Les peuples sans Etat n'ont pas d'histoire
Extrait d'un commentaire furieux et indigné dans le Livre d'or.
"on parle d'histoire quand il y a une chronologie.
On parle d'histoire quand il y a un pays."
La première chose qui vient à l'esprit est "espèce de dinde, si les Kurdes sont sans Etat, ce n'est pas faute de l'avoir réclamé."
Mais dans ce genre d'exposition, même les remarques les plus ineptes peuvent être matière à réflexion (et en plus ça fait passer le temps).
D'abord, la confusion entre "Etat" et "pays" est intéressante. Privés d'Etat, les Kurdes n'auraient pas de pays, ce qui est faux, ce n'est pas un peuple-diaspora. Mais dans certains esprits, le glissement se fait de façon automatique. Pas d'Etat = pas de pays = pas d'histoire. Bien^sûr que cela semble absurde. Est-ce qu'il n'y a pas eu d'histoire juive entre la chute du royaume des Hébreux et 1948 ? Est-ce que les Arméniens sont sans historie entre le Moyen-Age et les années 1920 ? De même les Palestiniens ?
Mais derrière le non-sens de cette affirmation, cela nous apprend beaucoup sur la condition du passé kurde, privé d'histoire officielle. De fait, jusqu'en 1991, aucun écolier kurde ne pouvait réciter "mes ancêtres les villageois de Jarmo"... jusqu'à son propre récit familial. Il y avait seulement l'histoire des autres peuples, ceux qui réprimaient la mémoire kurde. Or, ce n'est pas parce qu'une histoire n'est pas racontée qu'elle n'est pas racontable, ni que ses protagonistes n'existent pas. Mais c'est cette idée qui a été répétée continuellement devant les revendications kurdes.
Sur le reproche fait de l'absence de chronologie : c'est plus précisément l'absence de chronologie des pays impliqués contre l'histoire kurde qui est soulignée. Or c'est justement la chronologie kurde qui est ici mise en scène, et non l'histoire syrienne, irakienne, etc. Et cette chronologie kurde, il est vrai, est discontinue, non linéaire, ni exclusive à chaque "partie" du Kurdistan :
Les studios ottomans - Les voyageurs : 1880-1912 - Fin de la 1ère GM - Irak 1919-1931.
La République de Mahabad 1946 - L'URSS et l'exil 1946-1958 - Irak 1951-1963 - Turquie 1958-1963 - Irak 1965-1975
Iran 1979 - Anfal Irak 1988-1994- Turquie 1984-1999.
Mais comment en serait-il autrement ? Il suffit de regarder la biographie de Mustafa Barzani : Héros à Mahabad (et donc au Kurdistan d'Iran), figure des Kurdes soviétiques et pour finir chef de la résistance kurde en Irak...
L'histoire kurde est ainsi réassemblée à l'aide de photos, de témoignages, d'articles, comme ces mosaiques dont de larges pans manquent, et que nous devons reconstituer mentalement. La particularité est que ces pièces sont d'origines diverses, et ont été produites avec des intentions très différentes : notes scientifiques, travail de mémoire kurde, ou tentatives de détruire précisément cette histoire et ses sujets.
Oui, l'histoire kurde est dispersée, éclatée, hachée. Tenu la plupart du temps dans "l'ombre de l'histoire" le Kurdistan jaillit quelquefois en taches de lumière, le temps d'une révolte, d'un procès, d'une manifestation, d'un génocide. Et comme le conclut le catalogue : "Comme souvent, des bribes de documents, une photographie ici et là, une lettre, une carte postale, un télégramme, sont les traces périphériques de ce qui a façonnée une histoire réprimée ou détruite." Taches de lumière.
"on parle d'histoire quand il y a une chronologie.
On parle d'histoire quand il y a un pays."
La première chose qui vient à l'esprit est "espèce de dinde, si les Kurdes sont sans Etat, ce n'est pas faute de l'avoir réclamé."
Mais dans ce genre d'exposition, même les remarques les plus ineptes peuvent être matière à réflexion (et en plus ça fait passer le temps).
D'abord, la confusion entre "Etat" et "pays" est intéressante. Privés d'Etat, les Kurdes n'auraient pas de pays, ce qui est faux, ce n'est pas un peuple-diaspora. Mais dans certains esprits, le glissement se fait de façon automatique. Pas d'Etat = pas de pays = pas d'histoire. Bien^sûr que cela semble absurde. Est-ce qu'il n'y a pas eu d'histoire juive entre la chute du royaume des Hébreux et 1948 ? Est-ce que les Arméniens sont sans historie entre le Moyen-Age et les années 1920 ? De même les Palestiniens ?
Mais derrière le non-sens de cette affirmation, cela nous apprend beaucoup sur la condition du passé kurde, privé d'histoire officielle. De fait, jusqu'en 1991, aucun écolier kurde ne pouvait réciter "mes ancêtres les villageois de Jarmo"... jusqu'à son propre récit familial. Il y avait seulement l'histoire des autres peuples, ceux qui réprimaient la mémoire kurde. Or, ce n'est pas parce qu'une histoire n'est pas racontée qu'elle n'est pas racontable, ni que ses protagonistes n'existent pas. Mais c'est cette idée qui a été répétée continuellement devant les revendications kurdes.
Sur le reproche fait de l'absence de chronologie : c'est plus précisément l'absence de chronologie des pays impliqués contre l'histoire kurde qui est soulignée. Or c'est justement la chronologie kurde qui est ici mise en scène, et non l'histoire syrienne, irakienne, etc. Et cette chronologie kurde, il est vrai, est discontinue, non linéaire, ni exclusive à chaque "partie" du Kurdistan :
Les studios ottomans - Les voyageurs : 1880-1912 - Fin de la 1ère GM - Irak 1919-1931.
La République de Mahabad 1946 - L'URSS et l'exil 1946-1958 - Irak 1951-1963 - Turquie 1958-1963 - Irak 1965-1975
Iran 1979 - Anfal Irak 1988-1994- Turquie 1984-1999.
Mais comment en serait-il autrement ? Il suffit de regarder la biographie de Mustafa Barzani : Héros à Mahabad (et donc au Kurdistan d'Iran), figure des Kurdes soviétiques et pour finir chef de la résistance kurde en Irak...
L'histoire kurde est ainsi réassemblée à l'aide de photos, de témoignages, d'articles, comme ces mosaiques dont de larges pans manquent, et que nous devons reconstituer mentalement. La particularité est que ces pièces sont d'origines diverses, et ont été produites avec des intentions très différentes : notes scientifiques, travail de mémoire kurde, ou tentatives de détruire précisément cette histoire et ses sujets.
Oui, l'histoire kurde est dispersée, éclatée, hachée. Tenu la plupart du temps dans "l'ombre de l'histoire" le Kurdistan jaillit quelquefois en taches de lumière, le temps d'une révolte, d'un procès, d'une manifestation, d'un génocide. Et comme le conclut le catalogue : "Comme souvent, des bribes de documents, une photographie ici et là, une lettre, une carte postale, un télégramme, sont les traces périphériques de ce qui a façonnée une histoire réprimée ou détruite." Taches de lumière.
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