KURDISTAN D’IRAK: UNE QUERELLE DES DRAPEAUX ENFLAMME KHANAQIN
Un arrêté gouvernemental irakien interdisant la présence du drapeau kurde sur les bâtiments officiels de la ville de Khanaqin enflamme les esprits et envenime les conflits autour du devenir de ces régions disputés entre le gouvernement central et la Région du Kurdistan. Le 16 octobre, environ 700 manifestants kurdes ont défilé du centre ville jusqu’au siège des autorités irakiennes, brandissant des drapeaux kurdes et criant « Vive le Kurdistan ! », « Khanaqin est kurde ! ». Quant à la municipalité de la ville, elle a tout bonnement refusé d’appliquer l’arrêt signé par le Premier ministre Nouri Maliki, dont elle a eu connaissance le 11 octobre, bannissant tout drapeau kurde sur les bâtiments officiels, alors que jusqu’ici, les deux drapeaux, celui du Kurdistan et celui de l’Irak, se côtoyaient.
Khanaqin a reçu le soutien immédiat du Gouvernement régional kurde. Le 15 septembre, le président du parlement du Kurdistan, Kamal Kirkouki, a ainsi déclaré « inacceptable de violer le caractère sacré du drapeau kurde ». Sur place, les autorités municipales ont averti Bagdad que le retrait du drapeau kurde des édifices gouvernementaux serait perçu comme une « provocation » par la population et risquait de déclencher une agitation politique à Khanaquin.
« L’affaire du drapeau » pourrait même s’étendre au-delà des frontières irakiennes puisque le Bureau des Affaires religieuses du Kurdistan a même annoncé, dans un entretien accordé au journal Aswat Al-Iraq, qu’un groupe de 1500 pèlerins kurdes avait l’intention, lors du Hajj prochain, de hisser le drapeau du Kurdistan sur le mont Arafat de La Mecque, en signe de protestation contre le gouvernement irakien.
Le 22 septembre dernier, le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, s’était rendu à Khanaqin en insistant sur son appartenance légitime au territoire kurde, alors que des unités de peshmergas y avaient été envoyés pour protéger les Kurdes de la province de la Diyala des terroristes. Cette visite avait été désapprouvée par les nationalistes arabes, hostiles au référendum prévu par l’article 140 de la constitution irakienne qui permettrait à la population vivant en dehors du GRK d’y être rattachée si elle le souhaite. 175 000 Kurdes, chiites pour la plupart, vivent dans la province de la Diyala, où ils ont longtemps souffert, sous le régime du Baath, des persécutions, à la fois en tant que Kurdes et en tant que chiites, et des campagnes d’arabisation et de déportations. En 2006, les autorités locales de Khanaqin avaient déjà réclamé le retour de la ville dans le territoire officiel du Kurdistan d’Irak.
Cette querelle autour du drapeau kurde n’est donc qu’une étape dans la série d’escarmouches et de conflit plus ou moins larvé que se livrent Bagdad et Erbil pour les territoires de Kirkouk et de Diyala, dont les intérêts stratégiques sont aussi importants que leurs enjeux pétroliers.
Mais les relations entre les partis politiques irakiens et les Kurdes peuvent être complexes et les positions les plus surprenantes sont parfois exprimées dans la bouche de politiciens se définissant eux-mêmes comme nationalistes arabes. Ainsi, Hassan Alawi, écrivain et un député du Parlement irakien de la liste Iraqiyya, soutient ouvertement l’indépendance kurde.
Al-Iraqiyya, la deuxième force politique du pays après celle de Nouri Al-Maliki, est une coalition de sunnites et de chiites « laïcs », plutôt considérés comme pro-arabes et donc peu enclins à soutenir les aspirations indépendantistes des Kurdes, comme en témoignent les relations très peu cordiales des élus de l'Alliance kurde et de ceux d'Al-Iraqiyya dans les régions mixtes de Ninive et Mossoul. Mais le nº 2 de cette liste n'hésite pas, dans ses vœux d'avenir, à céder Kirkouk aux Kurdes et à souhaiter même une indépendance kurde, pour le bien d'un État irakien qui pourrait alors redevenir centralisé.
Vétéran de la politique irakienne et un des fondateurs du Baath irakien, Hassan Allawi ne croit pas en un retour possible de la dictature en Irak, contrairement à ce qu’affirment les adversaires de Nouri Maliki : « Saddam était le produit d'une période historique spécifique qui est maintenant révolue. En termes de personnalité, la dictature n'est pas un vêtement que tout le monde peut endosser. La dictature nécessite du charisme et de la force. Un dictateur ne doit pas avoir de failles dans sa personnalité et ne doit pas être hésitant. C'est quelqu'un qui s'isole de son entourage. Les dictateurs n'ont pas de sectes. Ils ont leur propre idéologie et agissent en fonction d'elle. C'est pourquoi il est très difficile de trouver un dictateur qui est un agent d'autres personnes, parce que les dictateurs ne travaillent pas pour le compte des autres. Ils peuvent nouer des alliances avec de grandes puissances mais ils ne deviennent jamais des agents parce que, en fin de compte, ils travaillent pour leurs propres intérêts. Il est difficile de trouver ces traits chez Maliki. Maliki n'est pas ce genre de personnalité et l'époque est différente de celle de Saddam. Nous sur-schématisons la politique en déclarant qu'une nouvelle dictature voit le jour en Irak. Les dictatures émergent dans des États centralisés. »
Interrogé par le journal Rudaw sur le retour possible de l’Irak à un système étatique centralisé, Hassan Allawi s’y déclare favorable, mais indique que cela ne pourra jamais se faire en Irak, tant que subsistera une « question kurde » : « Le seul moyen pour l'Irak de redevenir un État centralisé est que le Kurdistan proclame son indépendance. Je suis un nationaliste arabe très fervent et j'appelle à un Kurdistan indépendant tout en souhaitant un État arabe centralisé. Ce qui a empêché jusqu'ici l'Irak de redevenir un État centralisé fort est la Région du Kurdistan. Le Kurdistan doit émerger avant que l'Irak ne devienne un État centralisé. Le Kurdistan n'a aucun lien de quelque sorte – peuple ou terre – avec l'Irak et n'a jamais fait partie de l'Irak. Ce n'est une partie de l'Irak que sur les cartes politiques et non géographiques. Le Kurdistan ne fait pas partie de l'espace géographique arabe. »
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