Dol ou la Vallée des Tambours
Dol est pour résumer le parcours d'un Kurde de Turquie, dans une région qui doit être celle de Hakkarî ou pas loin... Mal vu des militaires turcs en poste dans son village, et provoqué par un nouveau gradé imbécile, qui vient perturber son mariage, Azad, plus frondeur que réellement politisé tire sur le commandant et s'enfuit au Kurdistan d'Irak. De là, il poursuit sa route au Kurdistan d'Iran avant de revenir dans son village chercher sa fiancée.
La meilleure partie est celle du début, au village occupé par les Turcs. Je dis bien "occupé", car la présence de ces soldats qui se sentent étrangers au milieu de ces gens qui pour eux sont des "arriérés", des non-Turcs, dans une contrée où 'il n'y a même pas un bar" et où les soldats vivent sous la menace d'une attaque du PKK, est bien celle d'une occupation coloniale, avec les mots d'ordre mécaniques faussement confiants des soldats, mains crispées sur leur fusil, face aux montagnes où "il n'y a que des trafiquants et des séparatistes et cela fait 80 ans que la Turquie fait face à cela mais cette fois-ci, c'est la bonne, on va résoudre le problème" répète un troufion, comme à chaque printemps sans doute.
Le plus finement exposé sont les désillusions lucides de certains militaires, parmi les plus anciennement en place, qui savent que c'est perdu, que la guerre ne réglera rien, qui le répètent, comme j'ai moi même entendu au Kurdistan des policiers dire, à Silvan ou Hisn Kayfâ : "Ici, ce n'est pas la Turquie, c'est le Kurdistan", d'un ton blasé. Tracasseries, brimades, répression et torture à chaque attaque du PKK, la vie ordinaire, quoi. La montagne peinte du fameux "Heureux qui se dit Turc" revient comme un leitmotiv ironique.
La meilleure partie est celle du début, au village occupé par les Turcs. Je dis bien "occupé", car la présence de ces soldats qui se sentent étrangers au milieu de ces gens qui pour eux sont des "arriérés", des non-Turcs, dans une contrée où 'il n'y a même pas un bar" et où les soldats vivent sous la menace d'une attaque du PKK, est bien celle d'une occupation coloniale, avec les mots d'ordre mécaniques faussement confiants des soldats, mains crispées sur leur fusil, face aux montagnes où "il n'y a que des trafiquants et des séparatistes et cela fait 80 ans que la Turquie fait face à cela mais cette fois-ci, c'est la bonne, on va résoudre le problème" répète un troufion, comme à chaque printemps sans doute.
Le plus finement exposé sont les désillusions lucides de certains militaires, parmi les plus anciennement en place, qui savent que c'est perdu, que la guerre ne réglera rien, qui le répètent, comme j'ai moi même entendu au Kurdistan des policiers dire, à Silvan ou Hisn Kayfâ : "Ici, ce n'est pas la Turquie, c'est le Kurdistan", d'un ton blasé. Tracasseries, brimades, répression et torture à chaque attaque du PKK, la vie ordinaire, quoi. La montagne peinte du fameux "Heureux qui se dit Turc" revient comme un leitmotiv ironique.
L'arrivée d'un nouveau commandant en poste n'arrange pas les choses. Il y a sans doute dans l'armée turque, comme dans toute autre dans cette situation ce décalage entre les nouveaux venus imbus de propagande, persuadés que tout est une question de force et ceux qui jouent intelligemment la politique de la conciliation locale, en évitant de trop envenimer les tensions. La scène des noces ratées est une des plus drôles, avec le chanteur Ciwan Haco en stranbêj de village, qui chante en kurde. C'est alors que les deux gradés turcs s'invitent à la noce, enfin le "faucon" est trainé là par la "colombe," et fait remarquer en fureur que les chansons ne sont pas en langue turque. Grand sourire du chanteur : "Vous préférez l'anglais ?" et voilà Haco se lançant dans une désopilante bouillie vocale vaguement anglaise.
Disons le tout de suite, ce sont les seuls bons moments du film. Parce qu'après on sombre dans un ennui consterné. Déjà la première noce avait quelque chose d'étrange, avec tous les invités rivés sur leurs chaises, sans aucune danse (non mais vous avez déjà vu des Kurdes ne pas danser à une noce ? Il n'y a qu'aux enterrements qu'ils se retiennent !). Mais quand on passe au Kurdistan d'Irak ça commence à être vraiment catastrophique. Pourtant les Kurdes du sud le disent bien : "Ici ça se reconstruit de partout. Mais à chaque coup de pelle on tombe sur une fosse commune. Pourtant on est bien, on est libre." Eh bien c'est la seule parole gaie du film, sinon il faut y croire... Toute la peinture des villageois, des rescapés du génocide, des jeunes, est passée à la moulinette d'une mise en scène prétentieuse et glacée, qui fait irrésistiblement penser à ces pièces de théâtre subventionnées où pendant trois heures, les acteurs restent plantés sur scène comme des piquets, ou s'assoient face au public, sans un mot. Car c'est en gros l'essentiel de l'action : des Kurdes assis - à l'occidentale ! - qui se regardent dans le blanc des yeux, en silence, que ce soit dans le mîwanxane ou en plein air. J'aimerais bien savoir dans quel village les gundî prennent le frais sur nos chaises à bistro, mais bon c'était sûrement pour pas abîmer les costumes (européens). Même les sketchs parodiant les retrouvailles usuelles des Kurdes - et Machin comment il va ? - Bien. - et le cousin d'Untel ? - Il va bien. - et la tante trucmuche ? - Elle est morte il y a deux ans. Mais je crois qu'elle va bien aussi. Même ce genre de dialogue est figé dans la glace, tant les acteurs ont l'air totalement inhibé, marionnettes entre les mains du metteur en scène qui a décidé sans doute de donner dans le symbolisme, l'allégorie.Du coup ces Kurdes ont l'air de tout sauf de Kurdes. On se prend à rêver de ce qu'un Bahman Ghobadi ferait avec ça.
On voit bien que le parti pris est esthétisant, théâtral. Ainsi, quand trois personnages se taisent et se plongent dans leurs pensées, ils se lèvent de table et chacun se retire dans un angle, nous tourne le dos et reste là sans bouger. Ou bien emmène sa chaise et se plante en pleine nature pour bien que tout le monde comprenne qu'il médite (il faut dire que les chaises jouent un rôle aussi important que les acteurs et je serais méchante que j'ajouterais "et sont même plus animées"). Or, ce qui marchait très bien dans Vodka Lemon là ne fonctionne pas du tout. Il n'y a plus la poésie, l'humanité des vieux Kurdes arméniens, tout est plat. Même la scène de l'exhumation et de l'enterrement du squelette ne dégage aucune émotion (là encore comparons avec la scène puissante des Chants du pays de ma mère).
Le héros Azad, qui doit s'ennuyer autant que nous sur place, décide finalement "de ne pas être une charge" à ses hôtes et de partir. Soit dit en passant, ça doit être le seul Kurde de Turquie à ne pas trouver de travail au Kurdistan du sud, mais bon... Il suit une fille qui vit dans un camp du PDKI (je suppose que c'est le PDKI et non le PKK puisque les peshmergas ont des relations amoureuses sans être exécutés par le Parti, se marient sans avoir besoin de s'enfuir et font l'école aux enfants en kurde et non en turc). Là, dans les montagnes du Kurdistan d'Iran, à 10 km de la Turquie et 3 km de l'Irak, un suspens amoureux à peine amorcé retombe très vite, puis un deuxième mariage survient (tout aussi manqué) en pleine montagne, et toujours sur des chaises, même dans la guérilla ils ont des chaises à bistros.. Puis Azad décide de retourner chercher sa fiancée et repart en Turquie
Et arrivée là, je dois avouer que j'ai eu une bouffée de soulagement quand j'ai vu que ça finissait très vite et très mal : "Au moins on va nous épargner le Kurdistan de Syrie, ses chaises à bistro et ses mariages sans danse."
Fin hâtive et bâclée : les clins d'oeil qui au début du film ne s'appesantissaient pas, là en deviennent lourdingues : Ne Mutlu turküm diyene, ok on a compris, le militaire à lunettes qui ne sait que répéter en se tournant vers le spectateur : "ça ne va pas se résoudre comme ça", la troisième noce "rythmée" au daf et au revolver, tout ça est lourd, très lourd... Même le gag du ballon, rappelant par ailleurs celui d'Intervention divine, pèse des tonnes. C'est que dans le film d'Elia Suleyman, il y avait un double sens plus subtil : la baudruche Arafat qui épouvantait les Israéliens, c'était une façon d'ironiser sur les deux camps. Là ça n'arrache à la fin qu'un soupir exaspéré : "Ouii.... on a compriiis...."
Bref, pour qui ne connaît pas les Kurdes, leur drôlerie, leur vitalité, leur goût de l'exagération (rien de plus anti-minimalistes) mieux vaut éviter de voir ce film pour aller les découvrir. Les autres peuvent toujours tenter le coup, car ce n'est pas très long (1h30).
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