Les Kurdes se retirent du Conseil national syrien
Plus d’un an après le mouvement de révolte qui secoue durement la Syrie, les organisations et les partis politiques kurdes peinent à trouver leur place au sein de l’opposition syrienne, autant qu’à s’accorder entre eux sur la priorité ou la nature de leurs revendications, d’autant que le pays qui, avec le Qatar, soutient le plus activement les insurgés, est la Turquie, vue comme l’ennemi principal des aspirations kurdes. Il s’ensuit une valse d’hésitations entre le ralliement de mouvements au Conseil national syrien, qui regroupe toute l’opposition arabe ou le refus de s’y joindre sans garantie claire que les droits des Kurdes seront enfin entérinés dans la « nouvelle Syrie ».
Ainsi, alors que le 1er avril devait avoir lieu, à Istanbul, la deuxième rencontre des « Amis de la Syrie », un des principaux blocs de l’opposition kurde, le Conseil national kurde, s’est retiré du Conseil national syrien, en invoquant le refus des nationalistes arabes et des Frères musulman d’accepter les demandes des Kurdes dans leurs projets politiques, peut-être aussi encouragés discrètement en cela par la Turquie. En effet, selon le chercheur Jordi Tejel Gorgas, spécialiste de la politique kurde en Syrie, la méfiance des Kurdes se porte autant à l’encontre du pan-arabisme que de l’activisme des Frères musulmans (les confréries soufies kurdes jouant, par contre, un rôle influent dans la politique pro-kurde), qu’envers la Turquie, de laquelle « ils n’attendent rien de bon ». L’échec des promesses et des espoirs que l’AKP avait suscités avec son projet d’ouverture sur la question kurde, a, depuis 2009, persuadé la majorité des Kurdes qu’aucune solution ni détente politique ne pouvait être attendue de la part d’Ankara. Les Kurdes de Syrie « ne voient en aucune façon la Turquie comme un acteur ‘neutre’ dans la région, ni comme un modèle de démocratisation. » De plus, les media comme les services de renseignement turcs pointent une possible alliance du PYD (branche syrienne du PKK) avec le régime alaouite, le PKK cherchant une base de repli au cas où tenir Qandil, au Kurdistan d’Irak ne serait plus possible en raison de l’évolution des relations diplomatiques entre la Turquie et le Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak. Par contre, les responsables du PYD, tout comme ceux du PKK, ont affirmé clairement, et à plusieurs reprises, qu’en cas d’intervention militaire de la Turquie en Syrie, ils prendraient les armes contre les soldats turcs.
La position du PYD, qui proclame que son combat ne concerne pas seulement les Kurdes de Syrie mais englobe la question kurde dans sa totalité, est, au fond, une reprise du choix « stratégique » qu’avait fait le PKK dans les années 1990, alors qu’Öcalan, hôte de la Syrie, détournait les revendications des Kurdes syriens au profit du combat que le PKK menait tant en Turquie qu’au Kurdistan d’Irak, le tout dans une alliance ouverte avec Hafez Al-Assad. Les autres partis kurdes accusent à présent le PYD de jouer la même carte avec Bachar Al-Assad, et d’empêcher, voire d’attaquer physiquement les manifestations kurdes contre le régime. « L’attitude du PYD/PKK en Syrie est très révélatrice, explique Jordi Tejel Gorgas. En fin de compte, le PKK espère que si le régime ne tombe pas, leur loyauté leur permettra d’imposer leur hégémonie politique dans les régions kurdes. »
Malgré leurs divisions et leur indécision politique, David W. Lesch, qui enseigne l’histoire du Moyen Orient à l’université de la Trinité de San Antonio, juge, lui, que les Kurdes de Syrie ont joué intelligemment leur partie depuis le début de la révolte : « Je les soupçonne d’attendre leur heure en observant ce qui se passe, afin d’être à même de jouer un rôle, qu’Assad soit renversé ou non. Ils peuvent aussi regarder du côté de leurs frères en Irak pour y trouver une orientation et s’inspirer de la façon dont ceux-ci ont pu s’assurer une existence prospère et indépendante au milieu d’un Irak chaotique après l’invasion de 2003.
La méfiance kurde à l’égard du Conseil national syrien s’est trouvée confortée dans une interview accordée au journal kurde Rudaw par son dirigeant Burhan Ghalioun, interview dans laquelle il nie l’existence d’un « Kurdistan syrien » : « Il n’existe pas de « Kurdistan syrien ». Les Kurdes syriens obtiendront leurs droits comme le reste des citoyens de Syrie. Burhan Ghalioun a aussi rejeté la possibilité d’un statut fédéral accordé aux Kurdes de Syrie, qualifiant « d’illusion » ce projet soutenu par plusieurs partis kurdes : « Appliquer le modèle irakien est une chose impossible en Syrie. » L’émoi et les vives protestations que ces déclarations ont fait naître dans l’opposition kurde syrienne ont amené le porte-parole officiel du Conseil national syrien, Ahmed Ramadan, à revenir sur les propos de Burhan Ghalioun, en tentant d’apaiser les craintes kurdes : « Les Kurdes syriens sont inséparables de leurs frères qui vivent hors de Syrie, que ce soit en Irak, en Turquie ou en Iran », a-t-il déclaré au même journal Rudaw, quelques jours plus tard. Le porte-parole a nuancé les positions du leader du CNS, en affirmant que, contrairement au régime actuel, l’opposition syrienne reconnaît l’existence d’un Kurdistan syrien, même si celui-ci est inclus dans les frontières syriennes « Le régime syrien n’a pu nier l’existence d’un Kurdistan en tant que lieu géographique, mais il a toujours éradiqué les caractéristiques culturelles, historiques et démographiques de ce lieu. Mais les questions portant sur le fédéralisme et l’autonomie ne doivent pas être débattues pour le moment, en aucune façon, car les partis kurdes en Syrie ont des visées qui ne collent pas à la réalité de la Syrie. » Ahmed Ramadan ajoute que l’actuel régime syrien a toujours voulu se débarrasser de tous ses Kurdes (ce qui n’est pas tout à fait exact, la politique alouite ayant toujours voulu instrumentaliser ses minorités ethniques ou religieuses, afin de contenir la majorité sunnite) alors que l’opposition syrienne, selon Ramadan, tire fierté de l’identité du peuple kurde : « Le Conseil national syrien est fier des Kurdes syriens et de leur drapeau. » La nouvelle constitution en Syrie incluerait « des articles qui feraient spécifiquement référence à la culture et à l‘identité kurdes ».
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