lundi, février 09, 2009

Présent et devenir des chrétiens d'Irak






Présent et devenir des chrétiens d'Irak
Les raisons d'une Espérance


Témoignage de Monseigneur Rabban, évêque d'Erbil, capitale du Kurdistan irakien
Conférence donnée au Collège des Bernardins
le lundi 9 février 2009





Conférence de 19h à 21 h, salle agréablement remplie au regard de l'austérité du sujet. Fulvia Alberti, qui était à l'origine du reportage tourné pour le Jour du Seigneur sert d'interlocutrice principale, c'est-à-dire qu'elle essaie de temps à autre de placer une question et monseigneur répond longuement, et largement et pour finir dit ce qu'il a à dire, lui, et qui s'en plaindrait ?


(Mes notes ont été prises à la va-vite et à la main et donc seront parfois des citations directes parfois un condensé de ce qui a été dit, et parfois ce que j'ai compris et les commentaires que ça m'inspire. Un bloc-notes informel, en quelque sorte, peut-être un peu brouillon, mais les conférences les plus vivantes sont les plus difficiles à retranscrire texto. ).

Tout commence par un cours d'histoire-géo "les chrétiens et le Moyen-Orient pour les Nuls" afin de bien situer l'espace temps des chrétiens et des Kurdes d''Irak, devant une carte projetée de la région. C'est, je crois, une bonne idée, car tous les Français n'ont pas une idée bien exacte du Kurdistan, je peux en témoigner :

A la question "D'où viennent les chrétiens d'Irak et quelles sont les raisons de l'exode ?", devant la carte de l'Irak monseigneur Rabban commence donc par faire un topo pour localiser tout ce monde. Il rappelle aux cancres les pays qui entourent l'Irak, plus ou moins directement, "le Koweit, la Syrie, la Turquie, l'Iran, la Jordanie et ici c'est l'Arabie saoudite, tous ces pays-là côtoient le Kurdistan irakien." Puis s'ensuit la présentation du Kurdistan d'Irak et des principales villes : " Duhok, Amadiyya, là c'est mon village, là c'est Sheikhan, Mossoul, Kirkouk, Suleïmanieh, et voici Erbil qui est la capitale fédérée du Kurdistan irakien".

Passons aux trois diocèses de la Région : Zakho (tenu par monseigneur Patros), Amadiyya, tenu par monseigneur Rabban et Erbil tenu aussi par monseigneur Rabban depuis 2005, après la mort du précédent évêque, "et ainsi je suis entre les deux diocèses, ce qui fait que j'ai plus de 1000 kilomètres de trajet, de villages en villages."

Les exodes passés des chrétiens d'Irak :
En octobre 2008, 2700 familles ont été obligées de s'enfuir et ont quitté la ville. A Bagdad, il reste encore 350 000 chrétiens. Avant les années 70, dans tout l'Irak, on en comptait 900 000. Aujourd'hui, la majorité d'entre eux se trouvent en Amérique, en Australie, en Europe. Beaucoup d'autres attendent depuis quelques années dans des capitales arabes voisines. Ainsi, à Alep, depuis 4, 5 ans, il y a eu un afflux de 50 000 réfugiés chaldéens, qui attendent d'être acceptés (ou non) par un pays, par les Nations Unies.

Mais l'exode n'a pas commencé en 2003. "Avant cela, tous les villages, dès 1961-1962, dans les zones qui échappaient au contrôle du gouvernement (le Kurdistan était en opposition avec Baghdad dès la chute de la monarchie) ont été vidés et les gens déplacés dans des "villages collectifs". Dans mon village, ils ont été ainsi forcés de quitter leurs maisons et leurs terres, et ils ont protesté contre l'éparpillement des familles, dans les "collectivités", le père là, le fils ailleurs, par exemple."


A Mossoul, les chrétiens ont souffert, comme les Kurdes, dans les années 1980, sous Saddam, avec la guerre Iran-Irak, qui a fait que plus d'un million et demi d'Irakiens ont été tués ou mutilés, ou ont fui pour ne pas être enrôlés. Aussi, même parmi les chrétiens, c'est surtout la jeunesse qui est partie. Tous ces jeunes qui refusaient de partir au massacre sur le front ont passé la frontière en Iran et de là ont tenté leur chance pour gagner l'Europe en partie et majoritairement l'Amérique et l'Australie. Avant, tous les Irakiens vivaient dans une grande prison appelée Irak. Mis à part une élite, ils ne pouvaient voyager. Le service militaire durait 10, 15, 20 ans. Ou bien les soldats restaient prisonniers en Iran, ou ne rentraient pas.

En parallèle, il y a eu la guerre et l'Anfal déclenchés au Kurdistan d'Irak par le gouvernement central, qui a touché les Kurdes, musulmans et yézidis, et aussi les chrétiens. Tout cela a entrainé une migration forcée à Mossoul, Bagdad ou à l'étranger. 80% des chrétiens du Kurdistan irakien ont été forcés de partir, ainsi que beaucoup de Kurdes. Même au sud de la Turquie, les Chaldéens ont émigré et ainsi ils forment une communauté en France, à Sarcelles, Lyon ou Marseille. Aujourd'hui, le mouvement s'inverse.

Après la fin de la guerre Iran-Irak, le 8 octobre 1988, les Chaldéens qui avaient fui en Turquie n'ont pas été compris dans l'amnistie des déserteurs. Saddam décimait les villages et en a massacré un grand nombre quand ils revenaient, tandis que les Kurdes étaient déportés de force dans les "Collectivité" (zones concentrationnaires autour des grandes villes comme Kirkouk ou Mossoul). "Petits et grands, femmes, hommes, tous ont été massacrés. On trouve encore aujourd'hui leurs ossements dans des charniers. Plus de 4500 villages ont été rasés, 200 000 Kurdes et chrétiens ont été tués ou déportés au sud de l'Irak. Dans la région de Barzan, 8000 personnes ont été tuées (en 1983, bien avant l'Anfal) et rien que dans la famille de notre président Barzani, 37 personnes." A Mossoul, 5000 chrétiens ont été déplacés de force dans la plaine de Ninive, à Al Qosh, Qara Qosh, Hamdanieh, etc.

Ici interruption de Fulvia Alberti qui se doute que pour le public il vaut mieux préciser de quel président il s'agit : "Quand vous dites président, il s'agit du président du Kurdistan ?"






Haussement de sourcils et mise au point en détachant fermement et clairement les mots en accentuant les points-clefs : "Il s'agit du président fédéral du Kurdistan, Barzani. Mais n'oublions pas que le président de l'Irak est lui aussi un Kurde, Jalal Talabani."

Après cette interruption, on reprend le fil :

Aussi, tout ce passé est cause pour nous tous de grandes difficultés pour faire revenir une deuxième fois ces villageois dans leurs villages, surtout sur la frontière, aussi à cause de la situation des Kurdes qui sont hors du Kurdistan d'Irak, en Turquie, et des bombardements dans cette région, tout cela les empêche de revenir. Mais des maisons ont été reconstruites dès 2003, et puis 2004, 2005, sur toute une ceinture de villages reconstruits pour les chrétiens, aidés par le Gouvernement régional du Kurdistan et Barzani, et aussi le ministre Sarkis Aghajan Mamendu (un chrétien assyrien). Il y a eu des formes d'accords passés avec les diocèses pour les financements, pour qu'ils donnent asile, et aussi qu'ils aident des médecins, des professeurs à trouver un travail à Erbil, Shaqlawa, Duhok, Suleïmanieh. "A Suleïmanieh, où j'étais il y a un mois, il y a même des Coptes qui ont été installés, ils ont émigré et ont trouvé plus de tranquillité. Le Kurdistan est donc un modèle de paix et de fraternité pour toute la Région.

Dans le village de Tell, dans mon diocèse, 70 maisons ont été construites. Les chrétiens l'avaient déserté depuis 40 ans. Lors d'une visite au président Barzani, celui-ci leur a promis que s'ils rentraient, ils pourraient se réinstaller en paix. Dans beaucoup d'autres régions, on reconstruit les villages, mais aussi de petites églises : sur le Khabour, le long du Tigre, etc."

L'exode actuel :

"La chute de Saddam a été comme ôter un couvercle de dessus une casserole, où bouillaient tous les fanatismes, et aussi a fait venir beaucoup d'éléments des pays frontaliers qui sont venus combattre les Américains. A Basra, il n'y a plus que 1500 chrétiens et un prêtre. Avant, ils étaient plus de 8000. On les empêche, par des mesures d'interdictions ou d'intimidations, de tenir boutiques, surtout les boutiques de boissons alcoolisés ou de coiffeurs. Bien sûr, ces mesures sont nouvelles en Irak, elles ne viennent pas de la mentalité irakienne, elles sont importées de l'étranger."



A Mossoul, le fanatisme était plus élaboré et plus préparé par un esprit antérieur, mais qui ne pouvait pas ouvertement se manifester. Après 2003, sans police, sans armée, il y a eu des rapts, des meurtres, pas seulement contre les chrétiens. L'exode a donc commencé à Mossoul dès 2003, et pas en 2008. Plus de 1800 Kurdes civils, qui y vivaient depuis 60, 70 ans, ont été tués. Toutes ces victimes, chrétiens et Kurdes, ont la cible des étrangers qui dominaient Mossoul dans un esprit de fanatisme religieux. En plus des meurtres (plus de 350 chrétiens) en 2008, les menaces ont fait que près de 2700 chrétiens ont fui Mossoul pour Al-Qosh, qui est ainsi passé, en population, de 10 000 à 35 000 Chaldéens.
Monseigneur Rabban rappelle aussi que le 13 février sera l'anniversaire du martyre de l'archevêque de Mossoul, monseigneur Paul Faraj Raho, enlevé et assassiné l'année dernière. "Ainsi, malgré des signes d'ordre et de paix, des cellules fanatiques exigent, par exemple, la conversion à l'islam des chrétiens ou qu'ils paient la taxe de la dhimmiya. "Et cela se passait aussi dès avant la chute de Saddam. Des papiers étaient envoyés aux chrétiens et même aux prêtres pour qu'ils se convertissent." Et puis des voyous, des prisonniers de droit commun ont été relâchés par Saddam en 2003 et ont participé au chaos.



Les chrétiens dans la Région du Kurdistan :

A partir de 1991, une zone de paix a été instaurée avec la No-Fly Zone au nord du 36° parallèle et dans les trois provinces autonomes, notamment grâce à l'action de la France. Beaucoup de villes et de villages ont été alors reconstruits, grâce à des ONG, dont Mission Enfances. Les Kurdes déplacés, les soldats déserteurs, ont pu rentrer chez eux aussi. Aussi, le climat a été bien différent, et en 2003 il régnait une paix durable dans le Gouvernement régional du Kurdistan.

A Ankawa, quartier à 98% chrétien, 30 000 personnes venues d'Irak sont ainsi venues vivre en s'ajoutant aux autochtones. Ils s'y installent, y travaillent, apprennent la langue kurde et surtout réapprennent la forme vernaculaire de l'araméen, le sureth. "C'est donc aussi un renouveau de la langue syriaque."

Enchaînant sur le renouveau du syriaque, Fulvia Alberti l'interroge sur sa grande oeuvre, son lycée mixte et multi-religieux à Duhok :

"Pour moi, c'est une des choses les plus importantes pour aller contre cette intolérance. En 1992 (dans la zone autonome kurde) il y a eu soudain la possibilité d'étudier en kurde, en arabe ou en araméen. Mais ce que je n'accepte pas, personnellement, c'est que les écoliers soient séparés les uns des autres, pour étudier chacun en leur langue. Moi, j'ai étudié côte à côte avec des Kurdes, des Arabes. Mais s'ils étudient chacun dans leurs écoles, les chrétiens ne connaitront pas de Kurdes jusqu'à leur entrée au lycée, ils ne verront que des chrétiens. De même les Kurdes doivent connaître leurs frères chrétiens et yézidis. Aussi, j'ai eu l'idée, dès 1998-1999, avec Edouard Lagourgue de Mission Enfances, d'une école qui a ouvert en 2002. Une école pour tous, chrétiens, Kurdes, Arabes, yézidis. Comme évêque et comme chrétien, je me suis décidé, avec le ministre de l'Education, à éliminer les programmes (les manuels scolaires du Baath) basés sur le fanatisme, l'histoire uniquement centrée sur les Arabes, et aussi qu'il n'y ait pas d'enseignement religieux, quel qu'il soit. Nous voulions aussi faire la promotion de la francophonie, qui maintenant va s'installer à Erbil aussi, mais nous étions des pionniers, même si nous n'avons reçu aucune aide de la Francophonie !

La majorité des étudiants sont des Kurdes, qui étudient aussi l'araméen ancien, l'araméen littéraire. Ainsi, parfois, je pose des questions de grammaire sur l'araméen ancien à mes prêtres auxquelles ils ne savent pas toujours répondre, ayant un peu oublié depuis le séminaire, alors que mes étudiants lisent et écrivent très bien l'araméen ! L'une de mes étudiantes était la première de l'école en araméen et son père, un mollah, est venu me dire combien il était fier que sa fille ait été la première parmi ceux qui étudiaient l'araméen.

Le Kurdistan doit devenir une oasis et un modèle de paix, disait monseigneur Raphaël Bidawid, mon prédécesseur à Amadiyya. Et aujourd'hui, les ministres irakiens arabes appellent tous les Irakiens à vivre cette tolérance et le respect des religions, des langues, et de l'Autre. Cette école est une réponse : Il faut connaître l'Autre et sa langue. Rappelons aussi que le fanatisme n'est pas toujours celui du terrorisme, il y a aussi le fanatisme du Bien.



Conclusion
:

"Aujourd'hui, ce que je vis au Kurdistan, c'est mon christianisme. Nous devons aimer notre pays, là où nous vivons. Nous devons rester, ne pas sacrifier toute une histoire, une civilisation de plus de 2000 ans et même d'avant, en Mésopotamie, pour être attirés en Europe, par ce que montrent les media, et ainsi perdre ce que nous sommes. Celui qui n'est pas fidèle à son pays n'est pas pour un autre pays. Il faut avoir le courage de reconstruire, malgré la souffrance. Pour avoir la démocratie, il faut que du sang soit versé, il faut patienter. Celui qui ne respecte pas son chez soi ne sera pas respecté. Les chrétiens ne sont pas obligés de baisser les bras et il faut refuser ce regard sur nous, qui dit toujours : "Ah, les pauvres chrétiens !" Il y a une fierté, une virilité chrétienne. Les chrétiens doivent vivre avec les autres pour faire ensemble l'Irak.

Aussi, il faut faire pression sur le gouvernement de Bagdad pour qu'il fasse une constitution juste pour les droits des minorités, des Kurdistanî. Ainsi, le président Barzanî a promis que toutes les lacunes qui existent dans la constitution irakienne seront comblées dans la constitution de la Région du Kurdistan (en cours d'élaboration et de vote).

Et moi je crois que la présence du christianisme au Kurdistan sera le lien avec l'Autre Lumière, éblouissante."

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