TURQUIE : ENQUÊTE SUR DES CHARNIERS A SIRNAK
Une autre enquête a été ouverte dans la province de Şırnak sur l’existence de charniers, appelés « fosses de la mort », contenant les corps de près d’une centaine de civils qui auraient été tués par la gendarmerie dans les années 1990. L’existence de ces fosses communes était soupçonnée depuis longtemps par les Kurdes de la région, dont beaucoup ont perdu des proches dont on n’a jamais retrouvé les corps. Ces assassinats sont imputés au JITEM, un corps de gendarmerie clandestin créé à la fin des années 1980, affecté à la lutte contre le PKK et le « séparatisme kurde » et dont les exactions et la terreur qu’il a fait régner au Kurdistan sont de notoriété publique.
Le JITEM est accusé de nombreux enlèvements et exécutions sommaires, et d’avoir fait disparaître les corps, notamment dans de l’acide, ou bien en les brûlant ou les enterrant dans des charniers secrets. Jusqu’ici, l’Etat turc niait jusqu’à l’existence du JITEM et l’ouverture d’une telle enquête montre un changement dans l’opinion publique en Turquie. Les crimes du JITEM ont été confirmés par des anciens membres des forces turques, arrêtés lors des coups de filet dirigés contre le réseau Ergenekon, par exemple Abdülkadir Aygan, qui appartenait au JITEM ou Tuncay Güney, acteur majeur d’Ergenekon. L’association des avocats de Şırnak Bar a porté plainte après les déclarations de Tuncay Güney à la police, faisant état précisément de ces corps brûlés à l’acide ou enterrés.
Emin Aktar, président de l’association du Barreau de Diyarbakir est aussi d’avis que cette période sombre du Kurdistan de Turquie doit absolument faire l’objet d’une sérieuse enquête judiciaire et que les corps retrouvés doivent être examinés par des médecins légistes, notamment pour les identifier, notamment au moyen de leur ADN. Dès le mois de janvier 2009, le bureau du procureur de Silopi a autorisé la tenue d’une enquête.
En parallèle à cette affaire, depuis le 9 février, un des principaux survivants de l’accident (et du scandale) de Susurluk, l’ancien chef de la police et ancien ministre de l’Intérieur Mehmet Ağar, passe enfin en jugement, 13 ans après l’accident de voiture qui avait mis en lumière les liens étroits entre la mafia turque, les services spéciaux de sécurité à l’œuvre au Kurdistan de Turquie et l’extrême droite. Le 3 novembre 1996, en effet, à Bursa, une voiture qui transportait Abdullah Catlı, un militant ultra-nationaliste, et sa compagne, Hüseyin Kocadağ, chef de la police, Mehmet Ağar et Sedat Edip Bucak, tous deux députés du Doğru Yol Partisi, le parti du président Süleyman Demirel, heurte un camion. Les trois premiers passagers furent tués, les autres blessés. Ce scandale fut rapidement relayé par la presse turque et l’opinion publique réagit alors vivement, notamment en organisant dans les grandes villes un black-out quotidien en éteignant les lumières tous les soirs à 21 heures. On a commencé alors à parler ouvertement « d’Etat profond » et Mehmet Ağar dut démissionner de son poste ministériel. Mais en tant que député il bénéficiera d’une immunité parlementaire qui lui a évité, jusqu’à ce jour, d’être traduit en justice, en se faisant réélire 13 années durant. Cependant les élections législatives anticipées de 2007 furent désastreuses pour son parti actuel, le DP (une unification du DYP et de l’ancien ANAP) qui n’a pu franchir la barre des 5% nécessaires pour entrer au parlement. Mehmet Ağar comparait donc devant la justice, accusé d’avoir couvert, dans les années 1990, les activités des sections spéciales et clandestines de la police turque, notamment de nombreux assassinats dans les régions kurdes. Il plaide non coupable et nie que Sedat Bucak, l’autre député qui a réchappé à l’accident, ou bien ses anciens collaborateurs Korkut Eken ou Ibrahim Şahin, compromis eux aussi dans le scandale, soient également impliqués dans les milliers de meurtres dans le Sud-Est. Il est à noter qu’Ibrahim Şahin vient tout juste d’être arrêté dans le cadre de l’affaire Ergenekon, et que tous sont liés au JITEM et à ses exactions qui ont terrorisé les régions kurdes dans les années 1990.
Commentaires
Enregistrer un commentaire