Maisons juives et synagogues d'Amadiyya.


L'ethnologue Erich Brauer a dans son livre The Jews of Kurdistan (publié à titre posthume car il est mort en 1942, encore jeune, à 47 ans), restitué un tableau très riche et très complet de la vie quotidienne des juifs du Kurdistan entre les deux guerres mondiales. Il avait écrit, auparavant, une monographie sur les juifs du Yémen et il expose le contraste entre la vie des deux communautés (il apparaît que les juifs kurdes ne vivaient pas dans la même crainte qu'au Yémen).

Brauer enquêta auprès de juifs de Zakho, de Sine, d'Erbil, etc., mais Amadiyya fut une des villes qu'il a le mieux détaillées, où il ne s'est pourtant jamais rendu, tout son travail se fondant sur les informations, les souvenirs et les récits collectés auprès des premiers migrants du Kurdistan en Palestine sous mandat britannique.

Nombre de chapitres sur l'alimentation, le vêtement, l'activité économique, la vie familiale montrent peu de différences avec les Kurdes musulmans et chrétiens.

Les témoignages de ses informateurs d'Amadiyya sur l'architecture juive, les maisons, les lieux de culte, sont précieux car la communauté n'avait plus que quelques années à vivre au Kurdistan et les maisons et les constructions ont ensuite été récupérées ou démolies. Mais les descriptions précises peuvent permettre de retrouver les vestiges laissés par au moins deux millénaires de présence juive dans la ville.



Les quartiers juifs :  Mahalit Jü’a - Makhalit Hudâi

À Amadiyya, il y avait 2 quartiers juifs : un dans la ville haute (she’utha ilettha) et dans la ville basse (she utha ketetba).

Les rues prenaient habituellement le nom des familles qui y possédaient le plus de bâtiments. Ainsi la synagogue Yehezqel [Said Yehezqel] était dans la kolana Bê Shamo (rue de la maison de Samuel] ; la synagogue Ezra haSofer dans la rue Bê Dawrike (dans la ville basse). 

Au Kurdistan, Certains juifs habitaient dans des maisons appartenant à la synagogue (cadeaux ou legs). La synagogue Yehezqel possédait 15 maisons à la disposition des nouveaux venus. Le prix des maisons était très bas, si bien que les juifs qui migraient en Palestine quittaient parfois la ville sans même les vendre (au contraire des terres à vignes et à culture qui avaient du prix). Quiconque voulait se construire une maison à Amadiyya pouvait prendre le morceau de terrain qui lui plaisait, d'autant qu'une bonne partie était en ruines depuis le milieu du 19e siècle.

Les maisons :

Les maisons étaient les mêmes que celles des Kurdes musulmans, souvent à un étage. Dans la région d’Amadiyya, il y avait les tanke,maisons aux murs faits de vannerie couverte d’argile (tîna), à un étage. Les maisons avaient des toits plats (qâre) avec des poutres entrecroisées, couverts d’une couche de broussailles et enfin une de terre. 

Amadiyya possédait des maisons à étage, contrairement à l’habitude au Kurdistan :  bekhtâya,  be’ elaye, soit rez de chaussée et étage. En bas, il y avait l'écurie et le cellier, en haut une pièce d’été,  manzar ou manzal qeta, et une pièce d’hiver,  bêthit süswa. Les deux pièces avaient une salle de bain séparée qui servait à se purifier après les rapports sexuels. Dans certaines maisons, il y avait aussi une pièce en dessous du niveau de la rue, sardawe, pour les heures chaudes de l’été.

Il n’y avait pas de cuisine séparée : en été on préparait et on cuisait les repas dans la cour ou dans le porche couvert (birbanke), en hiver dans le sûpa (pièce ou hall) ou là où se trouvait le four.

Jusqu’à l’arrivée des Britanniques, il n'y avait pas de latrines mais, comme chez le reste des Kurdes,  un dispositif dans la cour. 

Pas de meubles, comme chez les Kurdes : des niches pour les vêtements les plus chers ou dans des coffres (sabatqa). On s'asseyait sur des tapis ou des nattes. On mangeait sur une table basse.

À Amadiyya, on a les noms suivants pour la vaisselle courante :

Farakseni pour un plateau rond et plat  à bord très bas, en cuivre plaqué d’étain, de 80 cm de diamètre. ; tashta est identique sauf que le rebord a 15 cm de haut ; lagan est un plat plus petit ; siniyê  a une bordure inclinée vers l’extérieur.

À Amadiyya on appelait qiprâna les lits perchés sur 4 pieds, auxquels on peut accéder par une échelle (pour se protéger des scorpions). Il y avait deux sortes : un lit plus bas posé sur 4 pierres, un plus haut sur des poteaux de bois.

On pouvait aussi dormir dans les arbres (comme les elfes de Tolkien) où on y avait perché une plate-forme (harzele) sur laquelle on stockait les fruits, de l’été jusqu’à l’hiver. On appelait aussi harzele les paniers où étaient les fruits. C'était un excellent refuge contre les moustiques, une fois que l’on s'habituait aux secousses dans le vent soufflait et agitait les arbres.  
On plaçait souvent une ramure de cerf de montagne dans le mur extérieur, de l’étage, en décoration. Cela avait aussi une fonction de protection talismanique. 

À Amadiyya, beaucoup de Kurdes vivaient gratuitement dans des maisons de juifs et, en échange, leur rendaient des services durant le sabbat (faisant les tâches interdites par les juifs). Alors que les chrétiens semblaient, eux, vouloir vivre plus à part des musulmans.

La maison juive était patriarcale, comme partout au Kurdistan : on construisait les pièces autour du foyer du chef de famille au fur et à mesure que les couples se formaient et avaient des enfants. On pouvait avoir  ainsi 30 personnes vivant dans une même maison. Le chef de famille était le reshith bêtba et la matrone la kabânit betha  ou apthit bêta. 

Amadiyya avait, de façon assez unique, un "club des hommes" (dérivé des assemblées pieuses ou communautaires, Hevra Qadisha) où ils se réunissaient entre eux et buvaient d'impressionnantes quantité d'arak. Brauer explique que « les juifs kurdes considèrent leur capacité à boire de l'alcool comme un signe de force physique et en sont fiers. 3 fois par semaine, à Amadiyya, les hommes se réunissent dans une sorte de club pour une beuverie. 

Amadiyya avait auparavant un pressoir commun pour le vin (avisla) à la synagogue, mais à l'époque, on foule le raisin à domicile, dans de grands bassins. Quand les Britanniques ont voulu interdire la fabrication domestique de l’arak, il y a même eu des émeutes. 

Les boutiques comme à Sine n'étaient pas à part des musulmans, au contraire de Zakho, Kirkuk, Erbil

Les synagogues :

Le bâtiment est juste un lieu où ils se rassemblent pour l’office, contrairement au Yémen. 

La synagogue Knis Navi Yehezqel a peut-être été bâtie en 1250. Sur l’un de ses vieux piliers de bois, en effet, une inscription en arabe mais écrite en caractères hébreux indique: « Awwal ‘imâratha atqnt’’t aydhan itjadadat fi at’’s, aydhan fit atq’’r itjadadat sufatha » soit Le début  de la construction [fut en] 1559. Puis il a été rénové en 1560 ; puis en 1600 ses moulures ont été rénovées. 

Le livre « Sefer Pitron Halomot » ou Livre de l’interprétation des rêves, écrit en 1788 et à l'époque en possession d’un hakham d’Amadiyya commente cette inscription : «  Le début de ce bâtiment fut en l’année 1559 [de l'ère] de ces documents et sa construction ne fut pas terminée avant la 2ème année, qui est l’année 1560 de ces documents. 40 ans après, ils ont construit les galeries autour de la cour, en l;’année 1600 de ces documents. » 

[« l’année de ces documents » se réfère à l’ère séleucide, d’où l’on comptait les années durant la Seconde Période du Temple et longtemps en usage dans certaines communautés juives, ainsi que chez les chrétiens avant qu'ils n'inventent leur calendrier assyrien. Elle commence en 312 av. J.C l’année où Seleucos I Nicator retourne à Babylone après la bataille de Gaza, et donc, l’année 1559 = 1248 et 1560 = 1289.  Mais dans la mémoire collective, Alexandre se substitue à Seleucos Nicanor et un informateur de Brauer parle de cette ère comme celle d’Alexandre »

Les juifs d’Amadiyya disaient que le plan d’élévation de leurs synagogues était celui du Temple de Jérusalem (Bet Miqdash) tel que décrit dans le livre d’Ézechiel.

Mais les synagogues juives kurdes se ressemblent : c'est une cour entourée de murs (à comparer avec les descriptions d'églises nestoriennes dans Amadiyya, notamment par Badger). La cour sert de synagogue d’été. 

La Knishta Navi Yehezqel (haut d'Amadiyya)  a en tout cas un plan semblable à celle de la synagogue Knishtit Ezra haSofer (plus vieille, selon Brauer qui n'indique pas ce qui lui permet d'affirmer cela, peut-être une inscription). C'est en tout la synagogue Navi Yehezqel qui lui a été le mieux détaillée (et il y a même une photo) '




La Cour : (hababel ou porte de la maison) : on doit passer 2 portes (v. Proverbe 8:34).

Elle est entourée d’un toit soutenu qui entoure la cour en un schéma carré et est soutenu par de vieux piliers de bois. Ces colonnes ont des chapitaux en forme d'escalier caractéristiques de l’époque sassante (on voit assez bien les degrés du chapiteau juste derrière le personnage sur la photo). Les chapiteaux diffèrent dans leur détail et semblent être de différentes périodes. Ces chapiteaux ont des inscriptions et des sculptures, une date et des vers de psaumes. Le chapiteau de la colonne sud dit ainsi en hébreu : « Toutes les nations que Tu as faites viendront et se prosterneront devant Toi et rendront gloire à Ton nom Selah » (Psaume 86.9).

Les juifs disent que deux de ces colonnes furent des arbres aux racines encore plantées dans le sol, parce que la synagogue fut bâtie sur un ancien jardin de noyers et d'amandiers. En construisant, on a laissé les arbres, ébranchés, et on en a fait des colonnes. Ces deux arbres-colonnes sont au milieu de la synagogue. 

Au milieu de la cour  une parcelle de terrain avec des arbres et des fleurs était entourée d’une clôture basse de pierre (à gauche sur la photo).

En dessous, il y avait une ancienne citerne, de grande taille, avec une petite ouverture au centre et un trou au sud ( à rapprocher, peut-être, de la citerne récupérée et rebâtie par les chrétiens autour du 5e. siècle ?).  Elle a été cassée depuis. 

Le bâtiment de la synagogue a une ancienne sous-structure en pierres de taille, comme les murs (plus récents). Il n’y a pas de fenêtres, la lumière n’entre que par les ouvertures du plafond et les trois portes face à la cour. Ces portes sont appelées hekhalot (halls) et ont des rideaux.

Chacun avait sa place immuable dans la synagogue, seuls les hommes en deuil allaient dans le coin au sud-est. Sinon les élites étaient les mieux placées devant le Hekhal (sanctuaire). 

À l’extrémité ouest de la synagogue il y avait trois pièces. La pièce centrale était appelée dûke ou manzal. Elle était assez petite et contenait un placard où l’on gardait les rouleaux de la Torah,  les rouleaux d’Esther ( megilla) le kursi Eliyahu (chaire d’Elie) le shofar, le malqut (lanières de cuir) pour la flagellation la veille de Yom Kippour, et une jarre d’huile de sésame. 

La seconde chambre servait de bê geniza (entrepots) de livres et de manuscrits dont on ne se servait plus (300 vieux rouleaux de la Torah et un grand nombre de vieux livres de prières). Les vieux rouleaux étaient posés dans des caisses de bois rectangulaires avec des montures d’argent, les plus récents sont dans des boites rondes. Il semble que seule Amadiyya avait une geniza. 

Les bâtons des rouleaux étaient appelés shebuqa. Les rouleaux avaient un ou plusieurs voiles (faraji) offertes par les femmes ou parentes des donateur,s ou par une mère dont l’enfant estompé  malade. Les femmes y cousaient aussi des pièces de monnaie, des coraux (kisne) des amulettes, pour des vœux.


La 3ème pièce, la chambre à vin ( bê Khamra) était adjacente au duke sur son mur sud. 

Peu de vieilles synagogues kurdes avaient une section des femmes car elles y allaient peu. Dans la cour de la synagogue Yehezqel, il y avait une terrasse où, avant, on piétinait les grappes pour le vin de la synagogue. C'est ensuite devenu la place des femmes.

Hof = cour, Gräber-= tombes, Säulenumgang = péristyle.

Plan de Navi Yehezqel tracé en 1933 et publié par Walter Schwarz in JR, July 2, 1935 "Bei den Kurdischen Juden (article sur un voyage fait en 1933 que nous allons lire et traduire sous peu).


Miqve : Bord d'eau où venaient se purifier les femmes surtout la nuit avant le sabbath, car le devoir conjugal à ce moment là était un pieux devoir)  : à Amadiyya on appelait ce lieu garit alucha (bain de la prune )car des pruniers poussaient près du bâtiment dont on disait qu'il était très ancien, environné de hauts murs aussi hauts que les branches des arbres de sorte qu'il était caché. Avant on s’y rendait de nuit, car une femme ne devait pas croiser un non juif en étant purifiée.. 


Il y a ainsi l'histoire (drôle) de la femme du hakham R. Shim’on d’Amadiyya, qui alla à la rivière, avec une autre femme) une nuit d’hiver, par un vent glacial, et croisa 14 fois de suite un homme en revenant du bain (si c'était le même il devait faire une bonne blague !) et s'obstina à se rebaigner dans l’eau glacée à chaque fois, jusqu’à que sa peau pèle de froid (c'est bien "se peler au sens propre !) . À la fin elle renonça et couvrit simplement sa tête avec son châle en laissa sa compagne (qui était peut-être célibataire, veuve ou s'était dévouée aux dépens de son propre époux) la guider sur le chemin curieusement peuplé par une nuit d'hiver.



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