Cizîr et Sincar en 1327
Partant de Mossoul, Ibn Battuta remonte la Djézireh, et passe par Cizîr (Djezîret ibn Omar), puis Sindjar. Cizrê était, à cette époque, aux mains des premiers princes kurdes dont devait descendre le fameux prince de Mem et Zîn, Zayn Al-Dîn. Ibn Battuta ne mentionne pas son nom, mais dans le Şerefname, Şeref Khan indique que le petit-fils du fondateur de cette dynastie, Suleyman b. Khalid, l'émir Seyf Al-Dîn, subit l'attaque de Tamerlan en 1394. Ainsi, en 1327, pouvait régner son père, l'émir Abdul-Aziz ou bien encore son grand-père Suleyman. Cette lignée avait, un temps, été yézidie, mais du temps d'Ibn Battuta, ce ne semble pas être le cas, ou il n'aurait pas dit tant de bien des habitants de la capitale et de ceux de Sindjar. Nusaybin, elle, est sous gouvernement artuqide dépendant des Mongols, comme Mardin.
"Nous sortîmes de Mossul, et fîmes halte dans un village nommé ’Aïn arrassad, il est placé près d’un fleuve, sur lequel se voit un pont de pierre, et il possède une grande hôtellerie. Nous continuâmes notre marche, et descendîmes dans un village dit Almowaïlihah, et puis dans la ville de Djezîret Ibn ’Omar . Elle est grande, belle, entourée par le fleuve, et c’est pour cela qu’on l’a nommée Djezîrah [Île]. La majeure partie est ruinée ; mais elle possède un beau marché et une mosquée ancienne, construite en pierres, d’un travail solide. Le mur de cette ville est aussi en pierres. Ses habitants sont d’excellentes gens, et ils aiment les étrangers.
Le jour de notre arrivée dans cette ville, nous vîmes la montagne Aldjoûdy, qui est mentionnée dans le Coran , et sur laquelle s’arrêta l’arche de Noé, sur qui soit le salut ! C’est une montagne élevée et de forme allongée. Nous marchâmes ensuite deux jours, et arrivâmes à Nassîbîn . Cette ville est ancienne, de moyenne grandeur, et en grande partie ruinée. Elle est située dans une large et vaste plaine, où se voient des eaux courantes, des vergers touffus, des arbres disposés avec ordre, et beaucoup de fruits. On fabrique dans cette ville de l’eau de roses, qui n’a pas sa pareille en senteur et en bonté. Un fleuve [le Hirmâs] entoure Nassîbîn et se recourbe sur lui, à l’instar d’un bracelet. Il tire son origine de différentes sources qui se trouvent dans une montagne, proche de la ville. Puis il se divise en plusieurs parties et pénètre dans ses jardins. Un de ses canaux entre dans la cité, il en parcourt les rues et les habitations, traverse la cour de sa mosquée principale, et se déver-se dans deux bassins, dont l’un est au milieu de la cour, et l’autre près de la porte orientale. Cette ville est pourvue d’un hôpital et de deux collèges. Les habitants sont des gens probes, religieux, sincères et sûrs. Abou Nouwâs a eu bien raison de parler ainsi qu’il le fait dans le distique suivant :
Nassîbîn a été autrefois agréable pour moi, et je lui ai été agréable.
Ah ! plût au Ciel que mon lot dans ce monde ce fût Nassîbîn !
Voici ce que fait observer Ibn Djozay :
« On attribue à la ville de Nassîbîn de la mauvaise eau et un air malsain. Un poète a dit à son sujet : J’ai été émerveillé de Nassîbin, et de ce qui, dans son séjour, amène les maladies. Les roses, dans son enceinte, manquent de rougeur, à cause d’un mal qui se voit jusque sur les joues. »
Nous partîmes ensuite pour la ville de Sindjâr ; elle est grande, possède beaucoup de fruits et d’arbres, des sources abondantes et des rivières. Elle est bâtie au pied d’une montagne, et elle ressemble à Damas pour la quantité de ses canaux et de ses jardins. Sa mosquée cathédrale jouit d’une grande réputation de sainteté, et l’on assure que la prière y est exaucée. Un canal entoure ce temple et le traverse. Les habitants de Sindjâr sont des Curdes, doués de valeur et de générosité. Parmi les personnages que j’ai rencontrés dans cette ville, je mentionnerai le pieux cheïkh, le dévot et ascète ’Abd Allah alcurdy, un des docteurs principaux et auteur de prodiges. On raconte qu’il ne rompt pas le jeûne si ce n’est après quarante jours, et cela seulement au moyen de la moitié d’un pain d’orge. Je l’ai rencontré dans un couvent, sur la cime de la montagne de Sindjâr. Il fit des vœux en ma faveur, et me pourvut de pièces d’argent que je ne cessai de garder jusqu’à ce que je fusse pillé par les infidèles de l’Inde."
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