Conférence : Où va l'Irak ?


L'évêque d'Amadiyya parle en français, en kurde, en syriaque. Il dit combien il aime le mot Kurdistan, qui, pour lui, est comme un bouquet de fleurs diverses : "le Kurdistan doit être à l'image de ses montagnes au printemps, embellies par les fleurs de toutes les couleurs qui les recouvrent." Il dit qu'il aime le mot "Kurdistanais", même si l'Académie française n'en voudrait sans doute pas.

A une question sur la situation des chrétiens, ferme : "Surtout au Nord, il n'y a pas de peur pour les chrétiens. Il raconte que s'étant rendu dans une mosquée pour présenter ses condoléances un jour de deuil, Mela Ibrahim, fatigué de prêcher, lui demande de prendre le relais. Et que le jour de son intronisation, des musulmans (80% du cortège) l'escortaient en voiture pour le féliciter.

Sur l'ouverture d'un lycée français à Dohuk, où les matières scientifiques seraient enseignée en français au Secondaire, il attend toujours des aides de la Francophonie. POur le moment, c'est Monaco qui fait un geste.


Exrait de l'intervention de Mgr Rabban Al-Qas



Avant-hier j’ai appris la nouvelle que j’étais invité à participer à votre conférence pour parler de notre Irak et surtout de notre expérience au Kurdistan d’Irak.

Je vous remercie pour l’occasion que vous me donnez d’être parmi vous et de m’adresser à vous. C’est une joie pour moi et pour ceux que j’ai laissés en Irak. Je ne veux pas me concentrer sur le passé : voilà, c’est un fait, l’Irak d’aujourd’hui a changé.

La situation n’est plus la même et il ne faut surtout pas utiliser les idéologies politiques pour empêcher tout un peuple de se retrouver à nouveau sur ses pieds.

Il y a là tout un peuple. Vous avez un devoir envers ce peuple en dehors de toute tendance, politique. C’est pourquoi je lance un SOS pour que vous participiez, que vous apportiez votre verre d’eau à la construction l’Irak.

Je crois que l’histoire nous apprend beaucoup sur le rôle de la France dans la construction du monde. Il ne s’agit pas seulement de l’apport économique, mais surtout de l’apport culturel, intellectuel, éducatif. C’est pourquoi je lance cet appel surtout aux francophones. J’ai commencé une nouvelle expérience au nord de l’Irak . Il ne faut pas toujours attendre que le changement vienne de l’extérieur.

J’ai eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises sur ce qui se passe en Irak. J’ai dis, et je le redis ici, l’intervention américaine n’est pas une occupation, c’est pour nous les Irakiens une libération. Malgré les souffrances, la misérable situation de l’Irak, je vous le dis tout cela va changer.

Parlons de notre expérience au nord de l’Irak, au Kurdistan. Notre cher ami Jonathan Randal, je me souviens, c’était au mois de mars, et plus exactement le 2 mars 1991, je l’ai rencontré sur la route de l’exode alors que nous marchions vers la Turquie. J’ai eu alors la chance de lui parler, et depuis lors nous sommes restés amis. A notre retour au Kurdistan, c’était le chaos. Il a fallu attendre dix ans pour que le Kurdistan change. Et puis une zone de paix a été créée par la coalition, et les Français ont participé dans ce réconfort qu’on appelait alors MCC (Military Coordination Command) . Aujourd’hui, en Irak vous trouverez toute une autre vie : une vie où tout se développe, en particulier le domaine culturel. Pour obtenir ceci, la règle est la tranquillité. Même si nous avons subit le 1er février dernier ces meurtres atroces perpétrés par des terroristes, cela ne nous empêche pas de continuer, de tracer, d’ouvrir notre route pour construire notre Irak, notre Kurdistan.

Nous avons beaucoup construit. Les changements sont nombreux. Revenons à l’aspect du développement culturel, il y a six ans avec des amis et l’aide d’une organisation basée à Monaco, nous avons fait le projet d’ouvrir un lycée français, un « International school ». Pour la première fois au Kurdistan, nous allons avoir un lycée de la francophonie. Cependant, jusqu’à présent nous n’avons pas trouvé en France une instance qui se soit montrée tant soit peu concernée par la francophonie au Kurdistan. J’invite les instances à penser à ce grand projet. Cette année, nous commencerons notre année scolaire après six ans d’efforts pour trouver les fonds nécessaires. La construction du lycée est presque terminée et pour notre prochaine année scolaire nous aurons un lycée mixte, pour filles et garçons. Je crois que ce sera une fenêtre pour aider notre peuple et chacun doit donner ce qu’il a comme culture. Cette école, construite à Duhok, n’est pas une école religieuse mais une école de science, d’échange de culture de tous ceux qui forment cette communauté au Kurdistan ou dans tout l’Irak. Je vous invite a venir voir et je suis sûr vous apprécierez le travail qui a été fait.

En ce qui concerne la cohabitation, la fraternité, je peux dire qu’au le Kurdistan, surtout dans la région où est situé mon diocèse, à Amadiye, vous trouverez une bonne ambiance. Personne ne dit : moi je suis musulman, ou moi je suis chrétien, ou moi je suis yezidi. Nous vivons dans la fraternité. Nous travaillons en commun pour construire, pour donner, pour oublier. Le passé a été parfois difficile, mais on n’est pas toujours responsable du passé. Vous qui avez vécu la période qui a suivi la seconde guerre mondiale, les Européens n’ont pas oublié les événements de la seconde guerre mondiale et surtout l’occupation allemande en France, en Italie ou ailleurs.

Une vieille amie française m’a raconté qu’il a fallu dix ans à la France pour se débarrasser du marché noir, pour que les propriétaires de maisons, d’appartements ou de terrains puissent récupérer leurs biens. Et pourtant la France est un pays de loi. Ne vous étonnez donc pas de ce qui se passe aujourd’hui en Irak. Il faut du temps. La loi s’installe petit à petit en Irak. Tous ces attentats, ces crimes…. Comment les éviter après tant d’années de dictature ? Ce ne peut pas être effacé avec un coup d’éponge. Il faut donner du temps à ce peuple courageux, brave, intelligent. Ce peuple a déjà tant souffert. Que la presse en France ne le fasse pas encore souffrir, qu’elle se tienne aux côtés du peuple irakien. Soyez positifs. Tenez-vous aux côtés de notre peuple.

C’est pourquoi je crois en l’avenir. Et l’avenir est l’affaire des hommes et des femmes. Chacun doit apporter sa contribution, ajouter sa part dans la reconstruction. Il ne s’agit pas seulement de construction avec du béton, cette construction commence par l’amour, par l’acceptation de l’autre, être à l’écoute de l’autre. De donner à l’autre une chance ou une occasion de s’exprimer. Pendant des années et des années, un bâillon avait été posé sur la bouche du peuple irakien qui n’avait pas le droit de s’exprimer, de parler. Aujourd’hui les choses sont différentes comme vient de le dire notre ami le Dr. Fuad Hussein. En Irak, aujourd’hui, la presse, la télévision sont libres. Tout ce qui se passe est une grande chance. C’est le début, n’oubliez pas que les Irakiens n’ont pas la facilité, l’expérience que vous avez en Europe, mais tout cela viendra si vous nous aidez, vous collaborez avec nous. Le monde est devenu comme un village. Chacun de nous aura sa part. Votre part est de donner, de nous rendre visite, de travailler, d’écrire et non pas seulement de critiquer. Je ne dis pas que vous ne devez pas critiquer, mais de ne pas revenir sur le passé. Ce qui a été fait, est fait. Nous avons aujourd’hui un Irak nouveau et je vous invite au nom de tous les Irakiens et au nom du peuple du Kurdistan de collaborer avec nous, d’être à nos côtés, et merci par avance.

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