premier Ministre irakien sur les chaînes irakiennes, n’ont guère conforté le camp des modérés à la table des négociations.

Hayder Al-Abadi a en effet déclaré que le Gouvernement régional du Kurdistan devait « prendre la responsabilité » de payer ses propres fonctionnaires au lieu de recevoir l’argent du gouvernement central :

« Je ne suis pas contre l’envoi du traitement des fonctionnaires, mais il y a un problème que chacun doit savoir, et c’est qu’il y a des employés du GRK qui n’ont pas été engagés par le gouvernement irakien mais sont plutôt employés par la Région du Kurdistan. »

Cela n’a évidemment pas incité les Kurdes à continuer sur le ton de la compréhension et de la bonne volonté et cette fois, le président Massoud Barzani a à son tour envisagé, lors d’une conférence de presse, de cesser les envois de pétrole si la part kurde du budget ne parvenait pas enfin à Erbil.

Quant au Premier Ministre kurde, deux jours après la déclaration de son homologue irakien, il a de nouveau donné une conférence de presse, où il a répété que son gouvernement « ferait de son mieux » pour résoudre la question du budget, mais que sa patience n’était pas infinie.

« Nous souhaitons un accord avec Bagdad et nous voulons que le peuple du Kurdistan, les États-Unis et les autres pays sachent que nous avons fait de notre mieux envers Bagdad. Mais il faut aussi que ceci soit clair : nous ne pouvons tolérer plus longtemps cette situation […] Malheureusement, Bagdad agit comme une compagnie pétrolière envers une partie du pays plus que comme un État. » 

« Bagdad nous a dit que nous avons exporté plus de pétrole qu’il était prévu dans l’accord, ce qui est vrai, mais nous avons dit à Abdadi lors de notre première réunion, que nous avions reçu des avances de fonds pour les salaires de nos gens [les fonctionnaires] de la part de sociétés, en échange de notre pétrole. Nous leur avons dit que même si nous exportons un million de barils par jour, nous ne pouvons leur donner que 550 000 en raison de ce que nous devons aux sociétés pétrolières. » 

Ainsi, si l’on veut résumer le dialogue de sourds qui dure depuis plus d’un mois, Bagdad reproche aux Kurdes de céder leur leur pétrole à des sociétés étrangères afin que ces mêmes Kurdes paient leurs fonctionnaires privés d’un traitement que Bagdad leur refuse depuis un an, et pour cette raison continue de geler l’envoi du budget kurde ; ce qui oblige Erbil à s’endetter plus encore auprès des sociétés. 


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