Le pétrole kurde, les chiites et les Turcs
Depuis plusieurs semaines une nouvelle loi se prépare sur la gestion des ressources pétrolières (et leur partage) en Irak, afin de réviser les dispositions prévues par la Constitution votée en janvier 2005. S'inspirant peut-être de l'exemple de la Région du Kurdistan, les Irakiens, qui ont désespérément besoin de fonds, souhaitent attirer les investissements étrangers sur leur sol. L'ennui est qu'investir dans des régions extrêmements dangereuses n'a rien d'emballant pour les sociétés étrangères, aussi l'Irax paraît décidé à mettre le paquet pour les attirer (on parle de 70% des revenus qui iraient aux compagnies).
Opposés à cette loi - ou extrêmement méfiants - les Kurdes voudraient garder et voir enfin appliquer les dispositions initialement prévues, à savoir que les revenus des puits de pétrole existant aillent entièrement à Bagdad, eux se réservant les profits des puits découverts après 2005. A vrai dire, le pétrole de Kirkouk s'épuisant, puisque c'est l'un des plus anciennement exploités, il est dans l'intérêt du Kurdistan de découvrir de nouveaux gisements.
A l'inverse, le Premier Ministre chiite Nouri al-Maliki tient beaucoup à faire passer cette nouvelle loi, ainsi que Georges Bush qui répète depuis longtemps qu'il faudrait que le pétrole irakien "profite à tous les Irakiens", voulant sans doute éviter une trop grande indépendance économique des Kurdes, qui est aussi un des cauchemars de la Turquie. Mais en raison de cette opposition kurde la loi pour le moment a du mal à passer, le porte-parole du ministère du Pétrole faisant état pudiquement de "divergences" entre certains groupes parlementaires, espérant malgré tout que la loi soit votée au plus tard le 10 février.
Les chiites ont-ils intérêt à réviser les dispositions de la Constitution, même s'ils en bénéficient aussi ? Leur majorité politique en Irak et leur espoir de récupérer Bagdad et le contrôle de tout le pays (arabe) peuvent expliquer qu'ils jouent en ce moment la carte du "centralisme". D'un autre côté, les Kurdes sont courtisés soudainement par as-Sadr, qui a envoyé récemment une délégation au Kurdistan et parle d'"alliance", toujours au nom de l'unité nationale bien sûr. As-Sadr, d'abord rallié à al-Maliki, a boycotté deux mois le Parlement irakien en raison d'un désaccord avec le Premier Ministre sur la présence des troupes US en Irak (et comme l'armée américaine vient de lui tuer près de 300 miliciens, il n'est pas près de changer d'avis). Une alliance entre Baha al-Aradji et l'Alliance kurde semble au premier abord très surprenant au vu du fossé politique, religieux et même historique entre les deux groupes, mais les deux espèrent sans doute faire réfléchir al-Maliki afin d'infléchir ses positions d'un côté sur la place d'as-Sadr par les chiites et de l'autre sur cette loi pétrolière et les relations turco-irakienne.
De ce côté-là, ça ne s'arrange pas, la question du pétrole kurde, comme celle de Kirkouk finissant par empoisonner les relations entre Ankara et Bagdad. Ainsi la compagnie nationale pétrolière irakienne SOMO vient tout juste de notifier aux sociétés turques que dorénavant elles devront traiter avec le Gouvernement régional du Kurdistan pour le renouvellement des contrats concernant le transport des produits pétroliers. Inutile de dire que les officiels turcs s'étouffent, (les sociétés turques ayant sans doute plus l'habitude, sur le terrain de traiter de facto avec Hewlêr). Le Ministre d'Etat Kurshat Tüzmen parle ainsi d'une "étrange lettre" de la part de SOMO aux sociétés turques et se plaint assez comiquement que SOMO fassent les morts et ne répondent même pas au téléphone.
Concernant le statut de Kirkouk, le 27 janvier, le Département d'Etat des USA a réitéré son soutien au référendum de Kirkouk et insisté sur un règlement de la question par et dans la légalité des institutions irakiennes, ce qui est encore un camouflet pour les "interventionnistes" turcs mais aussi sans doute un soulagement pour les milieux politiques et économiques turcs qui s'y opposent, voire pour les militaires.
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