TURQUIE : SEPT CANDIDATS KURDES INTERDITS D’ELECTIONS PUIS RÉINTÉGRÉS
Le 18 avril, le Haut Conseil électoral (YSK) a déclaré inéligibles sept candidats soutenus par le parti pro-kurde (Parti pour la paix et la démocratie, BDP) pour les législatives qui auront lieu le 12 juin en Turquie. Le Haut Conseil a motivé son interdiction en arguant du « manque de documents officiels requis pour participer aux élections » et des condamnations de plusieurs candidats pour « activités terroristes ou liens avec le PKK ».
Parmi les sept politiciens écartés, figurent deux députés et Leyla Zana, élue députée en 1991, qui avait bravé l'interdiction de parler le kurde en s'exprimant dans la langue de son peuple lors de sa prestation de serment au Parlement, ce qui lui avait valu de passer dix ans en prison, de 1994 à 2004. «C'est un grave coup porté contre la démocratie, déjà faible», a immédiatement dénoncé Selahattin Demirtas, coprésident du BDP. L'éviction des représentants kurdes pourrait conduire à un boycott des élections. » Mais Selattin Demirtas a ajouté que « toutes les options étaient envisagées, y compris un retrait de tous les candidats présentés par sa formation mais sur des listes indépendantes. »
Fait notable, cette décision de la Haute Cour a été condamnée par la majorité des partis politiques turcs, en raison des réactions parmi la population kurde, qui pourraient ensanglanter la campagne électorale. Même Mehmet Ali Sahin, président de l'Assemblée nationale et membre du parti au pouvoir, l'AKP l'a critiquée: «Cette décision affaiblit la mission du Parlement.» La décision des autorités électorales a aussitôt provoqué de violents affrontements au Kurdistan de Turquie, où environ 4000 manifestants ont lancé des pierres contre la police anti-émeute, qui a riposté avec des bombes lacrymogènes et des canons à eau, et fait usage de matraques.
Mais le 20 avril, la police aurait tiré à balles réelles, faisant une victime à Bismil, dans la banlieue de Diyarbakir, en plus de deux autres blessés. Une autre manifestation similaire a eu lieu à Van, causant plusieurs blessés et un sit-in a été organisé à Istanbul sur la place de Taksim. Environ 3.000 personnes y étaient rassemblées. Ils ont immédiatement été encerclés par des centaines de policiers anti-émeutes. Des heurts sont survenus alors que la foule marchait vers des tentes dressées par le BDP dans le quartier voisin d’Aksaray. Des groupes de jeunes ont alors attaqué des stations de métro, des bâtiments scolaires et un bureau de poste, à coups de pierres et de coktails Molotov (source AFP). Les jeunes ont également pris pour cibles des bus, des voitures, des véhicules de pompiers et des journalistes. Les forces de sécurité ont réagi en faisant usage de grenades lacrymogènes.
Le 21 avril avaient lieu les obsèques du manifestant tué, Ibrahim Oruç, âgé de 21 ans. Surveillé par des centaines de policiers d'unités anti-émeute, un cortège de manifestants a suivi le cercueil, lors du trajet qui ramenait le défunt de l’hôpital de Diyarbakir à Bismil, alors que des jeunes manifestants kurdes masqués criaient vengeance, et que d’autres participants scandaient des slogans en faveur des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Selon l’AFP, qui a pu obtenir une copie du rapport d'autopsie, le jeune homme a été tué par une balle qui a pénétré par le bras gauche et est ressortie par la poitrine, sans que la provenance des tirs soit indiquée. Mais un témoin des affrontements a déclaré à cette même agence que la police avait ouvert le feu sur les manifestants, d'abord avec des balles en plastiques, puis à balles réelles.
En tout, 160 personnes ont été arrêtées à Diyarbakir, et 70 cocktails Molotov et 50 petites bombes artisanales auraient été saisis selon l’agence gouvernementale Anatolie. À Istanbul, deux bombes artisanales ont explosé tôt, le 21, sans faire de victimes, devant un local du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir. Jouant la carte de l’apaisement, le président Abdullah Gül a alors appelé le Haut Conseil à revenir sur sa décision, en ne mentionnant que la question des documents administratifs nécessaires à la candidature, sans aborder la question des « liens avec une organisation terroriste » : « Il apparaît que les documents (des candidats éconduits) étaient incomplets. Comme ils les ont maintenant complétés, il ne devrait pas y avoir de problème ».
Finalement, le Haut Conseil électoral est revenu sur sa décision, expliquant dans un communiqué laconique, que de « nouveaux documents judiciaires » avaient été présentés durant la période de l'appel ». Oubliant soudain, eux aussi, la question des liens politiques avec le PKK, les magistrats turcs ont donc réintégré les 7 candidats kurdes après une délibération de plus de 8 heures. Peu après cette annonce, des rassemblements en nombre réduit et pacifiques, cette fois, ont eu lieu à Diyarbakir pour célébrer cette « victoire de la rue kurde ». À Istanbul, des sympathisants ou membres du BDP ont tenté, le vendredi 22, de bloquer la circulation d’un des deux ponts traversant le détroit du Bosphore, mais la police les a dispersés. Contrairement au président Gül, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan n’a commenté que le « vandalisme » à l’œuvre dans les provinces kurdes, et a accusé le BDP d'être à l’origine des manifestations et des jets de cocktails Molotov lancés par de jeunes Kurdes.
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